Entretien avec Dan San pour l’album « Domino »

 
Dan San a été la révélation folk-rock belge de l’année 2012. Très bien accueilli, le premier album du groupe, Domino, propose des harmonies vocales paisibles, des complaintes à la construction vocale acrobatique, des ballades d’une rare délicatesse qui touchent constamment à l’état de grâce. Après une année de tournée et de promotion de l’album, le passage de Thomas Médard, Jérôme Magnée et Maxime Lhussier à la Haute Ecole de la Province de Liège, lors d’une rencontre avec les étudiants(1), était l’occasion d’une interview rétrospective portant sur la création de leur groupe, l’élaboration de leur premier album, ainsi que leurs projets à venir…
Dan San a débuté avec deux musiciens, le groupe est aujourd’hui composé d’au moins six membres. Pouvez-vous retracer l’histoire du groupe ?
Jérôme Nous avons commencé le projet avec Thomas, on devait avoir quinze ans. C’était juste deux amis aimant se rencontrer pour jouer de la guitare ensemble. On n’avait absolument aucune intention de monter un projet sérieux. C’est vraiment arrivé par hasard, au fur et à mesure, en faisant d’abord des petits concerts à deux. On a ensuite eu la chance de pouvoir enregistrer une première démo, ce qui nous a permis de rencontrer d’autres musiciens dont Maxime. On a continué à tourner et à enchainer les petites concerts à quatre jusqu’à l’enregistrement d’un premier E.P. en 2010, Pillow. Finalement, on a rencontré un violoniste et une pianiste avec lesquels on a écrit l’album Domino qui vient de sortir en 2012.
Vous venez tous de la région liégeoise et vous faites partie du collectif liégeois Jaune Orange. Considérez-vous que cette région vous influence, vous inspire ?
Thomas Complètement ! A la base, Jaune Orange était un simple collectif de musiciens liégeois fondé il y a 10 ans. Il s’est ensuite muté en label, en agence de booking et organise son propre festival : le Micro Festival. C’est devenu un collectif « multi task » permettant pas mal de synergies et de rencontres entre musiciens à Liège. Il nous a permis de rencontrer Gaëtan Streel, notre ingénieur du son par exemple. Il existe également d’autres collectifs intéressants qui essaient de faire bouger les choses à Liège, comme Honest House et Startin’ Pop.

Maxime Je ne sais pas s’il s’agit d’une réelle influence mais le partage et la rencontre entre musiciens ont un rôle à jouer car, comme dans tout art, nous avons nos questionnements et nos doutes et le fait de pouvoir échanger avec des gens ayant plus d’expériences que nous est toujours quelque chose de très enrichissant. J’ignore par contre si la ville de Liège nous inspire musicalement. Je ne suis vraiment pas sûr que cette région ait une réelle influence sur notre style d’écriture.

Maxime Lhussier (Photo @Laurie Kindermans)

