Plus de 35 après sa mort, Daniel Balavoine reste une figure marquante de la chanson de chez-nous. Non pas tant du côté de l’imposante masse d’héritiers qui s’en réclamerait non pas tant du côté de l’aura mystique qu’il prodiguerait tel le premier George Brassens venu, simplement par le nombre de succès qu’il enregistra, simplement par la nature même de sa personne, simplement par la nature même de sa mort.

Mettons-nous de suite d’accord, il n’est pas question de faire de notre trublion à catogan l’égal des ténors du crachoir, un géant parmi les géants (d’ailleurs connaissez-vous un géant de la chanson française, un dieu de l’Olympe(ia), qui n’ait fait  qu’une dizaine d’années de carrière ? Hein ? Et oui qui dit ténor dit longévité, pas seulement mais déjà), c’était simplement un bon petit artisan avec ses qualités, son envie et bien entendu ses défauts.

Car il fut un temps où Daniel Balavoine ce n’était pas rien. Les vieux grincheux s’en rappellent, ceux pour qui Marc Lavoine sera toujours un gars à imperméable repris par les Charlots (Elle a la bouche camembert sur l’air d’Elle a les yeux revolver, tout un poème), ceux pour qui Michel Berger était un peu le Manolo Manolete de la guitare-claviers. Balavoine était une immense vedette en ces années 80, celles dont il ne vît jamais la fin (éparpillé façon puzzle dans un bout de désert Malien en marge du rallye Paris-Dakar en janvier 1986 je le rappelle à nos plus jeunes lecteurs), une vedette de la génération et de la popularité des Souchon, Voulzy, Cabrel & Co.

Allez un petit rappel rapide de barème ?

Né comme Alain Giresse en 1952 c’est dans la région de Pau que le jeune Daniel s’éveille à la vie,  décanille sa vertu et découvre les joies de la musique (vive le transistor) le tout en 18 petites années. Monté à Paris au début des années 70 pour y trouver gloire et fortune, il vécut d’abord quelques turpitudes professionnelles : Petit rôle dans la comédie musicale La révolution française, choriste de Patrick Juvet, seconde place de l’Eurovision en 1976 pour sa compagne Catherine « Bonjour Bonjour » Ferry sur une chanson composée par ses soins, un premier album sous son nom en 1975 resté confidentiel, un second en forme de concept-album autour des relations Est/Ouest (fouyouyouyouyouye) en 1977.

Ce n’est qu’en 1978, l’année de la mort de Cloclo (aucun lien), que sa carrière décolle vraiment avec son album Le Chanteur et la comédie musicale Starmania, une sorte de doublé à la Tom Hanks lorsque celui-ci tourna coup sur coup Philadelphia (« je veux mourir malheureux pour ne rien regretter ») et Forrest Gump (« quand on arrive en ville, on a pas l’air viril mais on fait peine à voir »).

Michel Berger, compositeur de l’opéra-rock, a recruté Daniel Balavoine pour le rôle de Johnny Rockfort. Il y chante « Quand on arrive en ville » ou encore le douloureux « SOS d’un terrien en détresse » sur l’album qui devient le plus gros succès de l’année (on parle de la comédie musicale la plus populaire de toute l’histoire), se faisant connaitre en Renaud Hantson du riche, en Ziggy de Baltard avec Fabienne Thibault dans le rôle d’Iggy Pop. Parallèlement sort son 3è album et le titre Le chanteur qui devient un tube à son tour, la France apprend à connaître Daniel Balavoine. Le spectacle Starmania qui se déroule en 1979 consolide ce vedettariat (il y a aussi France Gall, Fabienne Thibault, Diane Dufresne dans la distribution en passant) même si son 4è album sorti la même année ne rencontre qu’un succès mitigé.

1980 c’est l’année de sa célèbre altercation télévisée avec François Mitterrand où Balavoine reproche aux médias en général de ne pas prendre assez en compte les problèmes rencontrés par la jeunesse. La même année, c’est l’album Un autre monde avec ses tubes Je ne suis pas un héros, Mon fils ma bataille, la Vie ne m’apprend rien ou encore Liptstick. Les années 80 commencent (c’est Michel Jonasz qui le dit) et Balavoine est dorénavant un artiste installé, illustrant avec d’autres une nouvelle vague (mouarf) du côté de la chanson française, une nouvelle vague qui tient autant de la tradition que de la pop ou du rock anglo-saxon, les Lolo Voulzy, Souchon, Cabrel, Chamfort, Cabrel et autres Renaud.

