I Love You But I’ve Chosen Darkness – Fear Is On Our Side (archives)

Ce groupe évoluant dans la mouvance des extraordinaires Windsor for the Derby (un ex-chanteur et l’actuel batteur) forme avec ces derniers sans doute les deux phares turgescents de la scène indie américaine. Le premier nommé dans une veine post rock à dominante mélancolico-répétito-minimalisto-maladive, une musique majestueuse mais poisseuse, neurasthénique et chétive; les seconds guitare en avant, basse arrogante sous le menton, néons bleus dans la tronche et batterie de feu. Deux faces d’un même astre noir, deux formidables groupes d’aujourd’hui.

I love but I’ve chosen Darkness
, un projet vieux de quelques années maintenant et dont ce premier album « Fear is on our side » (après un maxi inexplicablement plus enjoué) est sorti début 2006. Et oui deux ans déjà. Alors pourquoi parler aujourd’hui de ce disque ? Et bien parce qu’il s’avère un disque de chevet qui tarde à trouver la poussière, parce qu’il s’écoute maintes et maintes fois avec à chaque fois un plaisir immédiat quasi-neuf et un profond ressenti au gré des accidents de ce beau relief. Parce que les mois passent et ce disque ressort à chaque fois un peu plus comme une pierre angulaire du rock d’aujourd’hui et sans doute de demain.

Le titre de l’album (après le nom du groupe) « Fear is on our side » annonce la couleur : le noir. C’est qu’on n’est pas là pour rigoler à Austin Texas. Le disque a été produit par Paul Barker, celui-là même qui accompagna durant de longues années Al Jourgensen au sein de ses multiples projets et en premier lieu avec Ministry. Pour le reste, on est là bien éloigné du rock teigneux et belligérant de Ministry (sauf si on se rappelle du premier album très « pop synthétique cafardeuse et noir-romantique » de ce groupe, bien avant les pieds de micro en crâne de singes et les tatouages/dreadlocks).

Pour caractériser la musique du combo il convient de tracer deux lignes, une venant de la lointaine Cold/New wave et caractérisée par une basse élastique bien mise en avant, des nappes de synthés atmosphériques et des guitares tout autant cinglantes que cristallines. La pochette par exemple semble venir tout droit du label Factory (Joy division, New Order et tant d’autres) comme une filiation en lieu et place d’une clonerie. L’autre versant lorgnerait vers la pop/rock sophistiquée alliant chant mélodique (qui fait mouche ici par sa mélancolie jamais larmoyante et sa retenue qui n’empêche pourtant pas l’impudeur) et base «Indie rock» mélodique et sophistiqué (une pop noire mais claire pour faire dans le sloganesque). Ces deux lignes ne font plus qu’une en bout de piste. Car ces influences se diluent les unes dans les autres pour ne plus former qu’une seule et même belle, grande et immense émotion. Filiation oui mais émancipation et singularité surtout. Car I love you but I’ve chosen darkness c’est un satané putain de groupe et un satané putain de disque.

Ça démarre pied au plancher avec un «Ghost» terriblement chatoyant dont le refrain explosif reste longtemps dans nos tympans et nos mémoires. Çà enfonce le clou avec sans doute une des plus belles chansons entendues ces dernières années, «According to plan» qui illustre en quelques minutes ce que le rock peut avoir de swinguant et la New wave d’avoir de chair et d’essence. Une pure merveille.

Le reste oscille toujours entre des morceaux de pur rock élastique, intelligent et profond, une tension métronomique (retenue ou pas) héritée des (grands) groupes de rock du début des années 80 à la Joy Division (cette basse par exemple) ou encore les Cure ((«At last is all» et ses faux-airs de «Charlotte sometimes» dépouillé) sans oublier les plus récents (façon de parler) Wedding Present à qui on pense beaucoup par moment. Une sorte de tension graduée en fait au gré des morceaux et parfois même à l’intérieur de ceux-ci. Et puis de temps à autre la tension se relâche et le pur trip hallucinatoire fait alors son œuvre, on ferme tout autant les yeux qu’avant mais on se dodeline au gré des volutes de guitare ou des nappes hypnotiques de synthé (celles de « Long walk » par exemple) quand elles cerclent de leurs halos de lumière sans chaleur quelques arabesques dociles de guitare. Une introspection gorgée de feeling poisseux.

On s’arrêtera un instant sur les deux monuments sinueux et méandreux que sont « Fear is on our side » (la chanson) et « If it was me », les deux derniers morceaux du disque (en omettant le court instrumental « Untitled » qui sert de transition entre l’un et l’autre, comme un pont tremblotant sous un précipice) qui offrent une similaire montée en régime, graduée, couche après couche développant un effet presque proche de la transe (tendance shoegaze davantage que bras au ciel et sing alleluyah par contre) bien que le dernier nommé laisse à penser au moment de l’implosion presque finale que le sol se dérobe sous nos pieds et nous emporte avec son riff explosif de la mort jusqu’aux tréfonds là où le premier cité nous fait tutoyer les étoiles (c’est la nuit, n’oublions pas) l’espace d’un break céleste et éternel.

Un disque inépuisable ou presque comme on pourrait dire («According to plan» nous fera bien une ou deux décennies), un disque riche et habité, une musique belle et forte, douce et puissante, hypnotique et vengeresse. Du rock tendu, crépusculaire, habité mais qui semble presque par moment s’en excuser tant l’emphase a laissé la place à l’efficacité modeste, à la pure jouissance de l’instant et puis merde à l’éternité.

On imagine sans peine le groupe sur scène, dans la pénombre avec quelques spots bleu de-ci-delà, des stroboscopes au gré des soubresauts sismiques, une tension de tous les instants, du rock tenu et majestueux. On a hâte d’y être. « I love you but I’ve chosen darkness », voilà une magnifique façon de dire au revoir, au revoir et puis merci.

 

 

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