En découvrant, à l’occasion de sa réédition par Fire Records en 2017, Swell to Great, le premier album des « Écossais via le Lancashire » de Modern Studies, j’avais immédiatement eu la conviction de me trouver en présence de musiciens porteurs d’un véritable projet artistique ; ce galop d’essai n’était certes pas sans quelques menues faiblesses, mais la tenue de l’écriture et les audaces musicales n’en demeuraient pas moins évidentes — on ne rencontre après tout plus si souvent aujourd’hui un groupe choisissant de construire ses chansons en prenant comme point de départ la sonorité surannée d’un orgue de l’époque victorienne.
Attendue avec une curiosité confiante, la suite tient magnifiquement ses promesses. L’invite Welcome Strangers constitue un titre parfait pour ce disque intimiste et chaleureux qui vous ouvre les bras en vous conviant à passer en sa compagnie un moment tout de simplicité raffinée qui, pour peu que vous consentiez à lui accorder un peu d’attention véritable, fera danser à vos yeux et à vos oreilles des mondes insaisissables comme un rêve, précieux comme le temps offert et partagé. La musique de Modern Studies n’a rien de spectaculaire ; à la frontière du folk et de la pop, elle avoue une fréquentation aussi bien du jazz que du classique qui se ressent dans sa construction rythmique comme dans le soin apporté au traitement des parties de cordes et de cuivres, dont l’élégie embuée de « It’s Winter », le souvenir tremblé s’achevant en éclosion reviviscente de « The House » ou l’entrain parcouru d’un frisson d’inquiétude de « Horns and Trumpets » témoignent. À l’évidence, Emily Scott et Rob St. John, à la fois auteurs-compositeurs (sept morceaux pour l’une, trois pour l’autre) et interprètes à deux voix de l’intégralité des chansons, ont pris le temps de laisser mûrir leur écriture qui a gagné en fluidité et en efficacité sans rien perdre en pouvoir d’évocation voire en poésie épurée ; « Disco » est ainsi une évocation tissée avec pudeur et délicatesse autour d’une absence, « Phosphene Dream » une rêverie qui se déploie à la lisière incertaine de la veille et du sommeil et « Fast as Flows » une sarabande de réminiscences obsédante. Mais sous la surface doucement bistrée des souvenirs, la vie qui circule est intense et pleine d’une joie confiante que « Get Back Down » célèbre avec la fraîche simplicité de ton de qui se laisse envahir par le seul bonheur des retrouvailles avec les autres, famille et amis, et par ricochet avec soi-même, et « Young Sun » avec un émerveillement où s’insinue une part d’enfance touchante. Chez Modern Studies, intériorité ne rime jamais avec morosité ; s’il n’élude jamais l’inconfort de l’existence, l’univers que le quatuor suscite est enveloppant et rassérénant, et ses structures, pour complexes qu’elles soient – il y a énormément d’inventivité dans la façon dont la musique est construite, tant du point de vue de l’harmonie qui peut se révéler singulièrement sinueuse que des collages et superpositions sonores –ne tiennent jamais l’auditeur à distance, réussissant à toujours demeurer claires et abordables, comme le prouve « Mud and Flame » dont le dépouillement se laisse progressivement gagner et réchauffer par un lyrisme qui en élargit le cœur et la vision.
À la fois aventureux et familier, Welcome Strangers est, à mes oreilles, un des meilleurs albums parus depuis le début de l’année, une réalisation soigneusement méditée, ciselée, et pourtant étonnamment libre à laquelle rien ne manque et où chaque élément semble naturellement à sa place. Les quatre de Modern Studies semblent avoir trouvé le parfait équilibre entre rigueur et sentiment, et on n’a pas fini de répondre à l’invitation qu’ils nous lancent à se retrouver auprès du foyer accueillant et envoûtant qu’ils entretiennent pour nous.
Modern Studies, Welcome Strangers
1 CD / 1 LP Fire Records
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