Ces années 80 seront en partie les années du tout synthétique pour la musique, presque toutes les musiques, la chanson par exemple:

  • Laurent Voulzy ? Il passe de la guitare de Paul McCartney aux synthés de Linda (et hop Bopper en larmes, et hop Cœur Grenadine).
  • Alain Chamfort ? Son tube de 1979 Manureva enregistré avec Gainsbourg en fait une sorte de proto-Daho (mais un Daho qui aurait préféré Claude François à Elli Medeiros) via ses tubes Bambou, Bons baisers d’ici et d’autres. Il lui faudra adapter en français Barry White pour s’en émanciper c’est dire.
  • Alain Souchon ? Il passe de l’acoustique primesautier et bonhomme à la pop synthétique léchée (La ballade de Jim, Dandy, C’est comme vous voulez), des fringues de Maxime le Forestier à ceux de Monsieur de Fursac.
  • Francis Cabrel ? Et oui, même l’homme de paille et du grain par excellence hésite encore entre faire Yves Duteil comme métier (Petite Marie, Je l’aime à mourir, tellement d’autres) ou bien Mark Knopfler (Ma place dans le trafic, Tournez les Hélicos).
  • Renaud ? L’éponge peroxydée lui-même tâte du rock à synthés (le Bon Joviesque Si t’es mon pote par exemple).

Ne cherchons pas Gainsbourg ailleurs que dans les volutes New-Yorkaises synthétiques (You’re under arrest sort en 1984), citons peut-être Bashung tentant la greffe No Wave, cherchant surtout une voix, la sienne. N’oublions pas les autres, les cadors d’avant, les vrais, Higelin par exemple droit dans ses bottes et son piano même s’il finira par rencontrer Jacno en fin de décade. Fin de la parenthèse et du tour du propriétaire, ils en croquent tous.Pour la génération de Balavoine, il y a aussi et surtout peut-être Michel Berger et sa Nico à lui, France Gall. Voilà le parrain et figure tutélaire de tout ce joli monde, le tôlier, le Don Vito. Ce sont les Enfoirés d’avant les Enfoirés, des gars et des filles qui trustent les plateaux de télévision au premier 45T sorti, à la première scène parisienne ouverte à la location tandis que les gloires d’hier se contentent des Petits Papiers de Noël en fin d’année sur FR3 et du podium Ricard lors de la tournée estivale, la génération Top 50, appelons-là comme çà.

Non pas que nos gaillards soient nés médiatiquement avec l’apparition de cet impitoyable juge de paix (et de pet, le premier n°1 de l’histoire fut Besoin de Rien, envie de Toi de Jean-Pierre Savelli & Sloane je vous le rappelle) qui mît entre parenthèse une génération entière de chanteurs (Dave, Lenorman, Delpech pour citer les moins crispants, c’est dire) à partir de 1984,  simplement les artistes qui vont profiter à plein de ce nouveau média. A croire que Jack Lang a fait construire les Zénith partout en France uniquement pour que tous ces alors trentenaires y fassent le pas de deux, celui immortalisé par France Gall (je plie le genou droit en même temps que je serre le poing droit tout en hochant la tête côté gauche, je recommence ensuite de l’autre côté et je répète le tout ad lib). Ils représentent la coolitude du moment, ces musiciens de session en garde partagée avec son guitariste à pantalon Bill Baxter sur chemise à fleur Jonasz (on taira pudiquement la coupe de cheveux mêlant mulet et mèche oxygénée), son bassiste à coupe de cheveux de Lucien Davina, son batteur chauve avec catogan, son pianiste à lunettes et raie sur le coté, la branchitude des années 80 en mode Blanc-Bleu, une horreur.

Revenons à la carrière de Balavoine. Il sort en 1982, l’année de la Coupe du monde (l’Everest d’Alain Giresse) Vendeur de larmes qui contient le tube Vivre ou survivre, le son louche vers le synthétique, le virage se fait là. Toujours impliqué dans l’autour, Balavoine enfonce le clou avec son disque suivant en 1983, Loin des yeux de l’occident, un disque porté vers les autres mondes, bien loin des petits culs blancs repus. Il faut dire que monsieur a découvert l’Afrique à l’occasion d’un Paris-Dakar et monsieur s’émeut, sincèrement et viscéralement, sa vie dés lors change. Sa musique aussi qui devient plus encore synthétique mais aussi plus percussive. Le disque obtient un accueil dithyrambique via des succès comme Pour la femme veuve qui s’éveille, Supporter (sur le club stéphanois alors en pleine déconfiture), les Petits lolos (Nabokov aurait adoré) ou encore Frappe avec ta tête.Sauvez l’amour sera son dernier album. Complètement obsédé par Peter Gabriel Balavoine s’amuse avec ses nouveaux jouets électroniques (façon de parler au vu de la thématique générale plus amère qu’avant), il n’aura pas le temps d’en savourer le succès, puisque le premier single L’Aziza progresse au Top 50 lorsqu’il trouve la mort. Reste depuis nombre de compilations mais nul inédit, un chapitre clos.

Daniel Balavoine, c’est donc une pelletée de titres connus de tous, même à notre corps oh combien défendant, on pourrait les citer d’ailleurs : Le chanteur, Vivre ou survivre, Mon fils ma bataille, Aimer est plus fort que d’être aimé, Vendeurs de larmes, Tous les cris les SOS, Pour la femme veuve qui s’éveille, Dieu que c’est beau, Supporter Supporter, L’Aziza, Sauvez l’amour, Partir avant les miens. Nombre de tubes qui accompagnèrent les années Giscard et les premières années Mitterrand, les années d’émergence en France d’une nouvelle conscience politique et sociale, certes ramenée à l’échelle de lycéens à badges de Touche pas à mon Pote et de jeunes trublions socialistes.