Votre groupe s’appelle Dan San, comment avez-vous trouvé ce nom et à quoi correspond-il ?
Jérôme (soupir) Soit on vous raconte la vraie histoire soit on vous raconte les bêtises habituelles. On va vous raconter les sottises, c’est plus marrant … En fait, on adore raconter n’importe quoi quand on nous pose cette question parce qu’on en a marre qu’on nous la pose et en plus, ça n’a aucun sens ! Donc, pour quand même répondre, d’habitude, on dit qu’on est nés en Finlande, Thomas et moi, et qu’à côté de chez nous, il y avait une ferme dans laquelle vivait une petite louve malade nommée Dan San. C’est notre premier souvenir en commun.
Thomas La seconde histoire c’est qu’on est vraiment super fan de Karaté Kid et plus particulièrement de Daniel-san.
Jérôme Il y a aussi une autre histoire qui raconte que la marraine de Thomas s’appelle Danielle et la mienne Sandra et vu qu’elles sont mortes toutes les deux dans un accident de voiture, on a voulu leurs rendre hommage en combinant leurs prénoms. Mais, plus sérieusement, Dan San, ça veut dire « Merci » en patois cantonnais. Quand on a cherché un nom pour le groupe, on voulait remercier tous ceux qui nous ont aidés et qui ont cru en nous et en tapant simplement « Merci » dans un traducteur sur Internet, on a vu Dan San, on trouvait que ça sonnait bien et c’est resté.
Quelles sont les influences de Dan San ?
Thomas On a tous des influences très variées. Chaque membre du groupe écoute des choses vraiment différentes. Moi, par exemple, j’écoute énormément de musique indie actuelle comme Fleet FoxesouSyd Matters. Notre violoniste écoute pas mal de musique folklorique irlandaise et de la musique classique. La pianiste adore le métal et notre batteur est plutôt branché jazz. Mais nos grosses influences musicales correspondent à ce que nos parents écoutaient quand on était plus jeunes. Des artistes comme Simon & Garfunkel, Bob Dylan et Pink Floyd, ont très clairement bercé notre enfance et nous ont très certainement influencés quand on a commencé à faire de la musique.
Jérôme Je suis un énorme fan de rock progressif. J’ai énormément écouté Genesis par exemple.
Maxime En fait, on a un tronc commun composé de groupes issus de la scène indé actuelle comme Grizzly Bear. Mais à côté de ça, je dois être un des seuls à écouter un peu de musique électronique et d’abstract hip hop, ce genre de choses-là. Je crois que, d’une manière générale, ce qui fait les influences de Dan San, c’est l’univers très varié de chaque membre du groupe.
Le choix de composer des chansons en anglais s’est-il imposé d’emblée ?
Thomas Comme on vient de le dire, toutes les musiques qu’on écoute ou qu’on a écoutées sont en anglais donc, fatalement, quand on s’est retrouvé avec un instrument dans les mains on s’est mis à chanter en anglais assez naturellement. Faire de la chanson française ne nous attire pas vraiment, même si on ne ferme pas définitivement la porte. Peut être qu’un jour l’envie nous prendra de chanter en français. On a déjà eu l’occasion de reprendre une chanson de Serge Gainsbourg lors d’un événement particulier, c’était la seule fois où on a chanté en français sur scène.
Comment composez-vous vos morceaux ? S’agit-il d’un processus individuel ou plutôt collectif ?
Jérôme Lorsqu’on n’était que deux dans le projet, Thomas ou moi venions avec des propositions de compo et on travaillait sur cette base. C’est un système qui a fonctionné quelques années, jusqu’à ce que deux autres musiciens nous rejoignent. On a définitivement laissé tomber ce système. Maintenant, on a une réelle dynamique de groupe où chacun apporte ses idées pour les faire évoluer au fur et à mesure des répétitions. On a une réelle envie de composer ensemble. C’est ce qui s’est passé pour l’album Domino.
Etes-vous impliqués dans d’autres projets musicaux en parallèle de Dan San ?
Jérôme On en est arrivés à un point où on vit plus ou moins de notre musique. Pour ça, il nous faut plusieurs projets, un seul ne suffit pas. Mais c’est avant tout l’envie qui nous pousse, pas l’argent. Si on participe à plusieurs projets en plus de Dan San, c’est avant tout parce qu’on le veut, pour expérimenter d’autres choses, aller dans d’autres domaines. Par exemple, Maxime joue dans Pale Grey, un projet électro-rock. Thomas va bientôt sortir son premier album en solo et je suis moi-même musicien avec Gaëtan Streel et actif dans un groupe de rock celtique, Yew.
Maxime Les gens s’étonnent souvent du fait qu’on soit dans plusieurs groupes à la fois. On explique ça simplement par le fait que nous sommes tous de grands amoureux de la musique et que pour notre épanouissement personnel, on a vraiment besoin d’avoir plusieurs projets correspondant à d’autres styles.
Comment s’est déroulé l’enregistrement de l’album Domino ?
Jérôme On a travaillé avec Raphaël Wynands, ingénieur du son et propriétaire du Studio 5. il a enregistré et mixé l’album. On pensait pouvoir enregistrer l’album en trois semaines et, finalement, on a passé 6 mois en studio.
Thomas On a aussi pu se permettre le luxe de prendre du temps en studio. On a enregistré beaucoup de sons durant les trois premières semaines pour ensuite prendre le recul nécessaire, ce qui est très important, surtout pour un premier album. Ça a été vraiment différent de l’E.P. Pillow qui était vraiment très brut et instinctif. Alors que pour l’album, on a vraiment voulu le produire, avoir une réelle démarche de production artistique, prendre toutes les décisions concernant les arrangements sur l’album et avoir un contrôle total. Vu qu’il s’agissait de notre premier album, on tenait à réaliser les choses nous-mêmes et on pense avoir pris la bonne décision en agissant de la sorte. Cependant, pour le second album, faire appel à une personne extérieure n’est pas exclu, afin de nous aider à nous réinventer par exemple.
Pourquoi avoir choisi le titre Domino ?
Thomas C’est assez simple à vrai dire. Domino est le titre de la toute première chanson qu’on a composée tous ensemble, une chanson qui rassemble donc des idées de tous les membres du groupe, sans exception. C’est vraiment à partir de là qu’on a décidé de fonctionner de la sorte, comme un nouveau point de départ pour notre projet.
Comment s’est passée la communication autour de l’album ?

