Yannick Blanc – "Les Esperados, une histoire des années 70"

L’itinéraire de vie nous révèle quelquefois les tenants et les aboutissants d’une œuvre. A travers « Les Esperados », Yannick Blanc nous livre une partie de sa génération ou pour le moins de sa jeunesse : une adolescence gauchiste dans la nostalgie encore vivace du grand Soir aux portes des usines, quelques années de débrouille à passer de pigiste dans des journaux à la traversée de l’Afrique en stop, il finira par rencontrer Jean-François Bizot, grand manitou de l’underground, préparant la conception de la deuxième fournée d’Actuel nouvelle génération… Nous sommes en 1979, Yannick Blanc n’a pas 30 ans et se lance dans le journalisme. Un journalisme d’investigation dirait-on aujourd’hui, prêt à tout pour « être près des gens » disait Bizot, qui le conduira par exemple à se mettre dans la peau d’un Noir, ouvrier à Dreux. Les Esperados vont naître à l’aune de ce parcours singulier.
Ecrit à la première personne en 2011, le texte « Le troupeau par les cornes » est inséré en supplément de la réédition du livre (sorti en 1984). Il assure une touche d’intelligibilité supplémentaire à son récit à travers ses avis, souvent critiques, sur cette époque tout en relatant l’écriture du livre et ses péripéties.
« Les Esperados » détonne par la structuration du récit ; le prologue nous plonge de manière abrupte  dans une poursuite haletante au cœur de l’Ardèche suite à un braquage raté décrit à la façon d’un Manchette (voir « Laissez bronzer les cadavres » de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid). Est-ce bien une histoire véridique comme le laissait suggérer la quatrième de couverture ? Oui, dés la fin du prologue, le récit change de forme, il s’apparente à une investigation entre journalisme et roman réalité façon Truman Capote (« De sang froid »). A partir d’une enquête de plusieurs années, la rencontre de nombreuses personnes et la découverte des lieux ce dernier va retranscrire, au plus prés de la réalité, la vie de Pierre Conty.
Né dans la banlieue grenobloise, Pierre Conty travaille à l’usine. « Le héros travaille à l’usine, ca l’emmerde » disait François Béranger, le parolier par excellence de cette génération. Nourri par la nostalgie de la Résistance (son père fit partie du maquis du Vercors), Conty, insatisfait, veut aller plus loin dans sa volonté de changer la société. Un an avant les événements de 68, il s’enfonce avec sa compagne en Ardèche, se voit prêter une ferme inoccupée et tente de réaliser le vieux rêve libertaire. Ce retour à la terre ne restera pas anodin dans l’après 68, les « gauchistes de tout poil » (maoïste, trotskyste..) tenteront de passer de la théorie à la pratique. Sans règles préétablies, ces expériences tendront avec les années vers des desseins divers allant de la secte à la simple communauté hippie en passant par celles prônant la violence pour renverser le système. Conty fait partie de cette catégorie. Quittant la ferme d’origine, il s’installe à Rochebesse en 1969, sur la commune de Chaneac. La communauté s’agrandit, Conty en devient le leader contesté mais tenace. Les paysans voient d’un mauvais œil ces jeunes venus de la ville. Que cela ne tienne, Conty s’impose avec les poings et le fusil. Il se constitue un stock de dynamites et d’armes. Les vols et les braquages vont devenir monnaie courante dans ce coin oublié de la France. La communauté se maintient partagée entre le respect du Livre Rouge ou de ses déclinaisons et les inflexions liées aux différentes personnalités. L’amour se veut libre mais la jalousie est prégnante et sous-tend toutes les relations. L’obligation de quitter les lieux va être le déclencheur d’une fuite en avant qui conduira Conty et ses comparses à braquer une banque et entamer une chevauchée meurtrière…
Le récit devient rapidement captivant tant l’auteur s’attache à retranscrire au plus prés le vécu de ces personnes avec une réelle volonté de synthétiser les faits marquants dans la vie de Conty. L’objectivité transparait dans sa description des faits : sans chercher à diaboliser ou encenser le personnage, il essaie de restituer sa vie. L’utilisation de « Pierrot » par l’auteur constitue-t-elle une forme d’accointance avec le personnage ? Oui et non car si l’auteur semble garder quelques traces de nostalgie de ces expériences communautaires et de cette population, l’écrivain-journaliste s’assure une distance lui permettant de ne pas afficher d’affinités trop visibles.
Le parcours de vie de Conty possède certes sa singularité, néanmoins il révèle une fascination pour la violence partagée par cette génération. La Résistance, la guerre d’Espagne ou encore les guérillas en Amérique Latine ont constitué autant de modèles pour celle-ci en manque de sensation dans la France paisible des Trente Glorieuses. Action Directe ou les Brigades Rouges en seront l’illustration la plus visible mais la destinée de Pierre Conty nous permet une plongée dans un coté sombre de la France des années 1970 si loin et si prés à la fois de notre époque.Paru aux Editions L’échappée

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A propos de Julien CASSEFIERES

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