Entretien avec Marc Blanc (Âme Son)

Âme Son a été un des rares groupes français de la fin des années 60 à pouvoir rivaliser avec la scène progressive anglaise alors en pleine explosion. Proche de Daevid Allen (Soft Machine, Gong), les musiciens d’Ame Son ont proposé durant la brève existence du groupe, entre 1969 et 1971, des compositions semi-improvisées dans lesquelles les textes du batteur Marc Blanc étaient associés aux guitares de Bernard Lavialle et Patrick Fontaine, soutenues par la flûte de François Garrel. Un unique album, Catalyse, paru après la séparation du groupe en 1971, témoigne de la créativité d’Ame Son entre rock progressif, psychédélisme et free jazz . Au cours de l’entretien qu’il nous a accordé, Marc Blanc revient pour nous sur l’histoire d’Ame Son.

A quel moment vous êtes-vous intéressé à la musique ? Quels étaient les musiciens que vous écoutiez alors ?

Mon premier choc a été de voir Johnny Hallyday à la télévision. J’étais tout petit. Mon deuxième grand choc a été Ray Charles. Après, j’ai découvert les Shadows. J’avais dix, onze ans, c’était en 1961-62. Il y a eu Vince Taylor aussi… Ce qui est drôle, c’est que, plus tard, j’ai un peu joué avec Vince Taylor. Quand les rêves rejoignent la réalité, c’est vraiment bien. Après, on a été beaucoup influencés par les yéyés. Bon, je voyais bien que ce n’était quand même pas terrible mais il y avait des trucs pas mal comme Françoise Hardy, Jacques Dutronc… J’ai aussi beaucoup aimé les premiers disques de Claude Nougaro que j’écoutais en boucle.

Quand et comment avez-vous décidé de devenir musicien ?

J’avais l’envie de jouer de la batterie, de chanter. Quand j’ai vu A Hard Day’s Night des Beatles, lorsque Ringo Starr s’assied à la batterie pour une chanson qui s’appelle If I Fell In Love With You, ça m’a semblé accessible. Donc, c’est vraiment lié à Ringo Starr, aux Beatles, aux Stones et à toute cette vague qui est arrivée en 64. Jusque là, j’avais un rêve, puis je me suis mis à jouer de la batterie avec des copains de lycée. Après, on a monté un groupe qui s’appelait les Primitiv’s. On jouait vraiment de façon semi-professionnelle dans les petits clubs de Paris. On a eu une petite carrière. On a fait une saison en Corse. A la sortie de ça, on en avait marre de faire tout le temps les mêmes morceaux. On est allé à Londres. On a découvert les Soft Machine, toute l’avant-garde anglaise. On a commencé à travailler avec des musiciens de free jazz comme Jacques Thollot (ndlr : Batteur de jazz virtuose, Jacques Thollot (1946-2014) accompagne dès l’âge de treize ans les plus importants jazzmen : Chet Baker, Eric Dolphy, Don Cherry, Barney Wilen… Sorti en 1971, son album solo Quand le son devient aigü, jeter la girafe à la mer est une synthèse de son travail musical expérimental). Pendant deux, trois mois, on a essayé de faire de la musique expérimentale dans un groupe qui s’appelait Expression. C’est au coeur de ce groupe qu’on a rencontré le réalisateur Jérôme Laperrousaz. Notre guitariste a alors été appelé à l’armée et Jérôme nous a dit : « Il y a Daevid Allen qui est à Paris et vous pourriez peut-être jouer avec lui ». Comme on était fans des Soft Machine dont il était un des fondateurs, on lui a dit qu’évidemment on serait ravis, mais on n’y croyait pas trop. Finalement, on l’a rencontré, ça s’est bien passé et on a joué avec lui. On a fait des maquettes avec Jérôme Laperrousaz en studio. Ces maquettes sont d’ailleurs sur le disque Banana Moon (1971) : j’ai enregistré certaines répétitions que j’aimais bien et, pour la face B de l’album, ces enregistrements faits avec mon petit magnéto ont servi. On était fin 67 car, à ce moment, Daevid Allen ne pouvait plus rentrer en Angleterre (ndlr : d’origine australienne, Daevid Allen est refoulé à la frontière anglaise pour des questions de visa. Il décide alors de s’installer en France). En 1968, on joue souvent avec Daevid : en Espagne durant l’été 68, à Avignon… Ensemble, on a fait des débuts de vie communautaire en 69 dans la Drôme et on répétait le premier album de Gong. C’est à ce moment que Bernard Lavialle, le guitariste d’Ame Son est rentré. Je commençais à avoir des choses que j’avais écrites, des poèmes et j’avais l’envie de refaire mon propre groupe.