Jérôme Pour tout ce qui est en rapport avec l’image, on travaille avec le frère de Thomas, qui travaille chez Caméra-etc à Liège. Il gère toutes nos vidéos, photos ainsi que l’image du groupe. On travaille avec lui depuis le début et ce n’est pas près de changer ! Concernant la communication sur le disque, il s’agit d’une collaboration entre, d’une part, notre collectif Jaune Orange et, d’autre part, le label PIAS qui s’occupe de contacter les médias.

Jérome Magnée (Photo @Laurie Kindermans)
Maxime On est un cas un peu particulier. On a signé sur le label Jaune Orange mais on est distribué par le label PIAS. Ils s’occupent de mettre les disques en magasins et sur les plates-formes de téléchargement légal. Fait assez singulier, on a toujours été encadré par PIAS, qui s’occupe de la promo, alors que cette tâche devrait incomber à Jaune Orange. PIAS a toujours été très enthousiaste vis-à-vis de notre projet.
Vous avez mis l’album en ligne une semaine avant sa sortie officielle, c’est un choix que vous avez fait pour qu’on en parle, pour faire le « buzz » ?
Maxime Grâce à un partenariat, l’album s’est retrouvé en écoute intégrale sur le site d’un media belge, ce qui est toujours chouette étant donné le caractère exclusif. Le media qui décroche l’album en exclusivité a toute les raisons de se bouger et d’en parler deux fois plus afin de justifier cette exclusivité. Mettre du contenu sur Internet gratuitement permet également de faire parler de son groupe et, éventuellement, d’inciter les gens à venir vous voir sur scène. Le CD, comme le vinyle avant lui, est un outil d’écoute qui est voué à disparaître dans les années à venir. Il fait plutôt office de souvenir de concert que de réel matériel d’écoute. Ce qui est assez paradoxal, c’est que sans disque, un groupe ne peut pas tourner et se faire entendre dans la presse. C’est un cercle vicieux, tout est lié. Si tu ne sors pas de disque, la presse ne parlera pas de toi, donc tu n’intéresseras pas les organisateurs de concerts et tu ne tourneras pas. Les concerts sont d’ailleurs devenus la vraie source de rentabilité des artistes, plus que la vente d’albums.
Pourquoi avoir choisi comme premier single Question marks ?
Thomas On va vous raconter une anecdote assez peu connue concernant l’album Domino. Au départ, celui-ci était composé de douze titres dont nous étions très fiers. Or, il n’y avait aucun morceau adapté aux radios, aucune chanson assez forte pour devenir un single. Alors nous avons utilisé cette chanson plus pop que nous avions en réserve et qui ne devait pas figurer sur l’album. A cette époque, on accueillait également Ben (batteur) dans le groupe. Enregistrer Question marks était une bonne occasion d’intégrer ce nouveau membre. Ce morceau nous a ouvert les portes de plusieurs radios, notamment PureFM, et nous a permis de sortir un deuxième single, Tomorrow. On a tout de même dû éditer celui-ci pour le rendre radio-diffusable. Ce travail demande des concessions de la part du groupe. Il y a des artistes très intègres qui se ferment aux média et d’autres, comme nous, qui acceptent de s’adapter.
L’industrie du disque en Belgique aide-t-elle les jeunes artistes débutants selon vous ?
Jérôme Internet aide beaucoup les jeunes artistes, que ce soit aujourd’hui sur Facebook et Youtube ou hier sur Myspace. Les blogs spécialisés, les festivals ou encore les collectifs sont de bons moyens d’élargir ses connaissances et de découvrir de nouveaux talents.
Maxime L’industrie du disque est un concept très large qui regroupe des labels et des collectifs qui eux vont réellement encadrer les artistes et les aider à lancer leurs projets.
Avez-vous déjà travaillé ou enregistré à l’étranger ?
Maxime Pour le moment, ce sont des concerts que l’on fait à l’étranger. On tente de diffuser notre musique sur le plus large espace possible. L’album est sorti aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse et en France. La Belgique étant un petit pays et un petit marché, il faut tenter de percer à l’extérieur.
Au delà des concerts, on n’a jamais travaillé à l’étranger. On a juste fait masteriser l’album en Angleterre. Mais, on sait que le rêve de Jérôme est d’enregistrer au studio Real World.
Jérôme [rire] Effectivement ! Real World est un studio très célèbre dans le milieu de la musique. Peter Gabriel l’a construit derrière sa propre maison ! Concernant l’enregistrement à l’étranger, cette question se pose de moins en moins avec les nouvelles technologies. On peut faire du très bon travail de chez soi de nos jours. Ce qui est plus intéressant par contre, c’est de collaborer avec une personne qui vit à l’étranger. De même, ici, pas besoin de se déplacer. Internet simplifie tous les échanges. Nous ne considérons pas vraiment qu’enregistrer notre musique dans un studio renommé aux Etats-Unis, par exemple, soit très utile.
Thomas J’ajouterais aussi que nous avons signé avec un label indépendant. Nous n’avons pas une distribution mondiale. Chaque nouveau territoire demande de nouveaux partenaires, demande de faire appel à un label du pays et de recommencer la distribution depuis son point de départ. Il faut nouer un contact avec la presse locale et organiser des concerts sur place. Tout cela est le rôle du manager.
Pour vos projets à venir, comptez-vous rester sur la lignée de l’album Domino ou vous diriger vers d’autres styles musicaux?
Thomas On ne se met aucune limite ! On constate juste unanimement que notre dernier album manque de dynamisme. Ce sera une des choses à améliorer dans le futur. On devra se renouveler pour ne pas recréer un album trop similaire à Domino. Enfin, nous tenterons de faire toujours mieux et de ne pas nous reposer sur nos lauriers.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune chanteur ou un jeune groupe pour se faire connaître?

