Les premiers albums qui soulèvent l’enthousiasme sont légion. Plus rares ceux à le maintenir au fil des écoutes, à révéler un véritable potentiel. Comme Dogrel – pour s’en tenir à un passé récent – laissait deviner le réservoir qui allait propulser Fontaines D.C., Scream from New York, NY fait briller les promesses portées par Been Stellar – le fait que les Irlandais aient choisi les Américains pour ouvrir leur tournée outre-Atlantique l’automne prochain ne doit sans doute rien au hasard.
Bien que ses membres n’aient pas grandi sur les rives de l’Hudson, ils revendiquent leur ancrage new-yorkais qui, couplé au grain de leur son, leur a valu des comparaisons avec les Strokes. Les choses sont plus complexes. Interpol ne s’y est pas trompé, invitant en concert le quintette auquel l’unit une tension gorgée d’électricité – « My Honesty » sur l’EP paru en 2022 témoigne d’une filiation indiscutable que « Passing Judgment » réaffirme aujourd’hui en la dépassant à grand renfort d’explosivité. L’Angleterre les a aussi vite reconnus ; la signature sur le label londonien Dirty Hit en atteste. De fait, l’ombre de Radiohead (première manière) plane sur « I Have the Answer », vague majestueuse dévorée d’un feu sombre sur laquelle se referme Scream from New York, NY qui atteste une digestion achevée de l’esprit shoegaze, loin d’une imitation servile.
Même s’il propose quelques moments plus calmes à défaut d’être apaisés (« Pumpkin », ballade désabusée), l’album frappe d’emblée par son énergie viscérale, souterraine, urbaine ; par son élan romantique, au sens plein d’un mot qui n’a rien à voir avec une guimauve qui poisse les doigts, où la détermination farouche n’a d’égale que l’imprévisibilité des émotions. Dès ses premières notes, « Start Again » gronde d’une menace tellurique vite déchaînée, tandis que « Scream from New York, NY » instaure une montée inexorable qui, l’air de rien, saisit à la gorge et suffoque (« A gasping confirmation that they exist/It echoes through the city and passes on »), sensation claustrophobe reprise de façon obstinée dans « Can’t Look Away », scansion mécanique et mur du son pour convoquer avec force les visions d’un cauchemar dont on n’arrive pas à détourner les yeux. Après un « Shimmer » au bord de la dislocation, « Takedown » semble groggy mais délivre pourtant une montée lyrique inattendue qui chavire un cœur à nouveau ballotté au long d’« All In One » au fil des atermoiements de la volonté, y compris dans une forme tout en dérapages contrôlés.
Saluons la qualité d’écriture, l’efficacité de compositions qui s’enchaînent sans temps faible, un son dont le caractère direct préserve l’impact, avec un rien de saleté pourtant jamais débraillée – la production éclairée de Dan Carey n’y est pas pour rien. Un premier album libre, maîtrisé, incandescent.
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