Entre chanson français et cinéma, Alexandre Chatelard semble composer la bande-son des films qu’il se fait dans la tête. On sent en effet combien ce jeune musicien fantasme à la fois sur une esthétique pop (on aura l’occasion de la développer plus loin, cette élégance seventies, ces tempos avachis mais distingués, ces discrets et plus récents ajouts électroniques) et sur le mode de vie qui va avec (a design for life, celui d’un Jacno sans l’ombre d’un doute, d’un Gainsbourg peut-être (le temps dira si comme lui il navigue dans différents styles) ou plus près de nous d’un Sébastien Tellier). 6 titres pour ce second Ep. (un premier nommé Les yeux verts, très bien lui-aussi mais moins bien quand même) dont deux instrumentaux (ouvrant et fermant l’objet) et donc cet équilibre entre musiques de film et chanson.
Du côté des ambiances cinémascopiques c’est par exemple cette Traque inaugurale en forme de bref motif (2m20) musical, celui évidemment d’un film français estampillé 70’s, en mode urbain, nocturne, sombre et noir, un peu comme un générique (ca tombe bien c’est en début de disque) avec ses nappes mystérieuses, sa guitare lointaine, son piano qui souffre de parkinson. C’est aussi cette Scène de crime finale (qui cherche plutôt à attenter à la pudeur de Joy ou d’Emmanuelle, c’est enfin cette Parade qui se pose comme un écho au travail de Gainsbourg pour Goodbye Emmanuelle, le titre sonnant un peu comme une chute (de rein) de studio d’alors, une chute qui copulerait avec le Sébastien Tellier de Sexuality, celui de Rocher par exemple. On rajoutera que Chatelard fait terminer son disque par un extrait de « L’homme qui aimait les femmes » de Truffaut (avec cette belle voix de Charles Denner).*
Les titres chantés rappellent bien souvent le Nino Ferrer grisâtre (et barbu) des vaporeuses années 70, le meilleur donc, on imagine d’ailleurs volontiers Nino poser sa voix sur tous les titres du disque. On pense aussi beaucoup à Jacno (il est particulièrement proche dans Etna) à travers l’usage des synthétiseurs comme pour la voix, Gainsbourg aussi un peu, Ignatus également (sur Reconstitution). Alexandre Chatelard vise haut donc vous l’aurez compris, il vise haut mais retombe chanson après chanson toujours parfaitement sur ses pattes, un signe certain de talent.
De l’amour et des cendres convoque quelques arpèges de guitare qu’on aurait pu entendre sur le Moon Safari de Air, une très belle chanson so frenchy, ambiance pantalon pattes d’eph’, soleil, campagne, pensez au buccolisme de la scène du canal dans Les Valseuses de Blier, une quiétude qui ne serait pas troublée par l’envoi de Miou Miou au bouillon (les Valseuses filmées par David Hamilton ?)
Reconstitution est le titre fort du disque, c’est aussi le plus long, 4 minutes seulement mais remplies jusque la gueule. Un sacré mille-feuille l’air de rien avec du synthé en veux-tu en voilà, des cordes superbes qui s’imposent au fil des minutes, un solo (un thème plutôt) de guitare et puis un autre aux claviers (imaginez le Jean-Michel Jarre d’Oxygène qui jouerait avec une seule main) également. L’ensemble peut paraître déjà épuisant rien qu’à la lecture (l’écriture à l’étouffée sans ponctuation n’aide pas il est vrai, tant pis pour vous) mais c’est en fait tout le contraire, tout coule superbement et produit au final l’un des titres les plus excitants de ces derniers mois (pour ne pas dire années) du côté de la french pop, la concurrence pourtant ne manque pas. Il faut d’ailleurs parler de l’immense travail d’arrangement réalisé tout du long du disque et plus encore sur ce titre où chaque ligne de texte est ponctué d’un gimmick musical (cordes, synthés, guitare) et ce avec toujours beaucoup d’à propos, voici un homme doté d’une oreille musicale particulièrement affinée.
Si Alexandre Chatelard compose à l’ombre de plantureux anciens et de vigoureux nouveaux (La liste est presque close, rajoutons cependant François de Roubaix dans sa veine intimiste), L’Homme et la Femme n’en est pas moins une belle révélation et moteur déjà d’une attente fébrile pour le premier véritable album à venir cet automne.
Le disque existe en vinyle ou en digital, point de CD. Rendez-vous sur le site du label, le vinyle est par ailleurs magnifique (je dis ça je dis rien).
A noter que le bonhomme étant signé sur un label estampillé Electro, Ekler’o’shock , un Ep. digital de remixes du titre Reconstitutions est également disponible, un Ep. de grande qualité qui développe sur diverses ambiances la superbe matrice mélodique.