Écumant depuis une dizaine d’année déjà les scènes de France, Lyon et de Navarre, Da Break a ressorti au printemps 2024 un nouvel album au concept bien particulier, puisqu’il s’agit de reprendre une sélection de leurs titres, version reggae. De passage à Paris au début de l’été, Jennifer a.k.a Hawa et Rémi nous parle de ce nouvel opus Steady, dans le calme estival d’un café du XIIème arrondissement.
L’album s’appelle simplement Steady, et chaque titre a été renommé avec ce mot. D’où cette première question : le Monde a-t-il besoin d’être beaucoup plus « Steady » ?
Rémi – « Steady » est un mot qui a plusieurs sens, qui peuvent être interprétés un peu différemment. Pour nous ça veut dire quoi ? Pour nous, ça a le sens de la stabilité.
Jennifer – L’ancrage.
Rémi – Voilà, l’ancrage et la stabilité. Quand on va voir les définitions, il y en a pleins de différentes, mais quand on a parlé du titre, forcément ça fait référence à la musique, ça fait sens pour nous d’avoir un truc un peu ancré et posé. Et donc à cette question, la réponse est « Oui ». Ah oui. On a besoin d’un peu de stabilité dans ce monde tout de même. Une bonne stabilité, de préférence.
Jennifer – Et il faut aussi faire référence à ce qui a été fait avant. Et quand tu parles du Monde, je pense que ce serait pas mal de se rappeler ce qui a été fait avant, ce qui déjà passé avant, et d’en tirer les bonnes conclusions. Pour nous, cette notion d’ancrage est importante pour dire que l’on connaît notre base, on est ancré, on a nos racines. Donc on sait qu’il y a quelque-chose de sûr, comme une guidance. Après on peut partir loin dans la philosophie (rires), mais effectivement le Monde en a besoin.
Sur le concept de l’album en lui-même : le fait de reprendre vos morceaux et d’aller jusqu’à les re-titrer, comment est-ce venu ?
Rémi – C’est arrivé au téléphone. On discutait de ce qu’on voulait faire ou ne pas faire. C’est parti comme une idée farfelue. Un peu comme le projet Da Break d’ailleurs, au sens où on va faire le disque qu’on a vraiment envie de faire et on va faire le groupe qu’on a vraiment envie de faire depuis qu’on est gamin. Et on va le faire à fond, voilà. Da Break c’est parti comme ça, dans le sens où c’est un hommage à cette zic qu’on écoutait gamin – le hip-hop r’n’b des 90’s – et on s’est fait plaisir à le faire à fond. Cet album Steady c’est un peu pareil, cette culture reggae/rock steady, c’est une musique qu’on écoute depuis très jeune. C’est la première fois qu’on ose vraiment la jouer comme il faut la jouer, la produire comme il faut la produire, et y aller à fond.
Jennifer – Mais ça part d’un délire hein. Sans attentes aucune, « on verra ce que ça donne ».
Rémi – C’est un concept album de plaisir.
Jennifer – C’est un peu notre concept de vie (rires). On ne fait pas de la musique pour s’emprisonner dans quoique ce soit. On a la chance, à notre niveau, de ne pas être assez connus pour être emprisonnés dans des trucs « non, on vous veut sur telle musique, si vous débordez, on ne vous suivra plus ». Donc on n’a pas de pression. On fait la musique qu’on a envie de faire, le tout c’est de le faire très bien.
En tant qu’auteurs, qu’est-ce que ça change à sa couleur musicale de reprendre un morceau à la sauce Jamaïcaine ? Est-ce que ça vous a emmenez là où vous pensiez arriver ?
