C’est quelques heures avant de monter sur scène pour un concert qui s’annonce intense que Lysistrata, composé de Ben, Max et Théo, se confient au Bubzine dans un café tout proche de la Maroquinerie (pour en savoir plus sur le déroulé du concert, c’est par ici). Dans un échange qui aurait pu tout aussi bien durer toute la soirée, le trio de Saintes évoquent avec nous le skate, le punk hardcore des années 90, la culture du « Do it yourself » et leur approche de la musique, ainsi que leur travail sur leur dernier album Veil.

Pour commencer, accepteriez-vous que l’on dise que vous jouez de la musique de vieux ?

(Rires) C’est vrai que j’en parlais à Max quand je regardais les stats Spotify, et la tranche d’âge de ceux qui nous écoutent est entre 30 et 45 ans. Donc quelques générations plus vieilles que nous. Mais on a quand même parfois des gens assez jeunes qui viennent nous voir.

Est-ce que vos parents écoutaient du rock ?

Même pas. Ils auraient pu. Mais je pense que c’est davantage le cas de la génération après nos parents, ceux qui étaient ados dans les années 90. Je sais que nos parents, ce n’est pas du tout le genre de musique qu’ils écoutaient. C’était plus entre la folk et le glam. On a beaucoup d’influence des années 90. Moi je suis né en 94, mais tu vois nos parents, ils n’écoutaient pas du Fugazi quoi.

Dans les années 90, il y avait un côté « le Monde est foutu », avec cette mode du cool, toujours teinté de mélancolie. C’était l’esprit du punk rock et du neo-metal. En gros, la mentalité skateur, est-ce que c’est quelque-chose qui vous parle ?

Je pense que c’est quelque-chose qui nous parle. On n’est pas du tout skateur, mais on aime beaucoup leur mentalité. Ian MacKaye des Fugazi en parle vachement. Être dans un groupe de gens où le seul but, c’est d’aider les autres membres de ta communauté, à réussir à faire quelque-chose. C’est ce truc d’entraide qui est très présent dans la communauté des skateurs qui nous parle, et qui peut se joindre au rock et au punk hardcore. Le skate était quelque-chose de très commun. On a parlé de Fugazi, mais on pourrait parler de Quicksand, qui – pareil – viennent du skate à fond. Le skate, il y a un truc lifestyle, plus que plein de trucs… comme l’aspect communauté, le fait que souvent tu commences très jeune.

J’avoue être surpris qu’un groupe comme Fugazi soit dans vos références.

En fait, on a longtemps cru qu’on faisait parti de cette scène là, et maintenant on a un doute. On nous demande souvent dans quel genre on se trouve. C’est galère parce qu’on écoute plein de trucs différents. Moi, j’ai tendance à dire qu’on fait du rock alternatif, mais ça regroupe plein de choses. Ca rejoint un peu ta question d’avant parce qu’au-delà de leur musique, il y a un état d’esprit. Enfin, nous, on n’a pas vécu ça. Je veux dire on a vécu à Saintes, on n’a pas fait de skate, on avait des potes mais on ne faisait pas partie d’assos ou d’organisations. Ce truc d’entraide, on est très admiratif de ça. C’est un idéal qui est super, de faire partie d’un crew, de s’entraider. C’est quelque-chose que l’on trouve super mais que l’on n’a pas vécu étant gamin.

Pour votre nouvel album Veil, vous vous êtes entourés d’un grand producteur, Ben Greenberg, issu justement de cette scène-là. Comment s’est passée cette rencontre ?

Ben Greenberg, c’est un gars qu’on a rencontré en Lituanie, sur un festival de metal / hardcore justement. On était dans la même programmation, et lui joue dans un super groupe qui s’appelle Uniform. On a su, un peu de fil en aiguille, que ce gars était producteur. Il avait produit des trucs qu’on adorait. Des groupes de la scène américaine. Et on s’est que ça pourrait être cool de le contacter. Tout s’est fait naturellement, il répondait facilement aux messages… Il y avait un super bon feeling. Des fois même par mail, tu sens que ça va super bien se passer. Lui c’était grave le cas, ça s’est fait super facilement. A partir de la première fois où on l’a contacté, quatre mois plus tard, on était en studio. Et puis on est toujours en contact. On s’est super bien entendu avec lui, il y a presque un côté grand frère. Il est bienveillant et soutient beaucoup le groupe.

Vous a-t-il poussé dans vos retranchements ?