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A ce moment, y avait-il en France une scène artistique underground comme on pouvait en trouver en Angleterre et aux Etats-Unis ?

Fin 67, il y avait un noyau underground tout petit. Daevid Allen, quand on l’a rencontré, jouait à la cave de La Vieille Grille où il y avait Brigitte Fontaine en vedette. Jacques Thollot y jouait avec Barney Wilen. Il y avait l’acteur Jean-Pierre Kalfon. Tous ces gens gravitaient autour du rock’n roll, de l’art contemporain… On a rencontré aussi Philippe Garrel. Il était ami avec Jérôme Laperrousaz et il était un peu considéré comme le nouveau Jean-Luc Godard. J’ai joué avec François Garrel, flutiste et frère de Philippe, dans Ame Son. C’était un tout petit groupuscule underground. Il n’y avait pas vraiment de lieu. Les gens se connaissaient comme ça. C’était intéressant. A un moment, il y a eu une grosse scène psychédélique, c’était La Fenêtre rose en septembre 67 où jouaient Soft Machine et toute la scène underground anglaise. Mais c’était quand même petit Paris à l’époque, même le rock’n roll était petit. Quand Jimi Hendrix ou les Stones venaient, c’était pour une journée et pour faire l’Olympia. Donc, déjà le rock était petit, alors le rock underground ! Après 68, la France a changé. C’est Jean Karakos qui a fait exploser les choses. Là, toute une scène s’est révélée.

En quoi le concert de Soft Machine le 25 juin 1969 au Bataclan a-t-il été important pour vous ?

Ca a été un choc ! On a eu des invitations pour ce concert au Bataclan. En vedettes, c’était les Soft Machine et, en première partie, plein de groupes français. Je connaissais quasiment un membre dans chaque groupe ! Je me suis dit qu’on avait raté le coche : on jouait avec un des fondateurs des Soft Machine et on n’était pas sur scène ! Je me suis dit qu’il fallait qu’on fasse notre groupe, car on allait passer à côté de cette vague. Je suis revenu dans la Drôme et j’ai dit aux autres : « On va reprendre notre truc parce qu’il faut y aller ! » On a commencé à monter un répertoire. On a joué un peu à Saint-Tropez et dans des petites boites pendant l’été. En rentrant à Paris en septembre 69, Jérôme Laperrousaz m’a dit : « Téléphone à Karakos à BYG Records, il va vous signer. Il n’y a pas de problème ! ». Le label de Karakos occupait un étage en commun avec Sarahva, la maison de disques de Pierre Barouh chez qui il y avait Jacques Higelin, Brigitte Fontaine. C’était vraiment bouillonnant chez BYG. Karakos, on a dû le voir dix minutes en tout. Il signait à tour de bras. Il nous a dit : « Moi, je veux faire sauter le système français. Je veux sortir vingt-cinq disques en même temps. Vous en ferez partie ». C’est Pierre Lattès qui est devenu notre directeur artistique. Il a écouté un peu notre musique et nous a dit : « Il n’y a pas de soucis : vous partez dans quinze jours à Londres ! » C’était incroyable ! Donc, on est partis à Londres. On a eu deux jours de studio et on a fait tous les backs musiques de Catalyse. C’était un bon studio avec un huit pistes. A l’époque, c’était déjà pas mal et Pierre Lattès était là pour superviser. On nous a laissé beaucoup de liberté. On avait préparé des pièces de six à huit minutes au sein desquelles il y avait des improvisations ou des intros un peu free jazz et des poèmes. Nos pièces étaient presque prêtes et on a tout enregistré d’un coup. Souvent, on improvisait en ayant préparé un thème et en sachant qu’on allait arriver à celui-ci. On se faisait des signaux entre nous pour se dire : « Là, on part sur une chose puis on revient ». Il n’y a pas eu de montage, pas de trucages, sauf que nous n’avons pas fait les voix à ce moment-là. On les a faites en France après, ce qui a posé un problème. Ce n’était pas les mêmes studios, c’était plus technique. Je pense que ça s’entend à l’écoute du disque.

