Lointainement inspiré de L’Anabase  ou l’expédition des Dix-mille de Xénophon (426-355), The Warriors, roman culte écrit au milieu des années 60, ressort chez l’éditeur Façonnage dans une nouvelle traduction de Julien Besse succédant à celle de Odile Ricklin, épuisée depuis longtemps, permettant d’apprécier à sa juste valeur la langue vive et fertile, compacte et complexe, d’un des écrivains les plus sous-estimés et méconnus de sa génération, un auteur aux aspirations philosophiques, politiques et sociales.

L’action se déroule un 4 juillet, date symbolique, utilisée ici à des fins ironiques.  Ismaël Rivera, chef du gang le plus célèbre de New-York, convoque une assemblée exceptionnelle des diverses bandes organisées au cœur du bronx qui se dirigent vers le lieu de rencontre, le parc Van Cortland. Une consigne est imposée : ne pas venir armer, à l’exception d’une arme de poing qui a valeur d’offrande de paix.  Cette réunion est l’occasion pour Ismaël d’annoncer une trêve. Après un discours fédérateur, l’assemblée se dissout dans le chaos et la violence avec pour apothéose l’assassinat d’Ismaël. La police arrive sur place tandis que tout le monde se disperse.  Le récit s’attache plus particulièrement aux membres du Coney Island Dominators, des afro-américains/hispaniques qui vont tenter de rejoindre, dans un périple peuplé d’embûches, leur territoire.

Pour son premier roman, Sol Yurick, fort de son expérience d’assistant social dans les quartiers défavorisés, embarque le lecteur dans une odyssée sauvage et immersive et l’invite à suivre un gang composé de l’envers du décor de l‘Amérique blanche qui célèbre en grande pompe ce fameux 4 juillet. La question raciale est bien au cœur de ce remarquable western urbain qui articule brillamment, mythologie et réalisme dans un style au lyrisme sec.

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La langue vivante et concise de l’écrivain, très attachée aux phrases courtes, insuffle un rythme permanent, un sentiment constant de vitesse. Une écriture sans fioriture et métaphore inutile, qui file droit toujours en phase avec ses jeunes anti-héros. Elle décline une situation précise, circonscrite dans une topographie délimitée, un espace qui ressemble à un grand terrain de jeu. Cartographie d’une ville plongée dans une sorte d’enfer, The warriors ne peut que déstabiliser le lecteur qui a en tête l’adaptation cinématographique réalisée en 1979 par Walter Hill, manifeste iconique de la culture pop, film que l’écrivain n’apprécie guère même s’il lui reconnait des qualités techniques et visuelles. Le cinéaste a non seulement évacué l’aspect purement racial en faisant du héros un blanc mais il a aussi vieilli étrangement les personnages plus porches de la trentaine. Chez Sol Yurick ce sont non seulement des mineurs, mais surtout des gamins jetés trop vite en pâtures dans un environnement hostile, gangréné par une violence permanente.

Cette approche frontale révèle le sens même du projet : dévoiler la part d’innocence qui reste enfouie chez les membres du gang qui ne sont que des enfants ayant grandi trop vite. Le plus jeune, Junior, à peine 13 ans, reste tout le long du voyage le nez dans une bande-dessinée (qui raconte d’ailleurs en version simplifiée L’Anabase).  Walter Hill a également gommé ce qui pouvait choquer dans le roman, soit un viol collectif particulièrement éprouvant et difficile à recevoir quand on se rend compte de l’âge des protagonistes. Sol Yurick est à la fois un peintre lucide d’une jeunesse abandonnée et un grand observateur de la jungle urbaine qu’il décrit à merveille avec des mots simples, judicieusement choisis (à moins que ce ne soit la traduction). Il se dégage même dans son épilogue d’une très grande tristesse, une émotion très forte, quand il ramène ses personnages à l’enfance, à l’âge qu’ils ont réellement. Alors que pendant tout le trajet, ils tentent de survivre comme des guerriers pris au piège, étant tour à tour des victimes et des bourreaux dans un univers à la fois abstrait et concret, dystopie d’une réalité hypertrophiée mais crédible.

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The Warriors s’impose comme une grande aventure humaine, explosive et provocatrice, une sorte de post-nuke sauvage et poétique qui ne vous lâche pas de la première à la dernière page.

Rendons grâce à Façonnage d’agrémenter le texte de Yurick d’une préface de Walter Hill, d’une postface passionnante de Sol Yurick sur la genèse du roman et enfin d’un excellent texte de Stéphane du Stéphane du Mesnildot recentré sur le film culte de Walter Hill.

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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