Quand il eut fini son œuvre, pour se reposer, le créateur plongea le diamant de son ongle dans le microsillon vinyle de l’univers qu’il venait d’inventer.
La mélodie des sphères remplit immédiatement l’espace. La créature qu’il avait voulue à son image, regardait, hypnotisée par cette musique. Défiant le divin, braquant le sacré, l’Homme s’avança pour toucher cet objet parfait qui tournait sur lui-même. Le créateur voulut l’en empêcher. Son index pointa vers le sol. L’animal humain posa les doigts de sa main sur la surface de cet univers, l’autre main sur le crossfader. Un grand scratch remplit l’espace pour l’ouvrir[1], et l’animal humain fut chassé du paradis en même temps que les dieux…
On raconte que c’est Grand Wizzard Theodore qui mit le premier ses doigts sur la platine pour arrêter le son quand sa mère l’appelait. Sacrilège ! Mais c’est Grandmaster Flash[2] qui posa les premiers termes de la formule.
Un nouveau langage est alors en passe d’envahir la planète…[3]
Au fil du temps et des passages de témoin, la platine et le mixeur deviennent de véritables instruments de musique. L’excellent documentaire Scratch[4] en explore toutes les facettes actuelles.
Rayon du Fond maintenant, est une structure atypique que porte entre autres le rappeur Vîrus et son ancien DJ, Bachir. Depuis 2010, la petite équipe autour de Bachir avait déjà sorti deux mixtapes.[5]
Un travail de connaisseurs passionnés qui nous emmène sur les chemins exigeants d’une culture trop mal connue. Des artistes, au sens éternel du verbe, qui ont consacré leur vie à vouloir repeindre les murs du son de nos cages mentales. L’objectif est de remettre à l’honneur ceux qui n’ont pas eu la chance de bien les avoir, alors qu’ils en représentent un apport majeur à la culture.
C’est le cas entre autre avec la première de la série sur le groupe californien The Nonce. Un groupe sur lequel il n’y jamais eu de rétrospective et pour qui Rayon du Fond se retrousse les manches pour nous ouvrir les oreilles.
Et après un groupe de rap méconnu, des producteurs majeurs mal-connus : Bomb Squad qui produit le son de Public Enemy.
Bachir – pour compléter cette approche du genre qu’il veut exhaustive – sort le volume 3 et c’est tout naturellement qu’il le consacre à un DJ.
Et pour cela, Rayon du Fond frappe fort, en posant sur la table un de ceux qui ont fait de la platine un véritable instrument de musique, qui aujourd’hui peut apporter la consécration à un DJ comme DJ Shadow, plus connu grand public. Mais les vrais hommes de l’ombre sont là, loin des têtes de gondoles. Dans le rayon du fond, donc.
Comme me le dit Bachir, « D-Styles c’est le DJ préféré de ton DJ préféré, mais personne ne le sait ! »
https://youtu.be/tuyfbdss3zY
Pour le site très spécialisé Abcdr du Son[6], Bachir (DJ donc, chroniqueur pour le même webzine, animateur d’une émission sur, Radio HDR[7]) parle mieux que personne de D-Style[8].
Avec son album Phantazmagorea, D-Styles a écrit une nouvelle grammaire du scratching, dépassant la démonstration technique pour devenir plus musicale.
Dave Cuasito est né le 6 juillet 1972, aux Philippines. Il est membre en leurs temps des Invisibl Skratch Piklz et Beat Junkies. Ce premier album solo, réalisé en 2002 sur Beat Junkie Sound, a été qualifié par le très sérieux magazine anglais Fact[9] comme la parfaite évolution de l’addiction aux samples hip-hop : un album entièrement fait de samples manipulés par la main de l’homme et passé par son cerveau.
Mais qui mieux que D-Styles sinon lui-même pour s’exprimer sur le sujet ?
C’est ce que nous avons fait en lui posant des questions auxquelles il a bien voulu répondre à l’occasion de sortie de D-Styles, the Only Mixtape.
Interview avec D-Styles, le cerveau de ses deux mains !
Vasken Koutoudjian : Tu es né aux Philippines en 1972. Quand et comment es-tu arrivé aux USA ?
D-Styles : C’est mon père qui est parti d’abord. Nous l’avons rejoint avec ma mère un an plus tard. Je suis fils unique et j’avais un an quand j’ai quitté Cebu aux Philippines. A la maison mon père mettait la musique très forte. J’imagine que c’est comme ça que je m’y suis intéressé !
