Catastrophe – « Gong ! » : Le Temps n’existe pas…. (entretien)

« Demain n’existe pas, demain n’existe plus »[1] 
Le temps fuit comme Dillinger »

Catastrophe

C’est dans le précédent album du groupe Catastrophe qu’il m’a semblé entendre une des clés qui ouvre la porte de la scène magique sur laquelle ils jouent. Magique car il y a un peu de ça dans ce combo improbable qui convoque pèle mêle sur scène aussi bien le Big Bazar de Michel Fugain et Michel Berger que le funkadelisme frenchy le plus joyeux avec « Dance Tes Morts » ! C’est le premier groupe que j’entends chanter ce sentiment nouveau dans notre histoire, celui de notre disparition en tant qu’espèce, le sentiment d’échec de la seule mission que nous incombe, vivre simplement. Ainsi nous en sommes incapables et la fin de l’histoire que L. Buñuel regrettait tant de ne pas connaître avec sa mort à lui, nous risquons bien de la connaître.

Alors maintenant ou jamais… mais quoi ? Catastrophe est un groupe bien plus intelligent que l’on croit et bien plus en phase avec notre époque que ce que l’on pourrait imaginer. Deleuzien Catastrophe ? En tout cas protéiformes, touchant à tous les supports (musique, comédie musicale, émissions vidéo…) et explorant toutes les pistes en éclatant les cloisons. Puisque c’est la fin du monde, rien n’est vrai, tout est permis.

Catastrophe est une machine à miracles. Tout y est pensé pour suggérer la liberté de l’improvisation d’un contre temps. Comme ce « bouge » lâché sur le 4ième et dernier temps de la mesure du morceau « Encore ». Un contre temps qui relance, une césure qui fait monter d’un cran l’énergie portée par le groupe.

Où en est-on des degrés de lectures de textes volontiers néo-surréalistes du groupe ?

« Informations, que des pulsions
Des piles de notifications
À la place du cerveau (quoi)
Comme un sandwich-mayo (rien) »

Un mélange de chroniques-témoignages crépusculaires mais dans la joie des chœurs, d’un monde sur le déclin. Youpi !

« Social Network » est ainsi une parodie de morceaux publicitaires d’entreprises qui ont pu fleurir depuis les années 70’ :

Mais le monde a changé, il court à sa perte à présent et demain n’existe plus. Par un magnifique duo entre Arthur Navellou et Blandine Rinkel, le groupe lâche une chanson crépusculaire sans lendemain, puisqu’il n’existe pas. Mais par un retournement qui n’est pas sans rappeler Schrödinger racontant comment arrêter le temps, en embrassant les lèvres de l’être aimé, Catastrophe n’a bien que l’amour comme rempart à la fin du monde.

 L’album est d’une richesse si rare qu’on risque de passer à côté, habitué de la zapette facile. Alors qu’il y a là une bande son de la marche des empereurs défroquée, humains aux épaules poussiéreuses des ruines de leur maison. Visages et un virage pour sortir du naufrage. La multitude n’est plus une servitude. Mais l’occasion de retourner la fatalité. La cécité s’empare de nous comme la nuit du jour.

 Avec Catastrophe, l’autre, l’humain, reste quoiqu’il arrive celui qui marche, seul, puis à deux, puis à 10, 100, 1000000…  A l’image de la transe qui prend le morceau. Alors oui, l’écoute de Catastrophe aide à prendre la vie comme elle vient et cet album est fortement recommandé par votre médecin ! La fête, car leur musique est une fête, va jusqu’au au bout du monde et dans un final totalement libérateur, dans lequel rester sur sa chaise est mission impossible, où la mort elle-même se vêtit de strasses et de paillettes pour hurler sous la lune à facettes : Wooo ha ha ha !

 Alors l’univers peut bien continuer sans nous de toute façon, danser est pour le petit homme que je suis une manière d’être encore vivant.

Interview

Vasken Koutoudjian : D’où venez-vous ?

Carol : On vient d’horizons divers. Blandine qui chante vient de Rezé près de Nantes. Arthur vient de Chartres, Pierre et moi on vient de Paris, Bastien le batteur vient de Toulouse, Pablo Brunaud, le bassiste, vient de Saint Quentin en Yvelines.

 VK : Mais comment vous vous êtes rencontrés ?

Pierre : On s’est rencontré à la faveur de projets sur lesquels on a travaillé ensemble. Ce n’est pas une amitié préalable qui nous réunit, pas forcément pour de la musique d’ailleurs. Avec le temps on a développé des liens d’amitiés. Avec Arthur[2] on a commencé par faire de la radio. Avec Blandine au tout départ on a fait de la radio et du théâtre avec Arthur. La musique n’était pas le cœur du projet. On a fait énormément de choses différentes, on a testé beaucoup de choses avant de se focaliser sur a musique.

