Empruntant au roman naturaliste de par son immersion dans un milieu donné autant qu’à l’autobiographie (pour la ressemblance du personnage principal avec l’auteur) ; Les Lisieres navigue entre plusieurs lieux de vie au sein d’un pays en voie de fragmentation. A l’occasion de son nouveau roman, Olivier Adam dépeint, par delà les doutes et les fractures dans la vie de Paul Steiner, un portrait de la France sans concession.
A l’heure où la question identitaire s’invite dans l’espace public, Olivier Adam interroge son personnage, tout au long de son récit, sur la construction de sa propre identité. Le divorce subi par le narrateur l’amène à fouiller son passé à la recherche d’éléments constitutifs de sa vie. Son retour contraint dans sa banlieue natale, auprès de son père acariâtre, le plonge dans le creuset de sa jeunesse. Le narrateur, écrivain reconnu, côtoyant le milieu littéraire parisien, retrouve les traces de son passé sur cette terre effeuillé d’espoir. A travers une subjectivité assumée, Paul Steiner retrace sa vie, son départ, les relations avec ses parents, son frère et ses anciens camarades. Ses rapports humains, complexes, sont toujours imprégnés d’un sentiment ambivalent (entre frilosité et tendresse par exemple). Ce sentiment de l’entre-deux le conduit à avoir une posture critique parfois blessante le plus souvent dérangeante pour le lecteur. «Qu’est-ce qui me poussait à toujours imaginer les gens rongés par l’ennui, usés par le quotidien, blessés d’être ainsi réduits, leurs vies tenant dans des boites à gants ?».
A contre-pied des «gens qui sont nés quelque part» (dixit Brassens), Paul Steiner voit sa vie tel un puzzle dont l’épicentre n’est pas défini. La question de ses origines ne cessera de le tirailler. Entre cette terre qui l’a vu naître, la Bretagne où il réside et construit sa vie, Paris synonyme pour lui d’ascension sociale et le Japon berceau de ses espérances, Paul Steiner s’inscrit à l’écart de ces lieux comme s’il ne pouvait pleinement revendiquer une appartenance. «Je suis un être périphérique. Les bordures m’ont fondé. Je ne peux appartenir à quoi que ce soit.Je suis sur la tranche. A l’intérieur à l’extérieur. La périphérie m’a fondé.».
A travers cette quête existentielle, Olivier Adam découvre une France prise dans les tourments d’un quotidien désarmant : des territoires désenchantés, déclassés socialement, méprisés par les pouvoirs publics, en prise aux doutes sur ses propres valeurs. Cette classe majoritaire, contrainte de subir les crédits et les invectives des petits chefs, se voit forcée de se soumettre pour tenter de préserver le peu de vie qu’elle possède. Elle endure, également, un aveuglement préjudiciable de la part des élites médiatiques et politiques. «Il fallait voir comment les yeux brillaient à l’idée que tout ça explose enfin, même si on savait qu’il n’en serait jamais ainsi, que tout allait continuer encore et encore, que tout allait continuer à tourner pendant des siècles aux bénéfices d’une poignée de gens qui s’essuyaient les pieds sur la gueule de milliards d’autres». A travers les retrouvailles de ses camarades oubliés, c’est toute une partie de cette France péri-urbaine, silencieuse,aigrie, hantée par la peur de ses semblables, que dessine le narrateur.
Sophie constitue probablement le personnage le plus éloquent de ces «lisières». Un amour déchu retrouvé le temps d’un instant, suffisant néanmoins pour mesurer les écarts, s’attendrir sur cette vie rangée, aussi platonique que repoussante. «Quel mal y a-t-il à mener une vie normale?» lui demande-t-elle avant de plonger dans un profond désarroi. De ces personnages clos sur eux mêmes, le narrateur s’émeut, sans complaisance forcenée ni condescendance malvenue : il observe l’influence du milieu, les circonstances extérieures agissant sur ses personnes avec toujours un souci particulier d’humanité. Son style, lourd, composé de phrases interminables, parfois assommantes par la multiplicité des détails vise à rendre compte du mieux possible de cette réalité.
A travers ce récit poignant, Olivier Adam s’attache à discerner la position qu’occupe le narrateur au sein de la société tout en rendant, à travers son écriture, un hommage, sans fard, à ces territoires et ses habitants qui les composent. «Il n’y a de vie que dans les marges» affirmait Balzac, Olivier Adam l’a compris et nous rend un roman saisissant sur notre époque.
Les Lisieres
Un roman d’Olivier Adam
paru aux Editions Flammarion
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