Quelques années après la Commune de Paris et la répression sanglante qui suivit, la France va connaître durant quelques années, vers la fin du XIXe siècle, ce que l’on appelle désormais « la propagande par le fait ». Théorisée par des penseurs anarchistes comme Bakounine, Malatesta ou Kropotkine, l’idée est que, si la parole et l’écrit sont nécessaires, l’acte est vital. Ainsi, l’anarchiste Émile Henry fera exploser une bombe en 1892. Les actes sont accompagnés d’un discours très construit autour d’une vision de la société au sein de laquelle les pauvres doivent se libérer du jouc des bourgeois, quitte à utiliser la violence. Ou le vol. C’est cette deuxième voie que choisira l’anarchiste Alexandre Jacob, dont l’histoire est magnifiquement racontée dans cet ouvrage publié par les éditions Sarbacane.
Basée sur la célèbre phrase de Proudhon, « la propriété, c’est le vol », la vie d’Alexandre Jacob s’est structurée autour de deux éléments essentiels : l’anarchisme (il fut très ami avec le journaliste génial que fut Sébastien Faure, qui apparaît à de nombreuses reprises dans l’ouvrage) et les cambriolages, normalement sans violence physique. Ce Journal d’un anarchiste cambrioleur suit donc le parcours de ce jeune homme d’abord marin, devenu chef d’une bande de cambrioleurs, Les travailleurs de la nuit, tribun extraordinaire transformant ses procès en tribune politique, finalement envoyé au bagne de Cayenne pendant 22 longues années. Parfaitement documenté, très précis sans en devenir soporifique (ce qui peut arriver lorsque l’on souhaite tout raconter, trop en dire), et servi par un style graphique tout simplement magnifique (on y verra sans doute un lien de parenté avec le trait de Christophe Blain) avec ces grands mouvements des corps brassant l’air dans une agitation permanente, cet Alexandre Jacob est la bonne surprise pour le début 2016.
La question de la violence des anarchistes en cette fin de XIXe siècle a toujours été une source de débats et de désaccords profonds, les uns estimant qu’elle n’aboutit jamais sur quelque chose de positif et qu’elle dessert la cause, les autres affirmant qu’elle représente l’ultime et plus efficace méthode face à une bourgeoisie et des institutions sourdes à la complainte des classes défavorisées. On retrouve ici ces débats passionnées sur la question du recours à la violence et le personnage d’Alexandre Jacob est assez emblématique d’une position intermédiaire, puisque, selon lui, le recours à des armes à feu ne doit se faire qu’en cas de légitime défense. Il préférait travailler la nuit, dans des maisons vides et n’utilisa la violence que lorsqu’il y fut contraint. Finalement, son discours fut plus violent que ses actes. À une époque où la violence ressurgit dans les rues de Paris, revenir sur cette période et s’interroger sur l’une des raisons possibles de cette violence est un bon moyen de prendre un peu de recul, qui plus de manière très élégante ici.
On ne peut que féliciter les éditions Sarbacane pour la publication de ce bel ouvrage, en se souvenant que cette maison d’édition, aussi discrète que passionnante, a publié il y a quelques années de cela, la plus grande bande dessinée de tous les temps, le vertigineux Fin de chaîne de Michel Galvin. Qu’ils en soient remerciés pour l’éternité.
Publié le 06/01/2016 aux Editions Sarbacane
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