Jérôme Je dirais qu’il faut beaucoup travailler : se remettre en question, tenter de faire toujours plus et toujours mieux… A côté de cela, il y a une part de chance incroyable. Il suffit de jouer un jour dans un café et que dans le public se trouve le programmateur d’un festival pour que les portes s’ouvrent devant vous. A supposer qu’il aime votre musique, il vous invitera dans d’autres soirées où vous rencontrerez d’autres professionnels du monde musical.

Thomas Médard (Photo @Laurie Kindermans)
Thomas Je pense qu’il faut aussi forcer un peu la chance et utiliser un maximum les outils utiles pour faire connaître sa musique. Il y a pas mal de concours en Belgique comme le Verdur Rock ou le Court Circuit qui aident les groupes amateurs. Il est possible aussi de recevoir de l’aide publique, il faut chercher sur Internet, se bouger.
Maxime Il ne faut pas non plus souhaiter devenir célèbre immédiatement. La télévision met souvent sur le devant de la scène des jeunes qui deviennent célèbres en affichant publiquement leur vie privée. Mais, le travail d’artiste demande de la rigueur et de la persévérance. Il faut croire en sa musique et lui être fidèle. Il ne faut pas se décourager trop vite, il y a tellement de routes qui mènent au succès que si une se referme, d’autres restent ouvertes…
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(1) Cette rencontre et cet entretien ont été réalisés par Anne Deliège, Manon Detalle, Adrien Fassotte, Laurie Kindermans et Maxime Taravella, bacheliers en Communication à la Haute Ecole de la Province de Liège, dans le cadre du cours d’introduction à l’histoire des musiques populaires, sous la supervision d’Alain Hertay, responsable du cours.

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