Ouais, pas mal. On lui a envoyé plein de démos. Des trucs parfois dégueulasses qu’on avait nous-même enregistrés. Après on a fait le tri. On a bossé à distance, parce que lui est à New-York. Il nous renvoyait les tracks, il avait coupé dedans. Il a fait des propositions quoi. On lui a donné carte blanche parce qu’on avait aussi envie de ça. On arrivait au bout des idées de compo, où t’as tellement tourné les morceaux dans tous les sens que tu n’es plus objectif. T’as envie soit de tout changer, soit de tout jeter quoi. Et donc là t’as un gars complètement de l’extérieur qui arrive, c’est la première fois qu’il écoute les tracks, tu vois ? Ca change tout, le mec a une oreille neuve. C’est super cool d’avoir quelqu’un qui te dit, ça cette partie-là ne sert à rien et celle-là, faut la mettre en valeur. On avait juste besoin de ça, d’une quatrième personne, ce que l’on n’avait pas sur les albums d’avant, où on était juste les trois face à nous-mêmes, en étant plus jeunes aussi. Des fois tu stresses un peu parce que tu ne sais pas où t’essaies d’aller.

Vous vous êtes révélé en 2017 avec l’album The Thread. Il y avait une certaine urgence dans votre musique alors, quelque-chose de primal. Comment conserver cette fraîcheur justement ?

Oui l’idée c’est de garder le truc un peu urgent et frais. Justement Ben arrive avec ses idées à lui, qui te dit quoi faire de manière directe. Du coup, t’es toujours dans l’instant. Sur des tracks que t’a composé il y a deux ou trois ans, tu retrouves une nouvelle fraîcheur que quelqu’un d’autre t’apporte. Parce que lui a d’autres idées. Sur les albums précédents, les morceaux ont été composé et enregistré très rapidement, donc avec beaucoup d’urgence et de fraîcheur. Alors que sur le dernier album, on avait des morceaux plus anciens et effectivement, la fraîcheur, c’est Ben qui l’a amenée avec sa production.

Si on revient sur Lysistrata, le nom que vous avez choisi, ce n’est pas commun de prendre comme référence un mythe Grec, et pas n’importe lequel… D’où ça vous est venu ?

Oui c’est ça. Après, aujourd’hui, ça prend une signification assez forte : anti-militariste, anti-guerre… Je pense que quelque part, on s’accroche un peu à ce truc-là, sans qu’on s’appuie trop dessus non plus. C’est juste devenu un mot pour dire « c’est eux ». Mais je trouve qu’il y a quand même des significations qui ont vraiment du sens et qui sont vachement en accord avec ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui.

Êtes-vous un public de concert ?

Ouais carrément. Je pense qu’on a commencé à aller voir des concerts quand on a fait le groupe. On a passé notre adolescence à aller voir des groupes qui jouaient localement. On est toujours curieux de découvrir des trucs.

Il y a une énergie particulière quand vous jouez.

L’énergie du live, oui on adore. Autant le faire que le regarder.

Sans parler de quête, est-ce que c’est la transe que vous recherchez ?

En fait ce qui est marrant c’est que lorsqu’on a commencé le groupe en tant que jeunes ados, le style de musique qu’on voulait faire c’était de la transe. Des trucs genre « tout droit ». Et je pense que même si on ne fait pas du tout le même style de musique, il y a toujours ce truc en live de se laisser porter. On essaie de contrôler un peu plus maintenant parce que des fois, vraiment c’était trop long. Oui on aime ce truc de se regarder et d’arriver à la limite de quelque-chose. J’aime beaucoup les groupes répétitifs comme ça. Mais au-delà du phénomène de répétition, la transe c’est un état d’esprit où juste, tu te laisses aller. Dans un set tel qu’on le joue maintenant, il y a aussi le truc de l’enchaînement, qui n’est pas simplement une répétition, mais surtout une question de rythme, comme dans un dj set où les tracks se suivent. Avant on avait tendance à stopper, s’accorder, repartir sur un morceau, ainsi de suite. Là on cherche un truc où les morceaux s’enchaînent sans se laisser le temps de respirer… C’est du son en continu, du coup ça te met dans cet état d’esprit. Jusqu’à présent on avait l’habitude de faire des sets assez courts, sans pauses et sans rappel. Maintenant, on fait des rappels et des concerts beaucoup plus longs, on peut passer la barre où on se dit qu’on peut jouer toute la nuit. T’arrives à un stade où t’as tellement joué que c’est bon, tu peux jouer. T’es parti, t’es dans un truc, tu vois ? Je pense c’est pour ça qu’il y a des groupes comme the Cure ou Damon Albarn qui peuvent jouer 4 heures. Bon parce qu’ils ont cinquante albums aussi (rires). Sur la question de la durée du live, il y a un commentaire d’un concert de Fugazi qui dit que les gens ont payé un prix pour venir, et que c’est aussi une forme de respect d’être généreux et de donner.

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A propos de François ARMAND

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