 VK : Quel âge vous avec tous ?

Pierre : On a, à peu près, tous une trentaine d’années.

 VK : Quel était le dénominateur commun à tous ces projets, s’il y en avait un ?

Arthur : L’envie de faire et d’inventer des nouvelles choses. Aussi la disponibilité, à la fois physique et d’esprit, à se mettre en danger, tomber les masques, être ridicule peut être et ne pas en avoir peur.

Carol : C’était aussi l’idée de faire quelque chose de plus qu’un simple groupe de musique ou qu’un spectacle de théâtre.

 « On est tous aussi très intéressé par le visuel. Sur scène on essaye de vraiment faire un spectacle, plus qu’un simple concert. »   

 VK : Quand on a de projets comme ça, on parle parfois de ligne éditoriale, de thème directeur, qu’est-ce qui vous fédérait à ce moment-là ?

Carol : Musicalement, la pop je pense. Un truc simple et accessible. Une volonté d’écrire aussi. Dire quelque chose sur l’époque. On est tous aussi très intéressé par le visuel. Sur scène on essaye de vraiment faire un spectacle, plus qu’un simple concert. Il y a de la danse, un travail sur les lumières, des tours de magie. Tout ça est dans la comédie musicale qu’on fait tourner. On n’a pas la place par contre de mettre ça dans les concerts que nous faisons.

Pierre : On s’est adapté pour faire quelque chose qui puisse passer dans les festivals mais on a aussi une forme plus travaillée.

 

VK : Vous explorez les thèmes de l’immensité de l’univers et de la petitesse de l’humanité. Comment le ressentez-vous à votre échelle individuelle ?

Pierre : C’est un peu le fil rouge inconscient de tout ce qu’on fait. C’est un thème qui revient assez fréquemment, la conscience de l’immensité de l’univers et de la petitesse de l’homme. C’est quelque chose qui hante nos vies dans le quotidien.

Carol : Oui c’est un thème générationnel qui nous hante de manière commune. On a grandi dans une époque le cul entre deux chaises, une partie pré-internet, une partie post. Une partie pré-attentats, une partie après. Cette transition nous travaille, nous fait réfléchir. On a l’impression de vivre dans un monde où il se passe en permanence des choses. Enormément de signaux nous sollicitent en permanence et qu’on ne comprend pas forcément. On essaie d’analyser ça quand on travail. Mais c’est une sorte d’angoisse générationnelle.

 VK : Que pensez-vous des prédictions (très sérieuses) de fin de l’espèce humaine ?

Pierre : On n’est pas au-dessus de ça. C’est beaucoup d’effroi. Alors il faut réussir à l’inverser. Qu’est-ce qu’il reste de possibles, qu’est ce qui nous rend encore humain. C’est concentrer tous les détails qui nous entourent, tous les gens qui nous apprennent des mots, tout ceux qui comptent pour nous. Ce serait trop étrange de les effacer d’un seul coup sous prétexte que tout va mal. Il faut regarder tout ça en face. C’est un peu notre vadémécum.

Carol : Paradoxalement ce genre d’information on peut les lire dans les journaux, en gros titre. « Dans trois générations l’humanité aura disparu » c’est très anxiogène, paralysant. Nous c’est un peu notre moteur. Il y a deux types de réactions face à ses nouvelles, soit en s’en fout par nihilisme ou réjouissance. Nous on se dit non, on ne veut pas se laisser aller.

 VK : Quelle est la genèse du morceau « Be Bop Record » ?

« Droit de répondre à une question qui n’a jamais été posée
Droit de poser cette question qui n’a jamais eu de réponse »[3]

Pierre : Elle est mystérieuse. Souvent les paroles de chansons apparaissent comme ça, d’un trou noir. Sur ce morceau j’ai écrit les paroles, complétées par Blandine, pour l’annoncer de droit au milieu du morceau. On ne cherche pas forcément à savoir d’où viennent les phrases qui nous accrochent. On va sentir profondément qu’il y a un sens, on ne va pas chercher à l’élucider. Les paroles de chansons doivent rester un peu mystérieuses, sinon ça devient des essais !

 « On a tous des tempéraments solitaires et c’est ce qui nous réunit. Le fait d’être en groupe nous protège et nous guérit de toute forme de complaisances. »

 VK : La solitude est un thème bien présent dans vos albums. Comment vous la ressentez ?