Daniel Balavoine proposait des chansons qui étaient dans l’air du temps, y chantant ses tourments conjugaux ou existentiels comme Le Chanteur, une sacrée façon d’entrer dans la carrière quand on y récite tout une vie à venir, comme aussi Mon fils ma bataille, écrit non pour illustrer sa situation personnelle mais celle de son guitariste d’alors. Il y chantait aussi l’ouverture vers le monde, l’émergence d’un Tiers-Monde jusque dans nos assiettes (comme dirait Coluche) avec nombre de titres tout au long de ses albums (et pas seulement vers la fin comme on pourrait de prime abord le penser). Balavoine, c’était un chanteur engagé sans qu’il faille en faire un cosaque du « faut qu’on «  et « ya qu’à », juste un récipiendaire de l’air du temps, un Français moyen pourrait-on dire désireux de diffuser un message solidaire. On est bien loin de Johnny faisant Mad Max sous lui au Palais des Sports avant que des pontes d’une maison de disques ne le retapent en adulte mature avec l’aide du marionnettiste Michel Berger.

Les chansons de Balavoine se ressemblent. On y trouve toujours un moment où la moindre mélodie de qualité est salopée par un arrangement pompier, une ligne de texte facile ou une envolée vocale à coté de la plaque, quelquefois tout à la fois oui mais quelquefois aussi (Sauvez l’amour ? Pour la femme veuve qui s’éveille ?) quasi-vierge d’outrages. On a aussi quelquefois l’impression que Balavoine reprend les pires plans des bandes originales de films français aux synthés, celles débitées au kilomètre pour le grand cinéma français de la même époque (au hasard les films de Christian Gion, les comédies de Pinoteau aussi comme La Boum), Je ne suis pas un héros par exemple qui sent bon le générique de fin des Diplômés du dernier rang.

Nombre de griefs donc mais, pourtant, l’affection pointe via une maladresse très premier degré, une naïveté manifeste qui pourfend nombre de cyniques, un message martelé doctement sans chercher la figure de style ou la métaphore hardie (et non Hardy Françoise, elle qui chantait à l’époque Tirez pas sur l’ambulance). « Les français parlent aux français en un mot » (Elu par les bœufs, Partir avant les miens, Les petits lolos) là où Berger évoquait les princes des villes et Diego le poète libre dans sa tête, là où France Gall parle de son ami qui joue du piano debout, là où Francis Cabrel évoque sa carte postale flétrie. Balavoine c’était une totale sincérité jusque l’impudeur (vous allez me dire, et vous aurez raison, comme Patrick Sébastien) autour des femmes, du quotidien et de sa réinvention. On pense à la toute fin du clip de Sauvez l’amour, aux enfants filmés en train de jeter à la rivière une caisse de grenades en une image forte qui annonce le futur Damien Saez, celle de « Nous ne voulons plus de vos solutions, il n’y a plus de rêve pour cette génération », peut-être le Daniel Balavoine de l’époque (qui a celui qu’elle mérite).

Car Daniel Balavoine n’est pas le Cali des années 80 malgré son côté « chanteur de gauche à mèche rebelle » et discours sociétal décomplexé alors qu’on ne lui demande rien. Daniel Balavoine est mort en héros alors qu’il menait à bien l’opération « les paris du cœur » en marge du Paris Dakar quand la seule preuve de courage du cyclone catalan, du BHL des salles polyvalentes a été de chanter en plein air et par 12 petits degrés à un meeting de Ségolène Royal la chemise largement ouverte et tête nue.

Daniel Balavoine n’est pas non plus le Peter Gabriel français, sinon celui du pauvre. Lui qui était fasciné par l’ancien chanteur de Genesis, par ses disques évoluant peu à peu vers une pop synthétique où recherche sonore et nouvelles technologies (échantillonneurs, synthés, fairlight) prenaient une large place. Il visait cette excellence-là (loin de nous l’idée de déifier la Peter Gabriel mais voilà tout de même un artiste éminemment estimable) et ne se retrouva qu’en Michel Berger sexué, qu’en bidouilleur lustré à la variété française, étiquette dont il n’arriva jamais à se débarrasser ; le voilà pour l’éternité en Jean-Jacques Goldman qui aurait présenté Temps X.

Daniel Balavoine, c’est peut-être finalement le Claude Lelouch de la chanson française avec son couple Jacques Demy/Agnès Varda (Michel Berger/France Gall), son Robert Bresson (Cabrel évidemment) et ses Maritie et Gilbert Carpentier (Souchon/Voulzy). Balavoine oui, c’est Claude Lelouch, aussi sucessful dans les années 70 et 80 et ringard aujourd’hui. Cette vie, ces vies, mise à l’écran ou sur disques, cette autofiction (subjective ou pas) filmée ou chantée, ce « Les uns et les autres » qu’il aurait aimé chanter (tandis que sa cousine du Québec chantait elle « les uns contre les autres »). Un bel chanteur populaire peut-être, avec ses tics et ses tocs, ses éclats qualitatifs aussi, un gars bien sans l’ombre d’un doute.

 


 

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