D’un artiste aussi unanimement couvert de louanges que l’est aujourd’hui Étienne Daho, la publication d’un nouvel album suscite nécessairement l’attente soit des fidèles espérant y puiser de quoi nourrir leur flamme, soit des détracteurs guettant le moindre faux-pas de l’icône pour mieux l’incendier. Annoncé par « Les Flocons de l’été », un premier extrait à l’apesanteur trompeuse évoquant les ressentis du chanteur à la suite d’un accident de santé qui a failli lui coûter la vie, Blitz (l’éclair, en allemand, avec une forte résonance historique puisque Blitzkrieg désigne la stratégie fondée sur la surprise adoptée par les armées du Reich durant la Seconde guerre mondiale matérialisée, entre autres, par les bombardements sur Londres où le disque a été réalisé) marque une rupture assez franche avec son immédiat prédécesseur, Les Chansons de l’innocence retrouvée. Les sirènes et l’atmosphère nocturne inquiétantes sur lesquelles s’ouvre « Les Filles du Canyon », à l’inspiration plus rock que pop, et l’album donnent le ton d’un parcours singulier souvent traversé par une tension sombrement électrique assez éloignée de l’image lisse et désinvolte (même si cet opus insiste sur la nécessité de rester « légers face au danger » et se referme sur une invitation à « voyager léger ») qui s’attache encore à tort à Daho. Après cette entrée en matière lourde d’énergie plombée, l’atmosphère est gagnée par les vapeurs psychédéliques plus impalpables et pernicieuses qui s’infusent dans certains des morceaux les plus réussis de cette réalisation hantée par la musique des décennies 1960 et 1970, et en particulier par le souvenir d’une des admirations récurrentes de l’artiste, Syd Barrett (« Chambre 29 », la plus directement référentielle avec ses inflexions folk pleines d’oscillations incertaines, comme une photo tremblée, les dérives hallucinées des « Baisers rouges » et les rituels bondage des « Cordages de la nuit », la résilience d’« Après le Blitz » où fusionnent idéalement pulsation dansante et échos planants), ou des Beatles façon « Tomorrow never knows » (« The Deep End » un des deux titres réalisés avec Unloved, l’autre étant le « Nocturne » final, discrètement réminiscent des « Voyages immobiles », à la sensualité vaporeuse et mélancolique). Blitz se rêve panoramique, le meilleur exemple de cette mise en espace volontiers cinématographique étant « L’Étincelle » cosigné avec Jean-Louis Piérot, aux couleurs à la John Barry aussi entêtantes que séduisantes, l’autre contribution de ce complice de longue date, la déambulation opiacée d’« Hôtel des infidèles », étant, avec la tentation aguicheuse de « Voodoo Voodoo » où volettent quelques atomes de la période « Épaule tatoo » , la plus proche de l’ancien monde de Daho, tout comme « Le Jardin » en hommage à la sœur disparue du chanteur et malheureusement seul moment véritablement faible de l’album avec sa lourde rythmique robotique et son texte assez anodin ; quand on a dans l’oreille « Les Oxalis » de Charlotte Gainsbourg, qui explore exactement le même thème avec une volonté identique de distanciation du chagrin par le rythme, la comparaison est franchement cruelle.
La soixantaine entamée, Étienne Daho semble amorcer un virage vers une esthétique plus riche en aspérités, au bouquet plus complexe et quelquefois vénéneux ; Blitz développe d’ailleurs pleinement ses arômes au fil des écoutes qui font émerger nombre de détails montrant à quel point cette réalisation a été minutieusement, stratégiquement pensée ; on reste admiratif devant cette construction savante qui multiplie jeux de miroir et clins d’œil mais sans doute un rien de spontanéité et une production plus organique nous auraient-ils permis de succomber totalement. Il n’en demeure pas moins que Blitz est un album important et atypique dans la discographie d’un musicien à la vitalité insatiable qui étonne par sa capacité à être là où personne ne l’attend et, sans jamais renier ce qui fait son identité artistique, à se réinventer sans cesse.
Étienne Daho, Blitz 1 CD / 2 LP Virgin
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