Arthur : Depuis qu’on travaille de manière collégiale, tous ensembles, on a besoin de solitude. On écrit tous à côté du groupe, Pierre fait beaucoup de musique, tard le soir. Si on est uniquement ensemble, on s’asphyxie.

 VK : La solitude n’était pas là avant de vous mettre en groupe ?

Tous : Si bien sûr !

Pierre : On a tous des tempéraments solitaires et c’est ce qui nous réunit. Le fait d’être en groupe nous protège et nous guérit de toute forme de complaisances.

 VK : Le morceau à cet instant. Qui a écrit ce morceau et quelle était l’idée qui l’a précédé ?

Pierre : C’est Blandine qui a écrit ce morceau.

VK : Ha et où est-elle ? A l’hôtel en train de prendre un bain ?

(Rires) Pierre, Arthur, Karol : Probablement !

 VK : Est- ce que le morceau « Encore » est comme un manifeste pour vous ?

Pierre : On n’aime pas trop le mot manifeste. Il implique une idéologie, une pensée théorique. Ce qui n’est pas le cas, ce n’est pas notre métier. Une chanson si ça passe trop par la tête ça devient mauvais. Il faut que le sens se fasse malgré nous. Je n’emploierai pas ce terme de manifeste. Mantra plutôt…

Arthur : « Encore » nous réunit parce qu’on arrive sur ce disque avant le Covid, avant la quarantaine et que les portes se ferment. Il y a une soif de vivre prémonitoire en quelque sorte. Ce sont aussi les premiers mots que Blandine a prononcé enfant : « Encore » !

Ce sont aussi les premiers mots que Blandine a prononcé enfant : « Encore » !

 Pierre : C’est aussi une réaction à « Solarstalgie », qu’après ça, quand on remet le disque, tout recommence encore ! Si on pense que la vie est cyclique, c’est important d’imaginer après, et après c’est encore.

VK : Il y a des nouvelles compos qui sont prêtes ?

Pierre : On travaille sur un nouvel album et sur un single, un morceau solitaire. On a un grand réservoir de textes, d’idées. Ce que l’on va en faire on ne sait pas encore. Mais après un an de confinement, on a des choses à faire.

 VK : Est-ce que vous connaissez le Big Bazar de Michel Fugain ? Alors c’est une autre époque (70’s) mais je trouve beaucoup de similitude entre ce projet et vous.

Pierre : Oui bien sûr. Nous aussi on essaye de raconter une histoire, on a des danseurs sur scènes. On essaye de faire du concert une grande célébration ! On essaye de faire un spectacle total.

VK : Pour finir, donner moi un morceau, pas du groupe, sur lequel vous danseriez immédiatement !

Arthur : Queen – Don’t Stop Me Now

Pierre : Doobie Brothers ~ What A fool Believes et aussi Todd Terje – Inspector Morse

Karol : Michael Jackson – Smooth Criminal

VK : Un morceau pour faire un voyage astral !

Arthur : John Carroll Kirby – Walking Through A House Where A Family Has Lived

Carol : Mort Garson – Mother Earth’s Plantasia 

Je le conseil à tous les lecteurs de cette interview. C’est un album à la base pour faire pousser des plantes.

VK : ça marche aussi pour les cheveux ? Et pour toi Arthur ?

Arthur : Funkadelic – Maggot Brain 

VK : Et pour finir en beauté, un morceau pour faire l’amour !

Carol : Otis Redding – Cigarettes And Coffee 

Pierre : Vivaldi Recomposed by Max Richter

Arthur : Anderson .Paak & The Free Nationals – Come Down

 

Catastrophe sur scène

https://www.youtube.com/watch?v=ojnYY8kVhvg

 

Liens

http://lacatastrophe.fr/?fbclid=IwAR34N0K4D33A8gHlmAXyNUPVfM1EFgxhx1z8j5U30sviJOnLMK6PDfOMi2c

https://www.youtube.com/watch?v=8-SLpzg-xj0

https://www.youtube.com/watch?v=0ejulsHPPJo

https://www.youtube.com/watch?v=2MqZ_vpgdSU

https://www.youtube.com/watch?v=23RVFZC0oHM

https://www.hachette.fr/videos/blandine-rinkel-et-pierre-jouan-collectif-catastrophe-presente-la-nuit-est-encore-jeune

https://www.youtube.com/watch?v=PGAE0HHs7wI

 

Photos du concert de Grenoble

https://www.flickr.com/photos/152052313@N07/albums/72157719574210083

 


[1] In « les méridiens » album Gong !

[2] Arthur Navellou, chant/chœur

[3] In “Be Bop Record”

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A propos de Vasken Koutoudjian

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