Elsa Marpeau – « Et ils oublieront la colère »

La parution du nouveau livre d’Elsa Marpeau intervient à l’occasion des 70 ans de la « Série noire » de Gallimard. Et ils oublieront la colère s’inscrit pleinement dans cette collection où, selon les dires de Marcel Duhamel, son fondateur en 1945, « l’amateur d’énigmes à la Sherlock Holmes n’y trouvera pas souvent son compte. L’optimiste systématique non plus. L’immoralité admise en général dans ce genre d’ouvrages uniquement pour servir de repoussoir à la moralité conventionnelle, y est chez elle tout autant que les beaux sentiments, voire de l’amoralité tout court. » Et, en effet, la trame de son intrigue laisse peu de place au sentimentalisme. En 1944, la France se libère de l’occupation allemande. Les Français, longtemps attentistes pour la grande majorité, se découvrent une virginité nouvelle en faisant la chasse à toutes celles qui, de près ou de loin, ont collaboré « à l’horizontale ». La cruauté se mêle à l’indigence. Les résistants de la dernière heure se montrent les plus véloces pour tenter de faire oublier leur passé trouble. Les femmes sont tondues en public, humiliées pour expier leur conduite et par-là même, faire oublier à tout un pays sa lâcheté et sa complaisance devant l’ennemi.

Dans une forêt de l’Yonne, une femme, Marianne Marceau, tente de fuir une foule à ses trousses. Elle vit dans une ferme isolée, avec sa sœur et son frère. Durant la guerre, un soldat allemand s’installe et bouscule le quotidien familial. Sa présence exacerbe les tensions au point de provoquer des blessures inavouables.

Si l’intrigue prend forme à la Libération, Elsa Marpeau la situe précisément soixante-dix ans plus tard. Garence Calderon est capitaine de gendarmerie par vocation, ce qui, déjà, dénote un caractère bien trempé. Son look détonne parmi ses collègues, habitués au conformisme du métier. Elsa Marpeau semble rapprocher les destins de son héroïne avec celle de Marianne Marceau. Les deux femmes partagent une même force de caractère et une ténacité devant les difficultés exemplaire. Toutes deux ont également subit une enfance difficile, ponctuée de divers traumatismes.

Dans la ferme des Marceau, le corps de Mehdi Azem est retrouvé près du lac. Ce dernier habitait depuis peu le hameau. Il avait racheté la part de Paul Marceau, parti en maison de retraite. Étrangement, quand Garence découvre les lieux, elle reste stupéfaite. « Partout, la maison conserve un parfum étrange. Le parfum du passé. Les meubles, le sol, les fenêtres sont recouverts d’une épaisse couche de poussière. Il suffirait pour les faire renaître de passer un coup de chiffon et de s’immerger dans ces lieux brutalement désertés. Car si le temps a rongé le bois et déchiré les tissus, il a conservé les surfaces, les formes et l’âme des jours anciens. » Très vite, elle s’aperçoit que la victime s’intéressait à l’histoire des Marceau. Dès lors, Garence cherche à comprendre pourquoi, dans ce coin reculé de province, le temps s’écoule différemment. Pourquoi les blessures du passé restent des plaies ouvertes sur l’avenir. Medhi Azem serait-il mort pour des faits vieux de soixante-dix ans ?

Elsa Marpeau entraîne le lecteur dans une intrigue pleine de rebondissements où les vies de ses personnages se croisent, s’assemblent et se ressemblent. Elle réussit à entremêler la petite histoire dans l’Histoire sans aucune lourdeur mémorielle dans l’écriture. Par ces flashbacks récurrents entre les époques, elle densifie son intrigue de manière à créer une atmosphère pesante au sein du clan familial. À conseiller vivement.

 

Et ils oublieront la colère

Elsa Marpeau

Éditions Gallimard

 

 

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A propos de Julien CASSEFIERES

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