Au Cameroun, La saison des prunes est un temps, cyclique, durant lequel le safoutier donne aux hommes sa richesse, le safou, trop longtemps attendue durant le reste de l’année. Dés lors, les hommes et les femmes s’enorgueillissent de plaisir devant ce fruit qui emplit les rues et les panses. Pour Patrice Nganang, il s’agit également d’un moment dans l’histoire où le Cameroun fit des choix décisif pour le destin de son pays. Il correspond à ces moments de flottement dans la vie d’une nation où le choix des hommes dessine l’avenir et ce pour des dizaines d’années. « Ah, sa saison si brève me rappelle toujours le temps où notre pays avait découvert, sinon le nœud de sa propre violence, plutôt celle du monde, et pour y répondre, avait jeté dans les routes du désert ses fils qu’on nommait alors tirailleurs sénégalais, comme les revendeuses jettent le soir les prunes qu’elles n’ont pu livrer à la braise.»
Avec La saison des prunes, Patrice Nganang livre un roman symphonique tant par son style d’écriture que par les vies multiples qui s’entrecroisent en son sein. A la manière du regretté Kourama, l’auteur s’attache à une écriture classique en versant, parfois, dans un style plus familier. Maniant les métaphores, il donne, ainsi, à son roman une tonalité singulière adaptant sa plume à ses descriptions ou aux humeurs de ses personnages.
Personnage réel et fictif vont s’entrecroiser dans ce roman prenant pour origine l’arrivée du colonel Leclerc au Cameroun en 1940. Ainsi, du futur dirigeant indépendantiste Ruben Um Nyobé au poète francophone Louis-Marie Pouka en passant par Jacques Massu, l’auteur s’appuie sur des réalités historiques pour, ensuite, laisser libre cours à son imagination. Le récit débute par le retour dans son village natal, Edea, du poète Pouka. Ce dernier revient avec la forte volonté de créer «un cénacle de foret» où les participants partiraient à la découverte de poètes tels Mallarmé ou Hugo. Néanmoins, les événements vont contrarier ses plans. L’assimilation dans l’armée française des hommes volontaires va vider le village de ses forces vives.
Dès lors, le roman va se diviser entre les turpitudes de la vie au village et les péripéties de ces hommes engagés auprès de la France Libre.
En 1940, De Gaulle est seul à Londres. La France et les colonies sont vichystes « S’il est en fuite, il n’a qu’a venir à Edea, nous le cacherons dans la foret. Nous allons le nourrir nous-mêmes aux plantains brûlés avec des prunes » affirme sans ciller une habitante d’Edea. C’est d’abord grâce au courage et à la ténacité de ces premiers combattants, abandonnant les leurs pour des contrées lointaines, qu’il pourra se présenter, cinq ans plus tard, comme le sauveur de la France Libre. Cette aventure humaine prend les noms d’Hegba le boxeur attaché aux bienfaits de sa hache, Bilong fantasmant sur le corps de Nguet ou encore Philotée. Tous partirent avec l’illusion de découvrir Paris. La plupart périront dans les mirages du désert libyen avant même d’avoir traversé la Méditerranée. Les plus chanceux se verront écartés de la « photo de famille » lors de la marche victorieuse sur les Champs Élysée après la Libération de Paris.
Outre, une réhabilitation de l’histoire sous-jacente, le roman de Patrice Nganang ne verse pas pour autant dans le roman historique commémoratif. Il recèle avant tout de multiples histoires teintées d’authenticité. Il en est ainsi, par exemple, de la fermeture du bar tenu par une maquerelle et son expulsion du village. Il témoigne de la vie d’un village africain notamment le rôle occupé par les femmes. Il n’occulte pas l’existence d’une certaine rudesse dans les rapports sociaux où l’influence centrale jouée par le Vieux, M’Bangue, sur les autres habitants.
Il est facétieux d’observer l’ironie de l’Histoire. En effet, au Cameroun comme ailleurs sur le continent africain, les premiers autochtones à rejoindre la France Libre furent également les premiers à revendiquer l’indépendance de leur nation. Il en est ainsi de Ruben Um Nyobe. Lui qui prit la ferme décision de soutenir De Gaulle en 1940 participera à la lutte pour l’indépendance. « Pourquoi la France ne nous assume-t-elle pas ? Elle croit pouvoir venir ramasser nos frères comme elle veut, sans aucune responsabilité, et en faire des tirailleurs, pouvoir ignorer les lois qu’elle a écrites elle-même […] Pourquoi elle ne respecte pas ces valeurs universelle-là ici aussi? Pourquoi se comporte-t-elle dans son arrière-cour avec autant de sauvagerie ?».
Le récit oscille entre fiction et réalité, humour et drame avec toujours une dérision dans le style de l’écrivain surprenante. Patrice Nganang réussit le pari de retranscrire l’histoire méconnue de son pays tout en livrant un roman particulièrement réussi.
La saison des prunes
de Patrice Nganang
Editions Philippe Rey
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