Rémi – Je pense que oui parce qu’on savait où on allait. Quand s’est dit qu’on allait faire cet album reggae, on s’est dit qu’on visait une certaine esthétique, une certaine façon de jouer. On savait quel résultat on voulait en tout cas au niveau son. Dans notre catalogue, on a fait trois albums. Il y a dix titres sur l’album. Ces dix titres-là, on s’est basé sur des « bonnes » chansons. Ce que j’appellerai une bonne chanson c’est comme une chanson de Bob Dylan, tu l’écoutes guitare-voix, ça va être super, avec un big band, ça va être super, voilà. Il y a des noyaux de bonnes chansons. Que tu les joues dans un mode hip-hop/soul ou que tu mettes un skank derrière, un one-drop, et que tu t’aperçoives que ça marche aussi, pour nous ça a été la bonne surprise. On a visé les chansons qui nous paraissaient aller dans le bon sens. Derrière, c’est allé un peu plus loin, je ne m’attendais pas à y croire autant, et dans la finalité constater que cette chanson, elle marche ! Après on a fait gaffe à ne pas trop aller à l’encontre du sens des chansons. Si la chanson est plutôt grave et costaud, et que t’arrives avec un son super sunny, et que ça ne marche pas avec le propos de la chanson, pour nous c’était pas évident. Pig Daddy par exemple nous a fait un peu bizarre. Ce morceau était assez funk, bien lourd, sur le 2ème album. Là le refrain est plus dur, et le couplet plus « shiny », moi çe me faisait bizarre, harmoniquement parlant.
Jennifer – Moi j’adorais ce contraste.
Rémi – Voilà toi ça parlait à Jennifer carrément. C’est intéressant comme exercice.
C’est aussi une composante du reggae, d’être à la fois très ensoleillé et très grave.
Jennifer – C’est ce que j’aime tout particulièrement. C’est cette mélancolie. J’adore ces contrastes. Quand j’ai chanté cet album, j’ai chanté comme si je chantais de la soul. Pour moi, c’est la base. J’ai aimé ce rock steady, parce que ce sont les mêmes racines. La soul que mon père m’a fait écouter, pour moi c’est les mêmes bases. On change derrière, mais j’y mets le même cœur et c’est ce que je viens chercher.
Rémi – Dans les versions « steady », c’est parfois un peu plus lent. Du coup, on a redécouvert nous même nos chansons en les enregistrant. Là on en joue en live et on en jouera pas mal sur la tournée prochaine. C’est un second souffle pour des chansons qu’on joue depuis 2017.
Et donc, au moment de monter sur scène, comment se feront les choix ?
Rémi – Ha (rires). Compliqué ça…
Jennifer – C’est jamais bien compliqué, de toute façon il faudra en rajouter.
Rémi – Ce qui est compliqué, c’est de sortir un album reggae alors qu’on est encore sur la fin d’une tournée d’un troisième album plutôt hip-hop / soul. On commence à glisser du rock steady tranquillement. Après c’est à développer, il y aura peut-être une tournée dédiée. On aimerait ça. Ce disque a vraiment un son à lui. Les chansons vivent vraiment d’une autre façon sur ce disque. On arriverait sur scène, ce serait Da Break, mais avec un autre son, pas les mêmes instru…
Jennifer – il faut aller chercher le côté folklorique du reggae, le côté classieux. Très vintage, pas de machines. Ce serait un pur kiff.
Rémi – oui en tout cas, c’est une très grosse envie !
Concernant le processus d’écriture sur vos albums précédents, entre le texte et la musique, comment ça s’articule entre-vous ?
Jennifer – Il n’y a pas forcément de règle établie. Une chanson peut naître d’un de mes textes ou d’une de mes mélodies, et on va construire la musique derrière. Ou hop, un instru tombe et je vais construire dessus. Au niveau des paroles, on écrit et des fois on co-écrit. De toute façon, on est deux ou trois maximum. Pour l’album Da Best Riddim Eternal Action Krew, C’est M. Pierre Vadon au clavier qui a produit la totalité des sons. Nous, on est aux arrangements, il faut que ça transpire Da Break, c’est toujours nous qui menons cette danse-là.
