En 2013, Un homme avait semblé cristalliser de façon inattendue toutes les particules d’une humanité d’autant plus dense que traversée par le doute et la douleur qu’Albin de la Simone, talentueux musicien et arrangeur recherché, avait semées dans ses trois précédents albums. Après cette réussite justement remarquée, il était permis de s’interroger quant à la direction qu’il déciderait de prendre et ce n’est pas sans une légère appréhension mêlée des plus fols espoirs que l’on a vu arriver L’un de nous, enveloppé dans une pochette animalière signée Sophie Calle.

Avant de lancer le disque, il faut absolument prendre le temps de lire la note d’intentions qui l’accompagne dans laquelle le chanteur explique la genèse d’un projet placé à la fois sous le signe de la spontanéité et de la méticulosité ; deux années d’écriture intermittente au fil de voyages, deux jours d’enregistrement pour la voix et un piano fiévreusement recherché et imaginativement préparé, socle minimal et demeuré ensuite inchangé de l’édifice à venir constitué, lui, de nombreuses strates instrumentales mais aussi vocales en fonction de quelques invitées.
Il serait facile de trouver des ascendants à ces douze chansons, de William Sheller à Alain Souchon avec quelques détours par Charles Trénet voire Bobby Lapointe pour quelques rêveries surréalistes (L’un de nous) et cocasseries légères (À midi on m’a dit) ; toutes possèdent le point commun de receler quelque chose d’irréductiblement français dans leur art de la miniature à l’horizon large, comme cette carte postale conclusive au sépia tendre et amusé où un Ado traîne sa morosité le long des vagues de vacances où il « dépérit plus d’une heure sans téléphonie », mais également dans ce sens de l’ellipse pudique qui constitue une des constantes d’un disque abordant quelquefois des sujets graves sans verser un instant dans un pathos de pacotille ; Les chiens sans langue évoque ainsi l’existence dévastée de parents ayant perdu un enfant, Embrasse ma femme le suicide d’un homme, Ma barbe pousse un couple brisé par la stérilité. N’allez pas croire pour autant que l’atmosphère de cet album est plombée ; c’est, au contraire, un de ses tours de force de parvenir à un équilibre souvent miraculeux entre densité du propos et légèreté de la facture, un excellent exemple étant La fleur de l’âge, une chanson sur la fuite du temps où sinue, sous des mots d’une grande simplicité, quelque chose d’éperdu encore rehaussé par des cordes parées de splendides couleurs fauréennes. La tonalité générale est également considérablement allégée par les titres qui explorent de multiples facettes de la carte du Tendre ; même si les histoires d’amour n’y finissent pas toujours de façon heureuse (Le grand amour), même si l’incommunicabilité s’y glisse parfois entre les amants dégrisés des embrasements de la chair (À quoi, partagé avec Sabina Sciubba), le rappel de la nécessité de profiter de la présence de la personne aimée (Pourquoi on pleure) et la célébration de la chance de l’avoir à ses côtés (Une femme) sont autant de moments où une joie sereine finit par l’emporter. Notons, pour finir, que l’humour et la distance salvatrice qu’il entraîne ne sont jamais bien loin, même s’ils ne dissipent pas totalement quelques questionnements inquiets (Dans la tête et son petit manège existentiel).

D’une cohérence encore supérieure à son prédécesseur, L’un de nous est un album de la confidence dont le charme particulièrement prenant se renforce écoute après écoute. Outre la qualité de chansons ciselées avec art, on finit par ne plus savoir que louer le plus entre ce chant direct et raffiné, sans une once de préciosité, ces arrangements d’une rare finesse, cette intelligence et cette sensibilité que l’on devine partout à l’œuvre mais qui ont la suprême élégance de se faire oublier sous les apparences de la fluidité et de la simplicité. Le carrousel d’émotions que suscite Albin de la Simone avec autant de panache que de modestie est un théâtre d’ombres dans lequel chacun pourra en reconnaître de familières ou en côtoyer d’exotiques mais qui toutes ramènent à une même humanité ; en ce sens, le titre de ce disque qui, à n’en pas douter, figurera parmi les productions françaises les plus abouties de l’année 2017, acquiert une dimension universelle et on l’accueille véritablement comme l’un des nôtres.

1 CD ou LP, Tôt ou tard

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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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