Shashi Deshpande – "Après la pluie"

Pour cette saga indienne, un arbre généalogique peut être utile afin d’appréhender au mieux les liens entre les nombreux personnages. Inutile de le reconstituer au fil de la lecture, il est possible de se référer à celui qui se trouve après la page de garde. Après avoir assimilé les appartenances de chacun à l’une des trois générations convoquées, on peut alors se laisser emporter pour un long voyage d’une époque à l’autre, entre Bombay et Bangalore. A la source, un noyau familial formé par Badri Narayan, Vasu et leurs deux filles Jiji et Malu. Seule survivante des quatre après le récent décès de son père, Manjari (dite Jiji) replonge dans ses souvenirs d’enfance, non sans réveiller les démons du passé et ses non-dits. « Une histoire qui reste dans l’obscurité où elle a été conçue, puisque tous les personnages sont morts, sauf un. Car je suis l’unique survivante et je poursuis le fil de son récit qui m’emprisonne et, me semble-t-il parfois, m’emprisonne à tout jamais. » Par l’alternance d’extraits du journal paternel et du récit du cheminement de Manjari, Shashi Deshpande brosse une fresque attachante et profonde sur l’importance des racines, à la fois ancrage identitaire et fardeau dont il faut parfois savoir se détacher pour trouver sa propre voie.Le personnage de Manjari, quadragénaire indépendante, farouche et spirituelle, séduit par la franchise de son introspection. Marquée par la profession de son père, anatomiste, elle associe le langage du corps aux méandres de l’âme, pour un ressenti des plus vivaces. « Le cordon ombilical continue d’exister, comme un lien fantôme, tout au long de notre vie. Il est impossible de nier les liens du corps, de les abandonner derrière nous. Les liens que nous forgeons par l’intermédiaire du corps sont les plus forts, les plus difficiles à rompre. Voyez comme nous faisons le rapport entre les organes corporels, et les émotions et sentiments ; nous parlons de sang, de cœur, d’entrailles, de foie. » Sous le toit de la maison parentale dépeuplée, Manjari affronte un passé qu’elle avait fui et dont elle doit s’affranchir afin de poursuivre sa route personnelle, mais aussi de transmettre à ses propres enfants. A travers le prisme de cette famille éclatée et meurtrie, l’écrivain montre la complexité de ce qui compose chaque être au regard des liens qui le rattachent aux autres, biologiques ou rapportés, mais profondément imbriqués et transcendés par la filiation : « C’était comme voir mon propre passé, voir se profiler un avenir différent, se voir offrir une autre chance ».

Par ce récit comme dans ses autres ouvrages, Shashi Deshpande aborde également la condition féminine. Au sein d’une société fondée sur l’autorité des hommes, les tantes de Manjari illustrent la bienséance. Sa mère, pourtant de la même génération, s’écarte du schéma par sa profession d’écrivain et l’absorption que celle-ci implique, en rythmant la vie du foyer au gré de son besoin d’isolement. Dotée d’un caractère difficile et mystérieux, elle maintient néanmoins l’illusion d’un foyer heureux, dont sa fille ne connaîtra les coulisses qu’en lisant le journal de son père. Manjari, quant à elle, se place entre la rupture avec l’ordre établi d’un autre temps et le devoir imposé de ne compter que sur elle-même. Shashi Deshpande mettra joliment en perspective le besoin d’indépendance du personnage et sa conciliation dans son rapport aux hommes, en évitant soigneusement toute leçon de vie et en prônant plutôt sagement que chacun puisse y trouver son compte : « Jamais nous ne trouverons ce que nous cherchons, jamais nous n’obtiendrons ce que nous attendons des autres. Nous resterons, tous autant que nous sommes, des êtres incomplets, des esperluettes. Oui, c’est bien la quête qui est à l’origine de tout, c’est la quête qui prime sur tout le reste. »

Publié aux Editions Philippe Picquier.

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