Suehiro Maruo – Ranpo Panorama

Après deux adaptations remarquée du maître du polar japonais Edogawa Ranpo, Suehiro Maruo, le plus surréaliste et le plus cruels des mangaka japonais revient chez le Lézard Noir pour un artbook somptueux et compact, qui s’attarde sur le travail d’illustrateur de l’auteur tout en creusant la veine rétro-moderniste de ses derniers travaux.


 

On trouvera donc dans ce volume (en ouvrant le livre par la 4e de couverture, comme le veut le rituel immuable de l’ésotérique éditeur du Poitou ) une seule bande dessinée, adaptation récente d’une nouvelle de Ranpo, Le Nain qui danse, qui retrouve l’univers d’une troupe de cirque aux penchants de tortionnaires sadiques que dessinait déjà Maruo dans son oeuvre la plus représentative, La Jeune fille aux camélias.

Suivent dans une seconde partie des illustrations, couvertures de magazines, de disques ou affiches de théâtre, qui évoquent les liens de Maruo avec l’imaginaire de Ranpo depuis les débuts de sa carrière ; puis dans une dernière section, d’autres travaux sans lien direct avec Ranpo, mais dans lesquels l’oeil bercé par la traversée des paysages précédents, saura reconnaître les motifs et les variations sur des thèmes récurrents.


 

Pour les amateurs du mangaka, l’ouvrage est bien sûr immanquable. Pour les férus de romantisme noir, le recueil est une envoûtante douceur tout aussi précieuse. Mais l’ensemble des illustrations ici présentes forme aussi une errance dans ce que représente le courant  « érotique et grotesque », émergeant au Japon au début du siècle dernier, qui fait de l’ouvrage une lecture conseillée à tous les amateurs d’art japonais (et qui aurait mérité, par endroits, un appareil de notes un peu plus développé…).


 

Maruo y traverse en effet toute une histoire des arts graphiques japonais, citant les estampes « muzan-e », portraits cruels de l’époque d’Edo, puis illustrant les oeuvres de son autre influence majeure, le metteur en scène de théâtre des années 60-70 Shûji Terayama, et allant jusqu’aux pochettes de groupes de rock « angura-kei », mimant eux aussi le style décadent de l’underground 70s.  Si quelques collages appuient aussi l’imaginaire fragmenté de l’auteur, mêlant les figures statuaires, les beautés enlevées  et les vampires expressionnistes, nombre de ces oeuvres baignant dans un auto-exotisme enivrant et malsain, naviguent entre les rêves érotiques de la modernité et ses doubles cauchemardesques impérialistes. Le « panorama » que construit le personnage principal de la nouvelle de Ranpo, c’était un territoire dévolu au plaisir personnel, contrôlé et assujetti par la volonté d’un homme, projet qui porte en lui-même, derrière ses façades d’arrangements floraux extravagants et ses naïades gracieuses, la promesse de sa mise à mort fatidique. Maruo  perpétue dans ces pages  l’héritage maudit de l’ « ero-guro » des années 20 : une crise de l’imaginaire colonial qui ne se résorbe jamais réellement, et pas, du moins, sans un rire inquiétant et mystérieux.
 

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A propos de Olivier MALOSSE

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