Patti Smith : Just Kids… Ou un pont qui mène partout.

C’est par la (toute) petite porte du fan voulant lire une autobiographie que j’ai acheté ce livre. Sans grande émotion puisque je n’apprécie qu’une modeste partie de l’œuvre de Patti mais c’est le respect pour une artiste indéniablement sincère et intègre qui m’a poussé à découvrir des anecdotes traitant de morceaux pas tous appréciés.

Mais d’autobiographie, il n’est pas question ici. Ou alors, il faut lui enlever le préfixe « auto » et la considérer comme le plus bel hommage à son âme sœur, le photographe Robert Mapplethorpe.

Mais (il y a aura énormément de « mais » et de « ou » dans ce texte tant je m’étais trompé sur les sujets et enjeux de ce livre en l’ouvrant…) réduire Just Kids à une biographie, qu’elle soit auto ou pas, reviendrait à montrer la photo en N&B d’un arc-en-ciel à un aveugle.

Patti la Poétesse nous parle d’Amour et d’amours ; celles qui lient à jamais deux individus bien sûr mais également deux artistes ou un artiste avec son art ou un artiste avec un autre artiste (de préférence décédé, le nec plus ultra étant mort et enterré dans un autre siècle dans un lointain pays, Rimbaud en étant le meilleur exemple ici). L’amour protéiforme unissant comme une évidence – à l’instant même de leur rencontre, jusqu’au dernier souffle du survivant – sera artistique, charnel, intellectuel, amical, unique, passionnel sans être jamais exclusif. Tellement plus fort que les codes classiques que connaissent les « non-artistes », ce lien ne sera jamais affecté par les très nombreux amant(e)s car protégé par la pureté d’une création qui se nourrit de l’autre. Quand le doute n’existe pas, comment la jalousie pourrait-elle exister ?

L’Art (volontairement ici avec un grand « A » comme le veut une expression galvaudée car trop facile) est ici décrit comme une entité (plutôt démoniaque) tant elle possède la proie qu’elle a choisie. Un feu intérieur qui consume, consomme le marginal avant que celui-ci ne trouve la forme qui lui permettra de cracher ses œuvres de façon aussi incontrôlable qu’incontrôlée. Robert Mapplethorpe et Patti Smith verront leur adolescence s’essayer à diverses tentatives (dessin, poésie, presque tout en fait) avant d’être choisis par la photographie et une vision de la musique (ici prétexte à la mise en sons de textes).

L’art est un pont entre les morts et les vivants, entre les artistes et leur public, entre les époques, les pays. Just Kids abolit toutes ces distances en reliant Jim Morrison à Rimbaud (même s’il ne s’agit pas de l’association la plus improbable, j’aurais pu/dû opter pour Rimbaud/Warhol), la vieille Europe et New York, les artistes et leurs critiques ou mécènes.

Une envergure plus modeste de ce livre-promesse fait(e) à Mapplethorpe permettra aux simples fans de New York et d’une des charnières artistiques les plus prolifiques du XXème siècle, les 60’s déclinantes et les 70’s pleines de démesure, d’y trouver leur compte et plus encore. Au détour d’une page ou d’un bloc d’immeubles de Chelsea, vous y croiserez Janis Joplin, Jimi Hendrix, Sam Shepard, Sandy Pearlman, Allen Lanier, Lenny Kaye, Paul Verlaine… Mais rien à voir avec du Name Dropping ; toutes ces figures sont autant de personnages qui viennent jouer leurs (parfois petits) rôles dans la vie de ces deux artistes. New York et l’époque sont finalement les acteurs principaux de ce pont (un de plus) entre les deux décennies.

Just Kids pourrait être un roman. Vous remplacez ces grands noms par des anonymes et cette tranche de vie (ce Polaroïd pour rendre hommage à Mapplethorpe) sonnera comme une histoire trop belle pour être vraie. Une mise en abîme de la création presque ; une artiste qui décrit d’autres artistes et qui, en simple narratrice, observatrice, une sorte de Madame Loyale, dépeint une réalité plus XXL et incroyable (« incredible » pour reprendre un terme anglais qui manque à notre belle langue) que beaucoup de fictions.

Le petit fan qui a démarré ce livre presque par réflexe, comme un devoir un peu forcé en cette période de disette de lecture, le referme conquis par une vision de l’art à la fois pure et cruelle par le tribut imposé aux cibles, victimes presque, qu’il choisit.

Et pour celles et ceux qui ne seraient pas touchés par cette déclaration, je vais user d’un vil argument pour tenter, in extremis, de vous convaincre de lire ce Just Kids : À l’intérieur, vous pouvez y trouver non pas la genèse de Because The Night mais la motivation qui fait de ce joyau, un cadeau, un de plus, fait par Patti à l’homme de sa vie. Là aussi, un parfum d’évidence pour une relation qui n’a jamais connu le mensonge.

 

https://www.youtube.com/watch?v=yUbWzrekMoI

 


Patti Smith – Just Kids
Trad. de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Nouvelle édition illustrée
Parution : 26-10-2017
ISBN : 9782072738524 – Gencode : 9782072738524 – Code distributeur : G00901

 

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A propos de Frank Berlez

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