Dans ce roman de Valentine Goby, le blanc n’est jamais vraiment blanc, à l’image du vide qu’il symbolise et que l’auteur emplit d’un sens profondément juste. Le blanc, mystérieux et teinté d’espoir, c’est tout d’abord le Groenland où l’on a perdu la trace de Sarah, vingt-deux ans, partie à l’aventure pour fuir une première disparition. Le blanc, couleur neige sale, c’est la trace qu’a laissé son absence irrésolue dans le cheminement de sa cadette Lisa face à des parents inconsolables. Le blanc, teinté d’orange et de mauve, c’est l’horizon de Lisa qui va prendre la route vingt-sept ans plus tard sur les pas de Sarah pour une incontournable quête de sens. Le blanc, taché de rouge sang, c’est la douleur d’un monde présent, souillé et meurtri, que Lisa sera amenée à constater depuis la banquise.Par une écriture sensible et vibrante, Valentine Goby trace les contours d’une famille fissurée par un drame inexpliqué et plus largement d’un monde où l’on questionne le sens, l’aptitude à la vie. Sans omettre la douleur ni l’incompréhension, l’auteur installe une narration perpétuellement en quête de vivant, que ce soit l’amour maternel transféré à un inconnu, la dévotion du père pour ses champs d’oignons ou la blancheur des nuages au-delà du hublot : « ciel mauve à travers les baies, herbe jaune beurre, éclats d’or sur les carlingues morcelées par les contours des vitres ». Le lecteur épouse la cause de Lisa, résolument ancrée dans une réalité mouvante, porteuse d’un possible épilogue rationnel. Et pourtant, sur la banquise, se reflètent les doutes et les vides inhérents à toute existence : « l’illusion romantique brisée face au réel, la colère devant la pauvreté, la fascination pour une nature hostile, le sentiment de claustration devant l’immensité de l’espace, et d’étrangeté perpétuelle au milieu […] et puis tu crois partir à la rencontre des autres et tu te retrouves face à ton triste moi ».
D’une simplicité ambitieuse, « Banquises » parvient à relier un drame personnel à l’immensité incontrôlable du monde. Avec talent, Valentine Goby colorise le blanc et l’absence par une philosophie apaisante et déresponsabilisante qui confère au libre-arbitre une place de choix. Accepter l’idée de souffrance sans en devenir tributaire, c’est ce qu’elle tend à exprimer en montrant que le vide ne peut pas toujours être comblé, en évoquant la mort sans la nommer, en opposant fatalisme et réalisme, avec poésie et humilité : « toute cette blancheur de linceul déjà, que le rose de la jacinthe ne brisait pas mais, au contraire et par contraste, exhaussait davantage ».
Paru aux Editions Albin Michel.
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