Romain Dasnoy – « Indiana Jones. Explorateur des temps passés »

Il suffit de quelques notes. D’une boule gigantesque. D’un chapeau, d’un fouet, pour que ressurgisse l’enfance. Indiana.

Plus loin un temple où l’on dévore les cœurs ou des cerveaux de singes, une arche d’alliance, ou le Graal, ultime. Et des nazis, souvent.

Hommage pulp, courant le monde après des Macguffin mythologiques ou mythiques comme après un vingtième siècle qu’il finira par subir plutôt qu’influencer, traversant l’Histoire en pilleur de tombes ou vieux beau gouailleur, trop obsédé par ses objets et ses histoires pour voir le monde changer. Gamin rêveur, comme ses deux créateurs, Lucas et Spielberg. Indiana. Jones.

Mais Indy : un héros pour toute une génération de gosses biberonnés à la puissance de cette saga, sorte de quintessence du cinéma de divertissement avant de signer sa propre déchéance et notre propre reniement (le catastrophique épisode 4).

Cette puissance iconique d’Indiana Jones, héros nostalgique et héraut de notre culture nostalgique elle aussi (c’était mieux avant, les films de quand on était gosses, hein) est au cœur d’une bible dodue signée Romain Dasnoy et tout juste parue chez Third Editions, explorateurs eux-mêmes de toutes les formes pop.

Pas d’inquiétude : loin d’être universitaire, le sujet, traité en de longs chapitres et « livres » aux thématiques diverses se trouve être une fascinante dissection ludique du phénomène.

Foisonnant, précis, étudiant à la fois la chronologie des films, de l’univers étendu ou de sa musique, pertinent tout autant que parfois bavard, regorgeant avec délice d’anecdotes croustillantes ou gigantesques, faites de casting improbables organisés par Spielberg autour de la confection d’un repas, du connu désistement de Tom Selleck à la dernière minute (une certaine série Magnum allait commencer), de bureaux cachés au sein d’un ancien marché d’œufs pour éviter la foule post-Star Wars, etc.

Mais surtout, au-delà du plaisir non feint de raconter en insider les coulisses ou les thématiques des divers pans de la saga, ce que le récit trace de fascinant, c’est l’intrication féconde du duo Lucas/Spielberg tout au long de la production du film : au calme Lucas l’imaginaire, au bondissant Spielberg la mise en scène, s’inspirant lui-même tout à la fois des idées de son ami, allant jusqu’à la fidélité totale du crash (Indiana Jones 4), mais allant bien plus loin.

  • Histoire des formes

Car ce que raconte le livre, c’est à quel point dès l’origine, industriellement, les deux films et deux réalisateurs sont liés, Spielberg allant jusqu’à, au-delà de l’évident lien de héros (Harrison Ford, fil rouge des univers), débaucher l’ensemble du process technique à l’œuvre sur Star Wars IV, récupérant les mêmes studios et l’ensemble de l’équipe.

A partir de cette anecdote, et à la manière dont Indy traverse l’Histoire, c’est la partie la plus stimulante de cet épais ouvrage qui s’ouvre, où Histoire (du cinéma, des techniques), histoires (les anecdotes) et Histoire du monde se télescopent, pour raconter, finalement, à travers ce drôle de projet antédiluvien (un vieux bonhomme archéologue dans les années 30, vive la nostalgie) une véritable révolution en cours des formes de l’industrie.

Des premiers pas quasiment artisanaux de grands gosses rêveurs, farouchement indépendants jusqu’au pacte avec le diable (Lucas signant, pour Star Wars, un pourcentage sur le merchandising, début de la fin et début de sa richesse), de l’explosion des blockbusters dans les années 80, créés par ces deux zigues géniaux jusqu’à leur échapper ou se faire double, jusqu’aux silences dépités des années 90 et la disparition des deux sagas.

Silence, vraiment ?

Non, car ce que le livre conte fabuleusement bien, c’est la transformation des formes : même sans jamais en saisir les potentiels, Lucas se met à investir dans les jeux videos, avec Lucas Arts, sans doute l’un des plus grands studios des années 90 (avec l’ensemble des jeux en point and click, comme Monkey Island ou Day of the tentacule, etc), qui aura charge d’alimenter l’univers, de créer de nouvelles histoires, voire même d’intégrer des extraits filmés au sein de l’intrigue videoludique, témoignant d’une mutation des formes des divertissements.

Cette hybridation, elle aussi, aboutira au crash, quand trop occupé sur la prélogie, Lucas ne verra pas arriver de nouveaux héros comme Lara Croft ou Nathan Drake, se vautrant dans des productions cheap et dépassées.

Le dernier volet en date de la saga n’en sera que le douloureux constat : le monde a changé. Les héros vieillissent, les fans, amoureux, deviennent des hyènes de réseau social, étrillant une production sur le simple fait qu’ils sont insatisfaits dans leurs désirs.

  • La nostalgie et l’enfance

Se trace alors quelque chose de difficilement saisissable en quelques mots, mais qui semble accompagner chacun des pas du héros : totalement anachronique, mais toujours filmiquement en avance (l’explosion du blockbuster, la bulle JV), avant de systématiquement être dépassé par une jeunesse qu’il aura contribué à créer (les films catastrophes ou pop des 90’s, les Tomb Raider).

Héros courant après le temps passé, le livre le place résolument, dans sa production, sa création, dans l’incroyable fidélité qui lie ses créateurs, dans leur génial parcours, comme un homme de demain, posant à chaque pas tout à la fois les briques des évolutions des formes comme amenant leur propre destruction.

C’est l’exemple du 4e volet, trop tardif, ultime tentative de nostalgie dans un monde qui n’en veut plus. C’est l’exemple du second, déjà, qui inclut sa propre redite. C’est l’exemple même de tout le cinéma de Spielberg et Lucas, qui défrichent puis enterrent : Lucas se noira dans le conformisme de l’episode VI de Star Wars, Spielberg, bien que brillant, semblera systématiquement absent des suites qu’il réalisera quand il ne se vautrera pas complètement dans le marketing avec la franchise Jurassic Park.

Et si l’on pourra parfois déplorer la construction quelque peu hasardeuse du récit (notamment un livre IV consacré à une analyse thématique qu’on aurait vouloir en début d’ouvrage, d’autant qu’il explicite quelques thèmes majeurs comme le Macguffin pourtant usité une vingtaine de fois avant), les quelques défauts du livre n’empêche pas sa réussite profonde : celle de tracer avec brio l’évolution concomitante du parcours de ses créateurs et du héros, bouleversant le siècle et l’industrie en un véritable et unique trésor, celui de nous faire rêver.

Third Editions, 336 pages, 29.90 euros. En librairie.

Pour en lire un extrait, c’est par ici : https://www.thirdeditions.com/cinema-series/470-indiana-jones-explorateur-des-temps-passes-9782377843220.html

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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