Rémi – Après c’est vrai que sur les trois albums, il y a eu trois modes d’écriture différent. A la naissance du projet Da Break, on était avec le producteur Lyonnais Patchworks, avec qui on travaillait avant sur le projet de Hawa. C’était davantage un registre soul à l’ancienne. Avec Bruno Patchworks, on a eu cette envie de faire ce projet en home studio, avec une mpc, avec des samples et tout ça. Donc on l’a fait tous les trois dans son studio à lui. Sur le deuxième album, on a ouvert un peu plus aux autres gars de l’équipe live. Donc il y a des petits bouts d’instrus qui sont tombés à droite à gauche. Pierre (Vadon) est arrivé et amené beaucoup de choses. Et création du troisième album, Covid. Enfin pour le deuxième, on a fait une sortie de disque chez Sofa, un disquaire à Lyon, le lendemain confinement. Du coup, le troisième on l’a composé à distance avec Pierre et Jennifer. On l’a terminé en studio quand on a pu sortir de nos maisons. Ce sont des processus différents, mais c’est important de garder cette ligne « Da Break » dans le côté groove global du projet.
Jennifer – Et dans le côté on fait des chansons quoi.
Rémi – Et ça reste des chansons.
Il y a des groupes, on sait que leur quête musicale c’est la transe par exemple, d’autres une certaine mélancolie. Vous ce serait assez clairement le groove, le moteur du groupe ?
Rémi – Bien sûr, oui. Est-ce que c’est le seul moteur ? Non. Mais après effectivement c’est la base du projet. Le Groove avec un grand « G ».
Jennifer – Mais pas le groove superficiel. Parce que quand on dit musique groove, on se dit que c’est pour danser et c’est tout. Déjà, ce n’est pas si évident de faire groover, mais derrière il y a du contenu. Il y a de la forme et du fond. Je ne suis pas là pour écrire « vas-y danse gnagna », il faut quand même qu’il y ait quelque chose qui transpire de ce que l’on vit. Nous ne sommes pas là pour mettre mal les gens, surtout pas, mais il faut du fond.
Il y a une volonté de transmission culturelle à travers ce projet. Comme pour permettre de percevoir tout ce qui a animé un mouvement durant une période donnée…
Jennifer – Oui, les valeurs qui ont animées ce mouvement.
Aujourd’hui la scène est occupé par des artistes qui jouent parfois seuls, sur des machines, et qui parlent essentiellement de leurs névroses. Comment trouve-t-on l’équilibre entre, disons, un regard sur le monde, et le fait de se concentrer davantage sur des problématiques plus personnelles, disons intime ?
Jennifer – Je ne pense pas qu’on ait réfléchit à cette question. C’est « qui es-tu ? » en tant qu’artiste mais surtout en tant que personne. Je ne viens pas du milieu de la musique, j’ai travaillé pendant vingt ans dans le médico-social auprès de personnes handicapées mental. Adulte, mon monde, c’est le social. Mes racines, c’est mes grand-mères, une mère qui s’occupent de personnes en situation de dépendance. C’est de là que je viens. De l’humain. Si je viens sur le terrain artistique, c’est avec qui je suis. Je ne suis pas dans le « fake ». Oui, on met un peu de glam, mais ce n’est pas mon moteur. Ce n’est pas le monde de la musique qui va me nourrir, je le trouve superficiel. Si on regarde ce qu’il s’y passe, C’est facile, on part en tournée, on fait des concerts, tac. Là-dedans, la question est comment on se nourrit et comment on vient nourrir son art. Je n’ai pas attendu d’être sur scène pour écrire et penser ce que j’avais envie de mettre sur papier. Et voilà on n’a plus vingt ans non plus.
Rémi – Voilà, on a monté Da Break en 2017. Moi, je fêtais mes quarante ans. T’as quarante piges, t’as des gamins, t’as une vie. T’as déjà vu deux ou trois machins, donc forcément t’as envie de présenter un truc ancré dans une réalité.
Jennifer – Quelque-chose d’incarné.
Rémi – On est qui on est dans ce projet, c’est plutôt des gens qui ont les pieds sur terre. On revient au terme « steady » de tout à l’heure. Avec le plu de sérieux possible et humilité, et en même temps ça commence à faire un moment qu’on est là-dedans, qu’on voit et qu’on observe aussi. Cette scène un peu ego-trip mal-être existe par ce qu’on là-dedans aussi. Quand tu as 20 piges aujourd’hui, ce n’est pas la même qu’il y a 25 ans. Pour nous, il n’y a pas de volonté de paraître ceci ou cela, ce n’est pas trop réfléchit en tout cas, ou du moins pas trop calculé en tout cas.
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