C’est en 1987 que je découvre sans le savoir la musique yéménite moderne. J’ai 15 ans et le Paid in full d’Eric B. et Rakim¹ fait smurfer mes neurones. Mais c’est une voix orientale féminine, samplée dans le morceau, qui nous ensorcellera tous : la voix acapella utilisée à 35 secondes, juste après qu’une autre vous commande d’augmenter le volume : « Pump up the volume, pump up the volume ! ».
Cette voix, alors totalement inconnue sur les ondes, est celle de la chanteuse juive yéménite, Ofra Haza². Avec un léger vibrato oriental et une douceur sidérante, elle chante :

Si les portes sont verrouillées
S’il n’y a plus de pitié dans le monde
Les portes du ciel ne seront jamais barrées.
(Im Nin’alu / Dal Thae Na Divim / Dal Thae Marom / Lo Nin’alu)

Nous sommes donc en 1987, un groupe de hip-hop noir américain entre dans l’histoire avec ce tube, une israélienne en fait le refrain, certainement à son insu, mais on est allé chercher sa voix à elle. 1987 c’est aussi la première intifada. N’allez pas chercher de parti pris là dedans. Pas de pro ceci ou anti cela dans ce geste musical. Seulement l’essentielle et simple évidence : toutes les voix du monde, aussi éloignées qu’elles puissent l’être culturellement et géographiquement, chantent  les mêmes chansons. Des chansons qui comme on dit chez les rappeurs, mais pas seulement, ne disent qu’une seule et même chose : ONE LOVE !
Oui une seule et unique force d’amour, universellement répandue. Cette force transcende les frontières sans être une marchandise. Elle réunit ce qui est opposé. Elle redresse ce qui est tordue et lave ce qui a été sali.  Cette force n’a pas d’âge et n’a d’autre but que de reformer la grande Tribu primordiale de l’Humanité.
Ce que je vérifiai en assistant au concert des trois sœurs d’A-Wa au Vercors Music Festival d’Autrans.

Depuis peu, les sœurs Haim (Tair, Liron et Tagel) qui forment le trio,  tracent leur sillon dans la musique orientale qui s’écoute en occident.  Elles sont les petits enfants de la génération de juifs qui ont quitté le Yémen pour Israël au moment de la création de cet état. Les petits enfants du « Tapis Volant », du nom de l’opération secrète qui a permis l’exfiltration la  quasi-totalité des Juifs du Yémen.
Les sœurs (28, 32, et 34 ans) passent leur enfance à Shaharut dans la pointe sud du pays, aux portes du désert. Leurs parents sont des amateurs éclairés de musique, leur père notamment qui écouté beaucoup de musique grecque, et son tango, le rébetiko. Au collège c’est un professeur de musique, américain d’origine, qui leur fait découvrir Judy Garland ou encore les Andrews Sisters.
C’est Tair, l’ainée, qui la première embarque pour une carrière musicale, alors que ses deux sœurs, Liron et Tagel, suivent d’autres chemins, respectivement architecte et designer.
En 2010, elles rentrent toutes les trois à Shaharut. Là elles composent, enregistrent et mettent en ligne sur YouTube, leur première chanson, qu’elles interprètent en yéménite et qui attire l’attention.

Si sur ce morceau l’accointance avec un groupe comme Balkan Beat Box est frappante, les trois sœurs n’hésitent pas à changer de style pour créer le leur.


Rencontre avec A-WA, à l’occasion du Vercors Music Festival d’Autrans 2017

VK : Vous vivez toutes les trois dans la même maison ?
A-Wa : Nous avons habité dans le même appartement. Dans le salon, avec notre frère, qui est ingénieur du son, joue de la guitare et a tout le meilleur équipement, on crée un beat, on prend alors le clavier, la guitare, la darbouka, et on joue… C’est tout ! Aujourd’hui nous préparons notre second album. C’est un concept-album dans lequel l’histoire est très importante.  On se concentre plus sur les paroles, qui viennent avant la musique pour une fois.

VK : Quel en sera le sujet ?
A-Wa : On ne peut pas en parler aujourd’hui. On est en plein dedans. Tout ce qu’on peut dire c’est que c’est sur le voyage de toute une famille, du Yémen à Israël.

VK : Avez-vous quelques influences dans votre musique ?
A-Wa : Quand nous sommes dans notre living-room, toutes les trois, on commence toujours par chanter des chansons yéménites. On s’est très vite rendu compte que c’était comme le hip-hop. Du rythme et des paroles. C’est tout ! Nous sommes aussi marquées par la musique psychédélique que nous aimons beaucoup et un peu de reggae et la musique des Balkans.

VK : Quand vous êtes à plat, quelle phrase vous remonte le morale ?
A-Wa : Quelle question !! Peut-être cette phrase : « Je suis un p*** de professionnel ! ». A-Wa vient de l’argot arabe, qui veut dire « oui » ou « ok » et que nous avons mélangé avec du juif synonyme, pour ne faire un mot très positif.

VK : Quelle musique vous fait irrémédiablement danser ?
Tagel : Je dirais Sean Paul, n’importe quelle chanson de Sean Paul.
Leron : Michael Jackson !
Tair : Tu as volé ma réponse !! Alors je dirais Pharrell Williams et la musique latino ! J’ai toujours pensé que j’étais un fille d’Amérique latine !

VK : Dans le monde les rapports qu’entretiennent les hommes envers les femmes sont toujours très violents.
Tagel : Vous savez, quand notre grand-mère était au Yémen, elle ne pouvait ni lire ni écrire. Elle travaillait à la maison. Aujourd’hui on attend des femmes qu’elles aient une carrière professionnelle pleine de succès, qu’elles soient de bonnes mères et qu’elles s’occupent bien de la maison. Tout ça reste une projection masculine. Ce sont toujours les hommes qui tirent les ficelles et nous qui dansons autour comme des marionnettes. Nous devons être des femmes d’autant plus fortes qu’il n’est pas question de se battre contre les hommes pour changer leur rapport envers nous.

VK : Si vous deviez dire en une phrase courte ce que c’est que d’être une femme de nos jours ?
Tair : Pour moi être une femme dans ce monde c’est être un messager de l’amour ! Les rapports entre les gommes et les femmes sont basés sur une inégalité cruelle. Nous avons la chance de venir d’Israël, un pays d’Orient dans lequel les femmes peuvent étudier, construire leur propre famille. Nous pouvons parler, chanter, nous sommes très chanceux dans notre génération. Notre grand-mère ne pouvait pas faire tout ça au Yémen en son temps.
Leron : Etre un messager de l’amour c’est vouloir changer le monde, mais d’une manière douce. Etre une femme c’est une situation très particulière. Nous avons la vie dans notre ventre.  Nous sommes très spirituelles et connectées à la nature de ce fait.
Tagel : Etre une femme c’est être une source de création. Notre nom de famille, Heim, signifie « vie » en hébreu. Nous sommes les sœurs de vie donc. (rires)

A-Wa par Vasken Koutoudjian

A-Wa par Vasken Koutoudjian


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[1] https://www.youtube.com/watch?v=E7t8eoA_1jQ

[2] https://www.youtube.com/watch?v=pkr1V9RZpi8

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