Il y a chez Clarissa Connelly quelque chose d’un hermès, la divinité protectrice que les anciens Grecs plaçaient à la croisée des chemins. À la fois héritière et novatrice, l’Écossaise vivant au Danemark s’est fait connaître par ses compositions volontiers expérimentales. À un premier EP parfois autarcique (Tech Duinn, 2018) a succédé The Voyager (2021) où se mêlaient les recherches de la musicienne sur les mélodies attachées aux sites nordiques pré-chrétiens et une influence évidente de Kate Bush. Elle parcourt de façon plus décantée World of Work qui marque une avancée indéniable en termes de cohérence comme de respiration et d’équilibre – l’album gagne à être écouté en continu.

Portail d’entrée, « Into This, Called Loneliness » s’ancre grâce à des accords pesants autour desquels s’enroule une mélodie aux contours sinueux ponctuée d’effets choraux rappelant les interventions du Trio Bulgarka dans The Sensual World et ce ne sont pas les cloches (celles d’une église sur l’île de Bornholm) de « The Bell Tower » qui vont écarter la référence – on en retrouve les échos dans d’autres chansons, rappel immuable d’un son qui rythme la vie humaine depuis des siècles. Nouvelle variation sur la solitude, « An Embroidery » n’a rien d’abattu ; sans doute le fait que l’isolement soit choisi, vécu comme nécessité pour se trouver soi-même apporte-t-il l’énergie qui explose dans la coda, aux antipodes de l’irrésolution mutique de « Turn to Stone ». Il y a chez Clarissa Connelly une capacité à laisser toujours la porte ouverte à la lumière, y compris dans la vision d’apocalypse finale convoquée par « S.O.S. Song of the Sword ». De la tendresse, aussi – beaucoup, même. « Tenderfoot » jette un regard émerveillé sur le monde ; « Wee Rosebud », inspirée par la musique d’Hildegard von Bingen, se déploie comme une méditation à la fois mystique et sensuelle sur l’éclosion d’un bouton de rose. Spiritualité encore avec « Crucifer » coulé dans le moule pluriséculaire d’un dialogue allégorique entre terre et ciel.

On aimera ou pas la façon qu’a la musicienne de traiter sa voix comme un instrument, en agissant sur la diction (qui pourra sembler parfois artificielle), en procédant par surimpressions (comme jadis Enya, qu’elle s’enfermait pour écouter) ou distorsions, avec souvent des effets saisissants : sous les cieux menaçants de « Life of the Forbidden », les intonations font songer de façon troublante à Sinéad O’Connor. Recherches et trouvailles abondent dans ce World of Work où l’organique et le technologique se conjuguent sans cesse pour construire d’autres reflets de la réalité ; elles inscrivent sans pâlir cet album rétif aux catégorisations aux côtés des productions d’une Julia Holter. Clarissa Connelly continue à y ouvrir les portes d’une aventure intérieure qui semble ne jamais devoir connaître de fin.

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