VK : Justement quels ont été tes premiers contacts avec la musique ?
D-Styles : Quand j’avais 9 ans, pas mal de gamins jouaient au basketball dans la rue. Des plus vieux étaient là aussi. Ils avaient ce poste, Boom Box Radio qu’ils faisaient jouer. J’écoutais beaucoup Grandmaster Flash and the Furious 5, ils faisaient péter Rick James et Gap Band. Je me souviens la première fois que j’ai entendu Planet Rock[10] comme ça. Ce morceau m’a soufflé par terre !
VK : Comment as-tu découvert le turntablism?
D-Styles : Mon voisin avait une platine et une mixette. Il m’a montré alors comment mixer et scratcher. Quand j’ai vu ça, j’ai su que je voulais la même chose chez moi. Alors ma mère m’a acheté une petite table de mix’ comme il se faisait à cette époque et j’utilisais la platine de mon père pour scratcher comme ceux que j’écoutais !
VK : Des origines à nos jours, toi qui a été membre de crews légendaires comme Beat Junkies, comment vois-tu l’évolution de l’art de scratcher ?
D-Styles : C’est en constante évolution. Il y tellement d’excellents scratcheurs de nos jours. Internet à beaucoup joué pour accélérer les choses. On voit maintenant chaque pays apporter son propre style, sa propre culture à travers une façon de scratcher.
VK : Justement comment les combos[11] évoluent-ils pour toi ?
D-Styles : Je ne pense pas au scratch en termes de combos ou de modelés[12]. Il n’y a pas une bonne ou une mauvaise formule pour scratcher. Si ça sonne bien, fais-le! Ne commence pas à chercher combien de boutons tu pousses.
VK : Qu’essayes-tu d’atteindre avec le scratch ?
D-Styles : J’utilise le scratch plutôt pour faire de la musique. J’utilise la platine comme on utilise une console MPC[13]. Je prends le son d’une batterie ou d’un clavier et je retourne le son. J’en fais la propre composition.
VK : Dj Q-Bert pense pouvoir entrer en communication avec les extra-terrestres par le scratch. Et toi ?
D-Styles : Malheureusement je n’ai pas ce genre de pouvoir. Mais je crois qu’il y a une forme de communication qui arrive entre des musiciens sur scène, qui échappe aux autres formes de langages. Un bon musicien sait où il va aller avec la musique qu’il joue, et ce dont elle a besoin pour se développer. De plus depuis l’aube de l’humanité, il y a toujours un message dans l’Art.
VK : Justement quel serait le tien ?
D-Styles : Il n’y a pas qu’un message, mais « des messages » à travers différentes humeurs musicales. Certains morceaux sont bons pour rouler vite. D’autres pour courir. D’autres encore quand vous devenez dingue !
VK : Si tu n’avais pas été DJ, que penses tu que tu serais devenu ?
D-Styles : J’ai toujours été dans le design graphique et la photo alors sans doute que je ferais un de ces trucs là.
VK : Et pour finir, quelle est la question qu’on ne t’a jamais posée et que tu voudrais qu’on te pose ?
D-Styles : Ce que personne ne m’a jamais demandé en interview est contre toute attente ce que le « D » de mon nom signifie. « Doggy » quoi !!
Les Only Mixtapes de Bachir sur Rayon du Fond : http://rayondufond.com/the-only-mixtape/
D-Styles, the Only Mixtape sur le shop Rayon du Fond : http://shop.rayondufond.com/catalog/mixtapes/bachir-presents-d-styles-the-only-mixtape-cd/
[1] Un paradoxe : ouvrir pour remplir, soit deux mouvements opposés
[2] L’auteur du célébrissime hymne hip-hop, The Message
[3] Herbie Hancock et son morceau Rock It finiront de populariser le scratch
[4] Réalisé par Doug Pray (2001)
[5] Coquetterie de DJ, la K7 audio était LE support pour montrer ses mixs avant l’apparition du numérique
[6] http://www.abcdrduson.com/articles/d-styles-only-mixtape/
[8] Promis, juré, créché, j’ai écrit mon histoire de création du monde avant de lire le Big Bang de son titre !! Quoi ? On s’en fout ? Ok on saute et on revient à nos mourons plus haut…
[10] Afrika Bambaataa & the Soul Sonic Force
[11] Enchainement de différentes phases
[12] Dans le sens du mot anglais pattern
[13] Nom d’un sampler Akai très répandu
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Audrey Prud'Homme
Sacré Q hein ! ^^
Audrey Prud'Homme
Et sacré D aussi remarque