Arman Méliès – AM IV (At(H)Ome)

Arman Méliès sait se faire désirer.

4 ans séparent AM IV de Casino son précédent album solo, si beau que notre impatience grandissait. Et pourtant, ces quatre années furent loin d’être silencieuses. S’il mit ses talents de compositeur au service des autres – Bashung, H.F. Thiefaine ou Julien Doré qu’il accompagnera comme guitariste durant sa tournée. Ses projets electro instrumentaux proches du post-rock avec Gran Volcano et Basquiat black kingdom sur son label « Lait noir records » anticipent plus encore sur cette étonnante métamorphose sonore que représente AM IV, vers des cieux plus synthétiques et cosmiques. L’irrémédiable mélancolie de Mélies est intacte – Méliès sera toujours un chanteur triste – mais transformée, gagnant en énigme harmonique ce qu’il perd en mystère du texte, désormais plus clair. Qu’on se rassure, ses mots sont toujours plus poétiques et sibyllins que descriptifs et il nous offre même avec « Des Vitrines », un titre aussi impénétrable qu’inquiétant, révélant une attirance pour l’abîme et l’emprise du néant (Et le vide au dessous, attend). N’en dire pas plus que son climat de menace, son ciel bas et lourd, livrer au plaisir de l’hermétisme et du simple mot-alchimie, c’est d’ailleurs ce qui le relie définitivement à Bashung (pour lequel il avait composé ce diamant qu’était « Ivres » l’un des plus beau duos du chanteur de Fantaisie Militaire).
Cependant dans l’ensemble, avec AM IV, Méliès semble enfin lever un voile sur le sens. Ses phrases nappées de brume, livrées au chagrin et à la mélancolie, s’éclaircissent un peu. Et que chante Méliès ? Les parfums vénéneux, les amours mortes et les passions consumées. Il ne cesse de mettre en musique la fin, et ce dès le premier titre, ce magnifique « L’art perdu du secret » qui stigmatise le poids de notre époque, destructrice de sentiments. Son langage subtilement symbolique met en relief une douleur de la rupture exhibée de manière obscène (Et la fin en fanfare, pas un mot qui ne soit nu), lorsque chacun est invité à partager le jardin secret du couple, foulé aux pieds par les « confidents virtuels » et ou même la fin échappe à ses deux acteurs. De l’amertume, toujours de l’amertume pour cet album à la fois moderne et plongé dans la nostalgie d’un vieil eden, la persistance d’une mémoire du cœur comme ultime refuge face aux regrets.

Chez Arman Méliès, les amours sont éteintes et les étreintes de beaux souvenirs. Les aimées, il leur offre des prières quand tout ne ressemble plus qu’à un rêve éloigné (« Dans la cendrée »), il les appelle (Si je plonge, plongeras-tu mon aimée ?/ Si je songe retourner à tes pieds ?). Ces regrets et ces sentiments qu’on aimerait ranimer sont toujours évoqués avec la préciosité d’une plainte guidée, par le besoin et le manque.

Bercé par un autre siècle, Arman Méliès est un romantique, au sens littéraire du terme. On y retrouve le même idéal perdu de la femme aimée du 19e d’un homme qui se meurt d’amour et contemple une statue vénérée et inaccessible, et le retour à l’antique. A la manière de Didon s’enflammant d’amour, les métaphores du feu et des cendres parcourent AM IV, venant traduire le déchirement amoureux entre plaisir et torture, comme en témoigne « Mon plus bel incendie » et son émouvant refrain : Mon plus bel incendie, comme je t’ai regretté et partout je me plais à ranimer le brasier. Les ombres spectrales des ruines pompéiennes (« Pompéi ») lancent autant d’appel à l’au-delà que les lacs suisses où les rencontres se font à la faveur de la nuit, renvoyant aux nouvelles de Gautier ou aux paysages de Friedrich. On pense parfois y croiser des fantômes, être invités à les suivre de l’autre côté, mais nous n’en sommes jamais tout à fait sûrs : Demande moi mon alliée, mon amie ; le cœur encore fumant des ruines de Pompéi. Les lieux évoqués sont autant de fantasmes, l’immensité de l’horizon n’étant que le reflet du paysage mental.

Sans avoir pour autant abandonné la guitare toujours aussi mélodieuse Arman Méliès immerge AM IV dans une ambiance planante et vaporeuse héritière du Krautrock et de la space music allemande des années 70-80, générateur d’autant de sensations oniriques. Les nappes synthétiques mélancoliques et la douceur lancinante de sa voix installent une atmosphère flottante, qui rappellent Klaus Schulze ou le meilleur de Tangerine Dream. Et pourtant Méliès, dans son spleen électronique, n’oublie pas son amour de la pop, la grâce synthétique courtisant parfois les tubes de Giorgio Moroder, sa reprise instrumentale de « Mes chers amis » renvoyant même au générique de début du Scarface de DePalma. Lorsque la boite à rythme s’emballe, Alain Chamfort semble se faire brusquement percuter par Taxi Girl. C’est tout le talent de Méliès que de savoir entremêler les délices des années 80 à son désir d’expérimentation, toujours capable de revenir de l’un à l’autre. Son sentimentalisme lui joue même des tours en l’espace d’une chanson un peu faiblarde, une « Arlésienne » plus mièvre que les autres.

Peuplé d’effluves baudelairiennes, le monde d’Arman Mélies témoigne d’un certain goût du sombre, du morbide et de la nuit qui sans jamais dire tout à fait son nom, se nimbe d’une clarté lunaire. Dans un « Silvaplana » en trois parties, l’un des plus beaux moments de l’album, Méliès intègre sa chanson entre deux hypnotiques instrumentaux, prenant le temps d’installer un climat cynégétique liquide et anxiogène. « Röcken » ouvre le bal sur une berceuse inquiète, poursuivant par la valse lente dansée par des automates, en osmose l’eau noire du verbe (« Schwarzwasser ») : un jour au lac à minuit ; mon vertige me mène à tes pieds. Et enfin, comme une apothéose, « Der Antichrist » conclut dans une tension dramatique et lyrique digne du Stratosfear de Tangerine Dream. Elle est bien là l’évolution, la maturité de AM IV, dans cette sensation que Méliès à enfin trouvé une matière sonore adaptée à ses mots. Sans prévenir, les harmonies oniriques se sont fondues au texte. Elles ont effacé les contours du réel et nous ont entraîné vers l’ailleurs. Combien de chanteurs français peuvent se vanter de nous inspirer un tel goût du vertige ?

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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