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Quel a été l’accueil de la critique à la sortie de Catalyse ? Quelle a été sa diffusion ?

Comment le disque a été accueilli ? En fait, on a refusé qu’il sorte parce qu’on n’était pas tout à fait content. On était un peu fous aussi. Tant qu’on a existé sur la première mouture d’Ame Son, il n’est pas sorti. Il est seulement sorti fin 71 et il n’a jamais été réellement chroniqué. Il s’est répandu au fil des années. Par contre, on a eu de très bonnes critiques pour nos passages sur scène. Je crois qu’on est un des seuls groupes français à avoir fait le grand chelem des festivals. On a fait Amougies, les Halles, le Bourget, Biot… On les a tous faits. à Amougies, on a été très applaudis à la fin du premier morceau. On a été soulagés. C’était la première fois qu’on jouait devant un grand public. On a eu aussi un contact avec Frank Zappa. C’était vachement intéressant. Après, on a eu de bonnes critiques de Paul Alessandrini dans Rock’n Folk. Mais le disque, lui, est sorti post-mortem.

 Quels souvenirs gardez-vous des festivals de cette époque ? Plusieurs d’entre eux ont été interdits, je crois ?

Déjà, le festival d’Amougies en octobre 1969 devait se tenir à Paris et a été interdit. Il a eu lieu en Belgique parce que c’était post-68. Le gouvernement avait peur des rassemblements de jeunes, des cheveux longs, de la drogue, etc. Le deuxième festival, c’est les Halles où on manifestait contre la destruction des pavillons des Halles. L’été d’après, Biot est autorisé. Ame Son devait jouer en soirée. Il y avait Pink Floyd, Eric Clapton… ça se passe plutôt mal et le festival est interdit par la police parce que des gauchistes envahissent les lieux. On entend alors : « Les festivals, c’est dangereux, on va interdire tout ça ». On était quand même dans une période de répression. Les gens ont du mal à imaginer que le rock était à ce point interdit à l’époque. C’était très dur à vivre après une belle année où on avait fait les festivals. On avait un peu d’argent, quelques bons articles. On jouait dans les maisons des jeunes, puis c’est devenu difficile. Par contre, Daevid Allen avec Gong a continué. Il leur a fallu du courage.

 Quand Ame Son s’est-il séparé ?

 La première mouture a arrêté en juin 71, bêtement. D’abord, il n’y avait plus de festivals et on avait du mal à gagner encore trois sous. On n’avait pas un bon manager non plus. Après, on a remonté plusieurs fois le groupe mais jamais avec cette dynamique. La vague était passée.

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Pouvez-vous évoquer la compilation Primitive Expression sortie en 1998 ?

 Avec les années, il y avait des morceaux enregistrés qui n’étaient pas sortis. Il y a un morceau, Le Grand Cirque De La Lune, qu’on avait fait pour La Cicatrice intérieure (1970) de Philippe Garrel. J’aimais bien ce morceau qui n’a pas été repris pour le film. Il sonnait comme du Ame Son. J’avais aussi un morceau live qu’on jouait en 71-72 et différentes expériences comme ça. On les a compilées. Il y avait aussi des morceaux qu’on jouait du temps des Primitiv’s et qu’on a réenregistrés en 74. Les Espagnols ont d’ailleurs sorti un 45 tours qui ne contient que les morceaux garage rocks des Primitiv’s.

 Quels sont vos projets actuels ?

 Je travaille maintenant sur des choses actuelles, mais les gens sont branchés sur le passé. ça fait deux ans que je travaille avec mon fils et François Garrel sur un album, un vinyle. J’ai fait entendre un morceau en préparation entre les deux attentats et j’ai eu comme réactions que c’était très actuel. Cette chanson avait un écho pour les gens qui ont fait le film qui accompagne le morceau. J’ai dit : « On verra bien ! » Je trouve que ça sonne un peu comme Ame Son.

 Merci à Marie Rivière pour avoir permis la réalisation de cet entretien.

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