On pourrait trouver nombre de raisons pour passer à côté du premier album de l’Australienne Alex Lahey à laquelle le succès de son très bon EP B-Grade University paru en 2016 a valu d’attirer l’attention d’un plus large public et du label Dead Oceans qui publie aujourd’hui I Love You Like A Brother. On pourrait jouer les blasés auxquels on a déjà trop vendu de filles à guitare pour qu’il s’arrête sur celle-ci avec ses airs d’adulescente, ou grommeler qu’elle joue un peu trop la carte de la décontraction et de l’auto-dérision sur la pochette de son disque comme dans ses vidéos pour être honnête voire substantielle. Soyons d’emblée clairs pour finir de décourager ceux qui n’avaient de toute façon pas l’intention de s’aventurer plus avant : Alex Lahey, dans les dix chansons qui constituent ce premier opus aussi concis que réussi, ne traite ni de métaphysique aristotélicienne, ni de mécanique des fluides (quoique) ; à l’instar de Montaigne, elle est elle-même la matière d’un ouvrage où elle aborde les rapports avec sa famille (la chanson-titre, pleine de clins d’œil complices, est née de la réconciliation avec son frère après une longue période de brouille), ses histoires d’amour qui finissent mal en général, ses espoirs aussi (le disque se referme sur un vibrant « I have nothing to lose »), autant de sujets que certains beaux esprit jugeront sans doute d’autant plus prosaïques qu’ils sont exprimés d’une façon généralement directe.

Qui soupçonnerait tout ceci d’être un brin trop simplet trouverait sans doute de quoi nourrir son dédain dans les trois premiers titres qui déboulent avec une franche énergie, comme Every Day’s The Week-End, un carpe diem mené tambour battant, ou Perth Traumatic Stress Disorder, où la beauté de la ville contraste avec son statut de lieu de rupture ; il se mêle cependant toujours à cette immédiateté des astuces textuelles qui ajoutent ici et là des touches d’un humour quelquefois doux-amer. Insensiblement, le ton change juste après cette triade d’ouverture ; I Haven’t Be Taking Care of Myself joue ainsi le décalage entre une ligne musicale musclée et des paroles évoquant les dégâts relationnels que peut entraîner le manque d’attention vis à vis de soi-même, puis Backpack instille en beauté la tendresse sans illusions de qui est amoureux d’un partenaire façon courant d’air (« It’s hard for me to put my arms around you/When your backpack’s on »), tandis qu’Awkward Exchange est une chanson de séparation lourde de l’amertume d’avoir vu une relation plus belle qu’elle ne l’était en réalité (« what we had just wasn’t that great ») immédiatement contrebalancée par le désir qui court tout au long de I Want U. Les trois chansons finales sont de très belles réussites, le sombre Lotto in Reverse et ses intermittences du cœur qui finissent par désorienter complètement (« Am I scared of losing you/Or am I scared to be alone ? ») enchaînant sur le vaillant lyrisme de Let’s Call It A Day, chanson de rupture aux luxuriants arrangements sixties (« We won’t ever know/I don’t wanna see where this could go »), avant que se fasse jour la fragilité touchante de There’s No Money, dont la note d’espérance finale résonne avec d’autant plus de force que ce qui manque à la narratrice n’est pas seulement l’argent, mais l’attention réelle de ses proches et une ferme direction à donner à son existence. Avec Backpack, ces ultimes titres esquissent sans doute ce que pourrait être l’évolution d’Alex Lahey si elle décidait de l’infléchir vers des territoires plus intimistes.

Pour l’heure, elle nous offre avec I Love You Like A Brother un premier aperçu particulièrement revigorant de ses capacités, un album futé, souvent ensoleillé malgré certaines de ses thématiques sur lesquelles la jeune musicienne a l’élégance de ne jamais s’appesantir, d’une sincérité assez désarmante, maîtrisé tant du point de vue de l’écriture que des arrangements, et plus subtil que ce qu’une approche superficielle pourrait laisser supposer. Aussi laissera-t-on volontiers les bougons à leur moue pour écouter et réécouter ces chansons qui démontrent à chaque instant que s’il a souvent été brisé, le cœur d’Alex Lahey n’en oublie pour autant jamais de battre avec générosité.

 

Alex Lahey, I Love You Like A Brother 1 CD / 1 LP Dead Oceans / [PIAS]

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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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