Deerhunter, « Why Hasn’t Everything Already Disappeared ? »

Deerhunter est manifestement un groupe hanté par l’idée d’effacement. Un peu plus de trois ans après Fading Frontier, un album qui matérialisait un virage net vers plus de clarté pop – surtout après l’abrasif Monomania (2013) – en ne chassant rien de ses ombres et de ses indécisions, il récidive de façon plus radicale encore en s’étonnant que l’univers n’ait pas encore été complètement englouti, pochette apocalyptique à l’appui.

L’air de rien, tout commence de façon légère par quelques notes de clavecin – l’utilisation d’un instrument si fortement rattaché au passé est en soi un symbole – avant que la voix impérieuse de Bradford Cox, chanteur et principal auteur-compositeur du groupe (il signe ici neuf chansons sur dix), invite à descendre de son nuage pour se colleter à la réalité toute terrestre où l’on travaille, perd et meurt (« They were in hills, they were in factories, they are in graves now »), le tout porté par une musique semblant une mécanique à laminer dont le rythme motorique s’accélère imperceptiblement jusqu’à l’interrogation proférée avec un apparent détachement mais mâchoire serrée : « Is it paid off, now ? » avant que se réinstalle un apaisement feint, amer, hébété. L’entrée en matière campée par « Death In Midsummer » où se mêlent résignation et ironie imprègne l’atmosphère de tout le reste d’un disque qui ne cesse de jouer à cache-cache avec un malaise qu’il tente de semer, de désorienter en sautant fébrilement – et vainement, sachant pertinemment ce qui finira par le rattraper – d’un fuseau horaire à l’autre (« Détournement », vol infernal pour voix de métal glacé), d’amadouer en lui racontant des histoires à dormir debout aux airs de comptine (« Plains ») sans parvenir pour autant à dissiper les fantômes, et toujours de conjurer en ne s’appesantissant jamais, du moins en apparence ; les harmonies vaporeuses et la pulsation presque espiègle de « What Happens To People ? » ne font pas oublier ses accents très personnels et son regard perdu, perclus, qui tente de fixer le souvenir fuyant des absents. Why Hasn’t Everything Already Disappeared ? est un album en trompe-l’œil auquel les subtiles altérations de la matière sonore elle-même (voix et instruments) confèrent, en dépit des efforts pour demeurer dans le cadre strict de chansons, une précarité, une instabilité captivantes, comme un cheval à bascule qui tout en procurant du plaisir à qui a décidé de l’enfourcher menacerait à chaque instant de lui faire vider les étriers. Cette interpénétration de la présence et de l’absence atteint son paroxysme dans « Nocturne » sur lequel se referme le disque et où l’usure (naturellement calculée) de la bande capturant la voix est telle que celle-ci se déforme ou disparaît sporadiquement durant quelques secondes, comme avalée par la musique qui la cerne et achèvera seule le voyage en filant tout droit dans le dé-corps qui l’annihile. Sous des soleils de pacotille, Deerhunter jette aux quatre vents des paillettes miroitantes et transies pour faire la nique à la mort, inséparable compagne de ce nouvel opus, mais ce sont bien les cendres du monde que ses talons dispersent en tentant de danser dessus.

 

Deerhunter, Why Hasn’t Everything Already Disappeared ?
1 CD / 1 LP 4AD

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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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