Un G rouge vif d’où coulent quelques gouttes de sang… En adoptant cette typographie pour leur nouvelle collection « Karnage », les éditions Zone 52 rendent un hommage transparent à la mythique collection « Gore » du Fleuve Noir qui sévit entre 1985 et 1990.
Qu’une telle collection puisse voir le jour en 2020 nous amène à nous pencher sur l’évolution de cette littérature populaire qui fit les beaux jours des kiosques de gare et s’interroger sur le public susceptible, aujourd’hui, d’être touché par cette sympathique renaissance. Car il ne fait aucun doute que, pour les amateurs de sensations fortes (horreur, violence, érotisme…), les images (la VHS puis les chaînes câblées, le DVD et enfin Internet) ont supplanté et rendu désuet ces livres bons marchés aux titres accrocheurs et aux illustrations sensationnalistes et/ou racoleuses (couvertures auxquelles Will Argunas rend un bel hommage).
Pourtant, cette « littérature de gare » n’a pas disparu mais son lectorat a muté. Dans le domaine de l’érotisme, par exemple, le triomphe de la saga 50 nuances de Grey a donné lieu à une série d’ersatz touchant même les collections type « Harlequin » qui épicent désormais leurs romans d’un zeste de sadomasochisme. Et alors que les SAS et Brigade Mondaine d’antan s’adressaient avant tout à un public masculin, on constate désormais une certaine féminisation du lectorat *. Côté horreur, on peut imaginer que cette volonté de redonner une seconde jeunesse aux exactions les plus sanglantes et au gore le plus trash (tradition qui s’est néanmoins régulièrement perpétuée grâce aux éditions « Rivière Blanche » et la collection « Trash », par exemple) vise moins le public « populaire » (quand bien même cette expression aurait un sens) qu’une niche composée de collectionneurs curieux, de fétichistes amoureux et d’indécrottables nostalgiques.
C’est dans cet esprit qu’a sans doute été rédigé Sanctions !, le premier titre de la collection signé Talion. Comme dans Bleu de méthylène de Fajardie, un professeur particulièrement sadique, aidé par son épouse, se venge des élèves qui l’ont importuné. Dans son sous-sol, il séquestre la jeune Aïcha, la viole, l’éventre et la découpe en morceaux. Mais ce coup d’essai sera suivi de nombreuses autres exactions.
La dimension nostalgique et fétichiste du roman tient d’abord aux nombreuses références qu’il comporte. Le héros du livre, Gabriel Lodi, est un fan de films d’horreur et conserve précieusement ses VHS. Il cite volontiers les œuvres les plus extrêmes du genre, que ce soit Blue Holocaust de Joe d’Amato ou Cannibal Holocaust de Deodato tout en se révélant friand de « snuff movies » (vieille mythologie qui a toujours intéressé les amateurs d’horreur) qu’il déniche sur le « Dark Web ». Ces citations sont une manière de montrer que la nécrophilie et le cannibalisme du récit s’inscrivent dans une histoire précise.
Car si le cinéma et la littérature « gore » des années 70/80 avaient pour objectif de choquer le spectateur/lecteur et provoquer chez lui l’effroi, le dégoût voire le rire ; Talion semble avoir conscience qu’il ne pourra plus provoquer de telles sensations chez un lecteur forcément décillé. Alors il semble prendre un malin plaisir à repousser le plus loin possible les limites de l’acceptable : le gore est extrême et c’est un euphémisme que de l’écrire. A ces litres de sang se mêlent le foutre (le livre ne recule jamais devant la pornographie la plus crue) et la merde (oui, le roman ne recule pas non plus devant la scatologie). On pourra, selon son humeur, trouver tout cela un peu puéril mais on aurait tort.
Parce qu’à une époque où tout le monde s’offusque de tout et où chacun défend le pré carré de sa petite susceptibilité, la fiction reste le dernier territoire d’une liberté sans limite.
Talion, enseignant lui-même, a écrit son roman pendant le premier confinement et l’on peut imaginer que les horreurs qu’il imagine furent le plus parfait des exutoires face à la situation que nous vécûmes, à l’instar du marquis de Sade écrivant la majeure partie de son œuvre alors qu’il était en prison (toutes proportions gardées, évidemment). Dans Sanctions !, c’est moins le désir d’effrayer le lecteur qui prédomine que d’affirmer plus que jamais la plus souveraine des libertés qui nous reste : celle du fantasme et de l’imagination.
Si l’auteur a la modestie de ne jamais se prendre pour Edgar Poe ou même Stephen King, il possède néanmoins une indéniable habileté pour construire un récit prenant (son commissaire est extrêmement bien campé, par exemple) et la sincérité de son hommage à une certaine tradition de la littérature populaire ne fait aucun doute et nous touche. C’est donc avec un grand plaisir qu’on lit ce Sanctions ! même si le roman s’adresse bien évidemment, selon la formule consacrée, à un public (très) averti.
* voir Eros décorseté, Ahl, Nils C., Le Monde des livres, 31 mai 2012
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Sanctions ! (2021) de Talion
Éditions Zone 52, collection Karnage
ISBN : 978-2-492297-00-7
166 pages – 9€
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