Benjamin Biolay – Vengeance (archives)

Il aurait pu sembler curieux de prime abord à nos lecteurs les plus assidus (notez toute l’arrogance du pluriel) de ne pas lire sur Culturopoing quelques mots sur le nouvel album de Benjamin Biolay alors même que le précédent avait fait l’objet d’un solide pensum collégial. S’il est vrai que le véritable digest proposé sur La Superbe rend fatalement décevant son successeur (ou alors on parle des Beatles recomposés là) il faut également dire que les premières écoutes dudit nouvel album ont sinon accablé du moins simplement et impitoyablement… (roulement de tambour, public qui retient son souffle)… et bien ennuyé quoi.
De l’ennui voilà, les chansons glissaient les unes après les autres sur nos oreilles soudainement verglacées. A vrai dire une seule chanson (et puis le refrain d’une autre) sortait du lot, voilà tout. Mais on s’ennuyait enfin presque. La faute à un trop peu de titres forts (là où La Superbe commence déjà par cette sublime chanson éponyme) ou bien autre chose, oui autre chose.
Si le mélodiste Biolay peut par moment indifférer quelquefois émouvoir et le plus souvent plaire, le parolier quant-à-lui s’éprouve davantage dans le chaud ou bien dans le froid, l’émotion qui s’invite ou la perplexité qui gagne. Un jugement que les deux premiers titres de l’album renforce, que cela soit « Aime mon amour » au refrain textuellement embarassant[i] ou ce duo avec Vanessa Paradis plutôt joli mais proprement salopé par des rimes plus que précaires (Courte/Courte/Foutre bah tiens) d’autant que bien témérairement mis en avant sur le refrain. Deux chansons très Taratatesques certes, de la graine de prime time ou de rotation lourde sur France Inter, pas forcément donc la sève où nous nous nourrissons le plus souvent.
Mais l’impact prolongé du beau morceau puis l’écoute répétée du disque  fait peu à peu son oeuvre et nous voilà enfin à savourer sinon l’ensemble du moins une majorité des chansons collectées par Biolay pour ce qui est déjà son 6ème album[ii]. Rien que la chanson qui suit les deux premières tenez, « Le sommeil attendra » avec son rythme imparable et sa mélodie vocale qui s’y frotte mais ne s’y pique pas, joli moment. Oh certes il n’y a pas là de quoi se relever la nuit pour le réécouter mais tout de même du bel ouvrage. Mais s’il est entendu comme le dit le proverbe que « La nuit éclaire le jour qui suit » alors vient le solstice d’été de l’album.
« Sous le lac gelé », cinq minutes environ mais l’impression du double tant il se passe ici des choses. Des choses côté musique : ce gimmick sur lequel se greffent quantité de petits climax, ce synthé bien gras à la Dj Hell, ces ponctuations de couplets, ce pont divin, olala oui, le métronome final qui atteint les sommets sans jamais changer de braquet. Des choses il s’en passe aussi du côté de la voix. Francais et anglais, Biolay qui chante chemise largement déboutonnée, gorge en avant, lachant une bride imaginaire non pas tant dans l’emphase (c’est pas du québécois) que dans le chaloupement et le swing, une mélodie vocale propre à chaque ambiance, une voix cristalline féminine en appoint, ne changez rien. Des choses il s’en passe enfin du côté des paroles, ces gens jadis si proches mais aujourd’hui séparés par une fine couche de glace pourtant infranchissable (1), ces pensées qui vagabondent au fil d’une rêverie nocturne l’oeil fixant le plafond jusqu’à plonger dans le grand bain matelassé (2), ce voyage en train (cette vitre encore, cette fine couche pourtant infranchissable) dans un paysage froid et sec, non pas désert mais déserté (3). Faites vos jeux. Le manque en tous les cas, follement, éperdument, douloureusement. Voilà sans doute subjectivement parlant le sommet musical de toute la carrière passée et présente de notre bonhomme, rien de moins hop, une chanson monstrueuse au sens le plus divin du terme.
Et là Benjamin il faut te dire qu’enquiller derrière avec « Venganza » fait retomber méchamment le soufflet. Certes imaginer une reprise tourmentée et en espagnol de « Brandt Rhapsodie » avec un refrain à trompettes est cocasse, cocasse mais vain. Passons. Next[iii].
Le new-wave et plaisant « Marlène déconne » suit puis le plus intimiste et musicalement (encore) inspiré « Personne dans mon lit ». Plus tard dans l’album se retrouve encore cette association avec le rebondissant et épatant « L’insigne honneur » et le plus endormi « Trésor Trésor ». L’occasion avec « Ne regrette rien » de relever le nombre impressionnant de duo/collaboration/featuring/avec-la-participation-de sur cet album avec pas moins de sept invités sur un total de quatorze titres. Des voix féminines ici ou là, plutôt dans la veine délicate et fragile que dans l’optique Brigitte Fontaine évidemment. Du dandy néo-décadent avec Carl Barat (ex-beaucoup de groupes, ce qui est un peu sa carte de visite il faut bien le dire) pour un titre très Pulp même si tiens tiens on y retrouve le refrain anglophile et à trompettes de « Venganza ». Deux rappers également Orelsan et Oxmo Puccino. Orelsan pulse ce » Ne regrette rien » jusqu’ici plutôt tranquille (les premiers couplets de Biolay s’accordent avec une mélodie proche du « Sunday » de Bowie) pour en faire du rentre-dedans avec prestance alors que Oxmo illumine une des plus belles pièces du disque, ce « Belle époque (Nightshop 2) » déjà cité en creux plus-haut quand il était question d’un splendide refrain et dont le groove swing/soul est simplement irrésistible.
On aurait pu craindre de ses collaborations un côté fourre-tout et décousu mais il n’en est rien ici et c’est bien au contraire les joies de la diversité qui sont à l’honneur. Car dans la continuité de La Superbe ce disque conforte l’éblouissant talent de Biolay et son aptitude à manier avec célérité n’importe quelle glaise musicale, la force de ses mélodies, sa virtuosité des arrangements et le plaisir simple de sa voix. S’il souffre de soubresauts qualitatifs Vengance reste toutefois un très bon album qui mérite qu’on s’y attarde, surtout qu’on s’y attarde.

 

 

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