« I Must Be the Devil » de Kristín Anna

Prends ta claque, et ne reviens jamais.

Il faut imaginer un petit bout de femme d’une timidité extrême qui se cache tout à la fois derrière de longs cheveux bruns et un piano auquel elle s’accroche comme s’il était une barque parce qu’elle, elle coule. Il reste un espoir semble-t-il et il se trouve entre ses mains. Il faut imaginer ce regard perdu qu’elle a, celui d’un peu une folle, qui ne fixe rien hormis le devant d’elle et c’est un paysage islandais plein de neige, de bains chauds, de pierres, de lichens et de laves noires et une voix par-dessus qui s’invitent sans qu’on ne distingue vraiment la différence. Il faut voir Kristín Anna, il faut la voir et l’écouter chanter aussi, surtout, mais c’est ensemble, indissociable du piano et de l’Islande. Un corps, une gangue, une bogue sensible.

Alors il ne suffit plus de l’imaginer, elle est là, dans cette façon quasi-malade de prendre les paroles dans la bouche, de les mâcher douloureusement pendant qu’elle tape frénétiquement sur les pédales de son bel instrument. La voix qui ricoche, qui se casse constamment sur les murs tout autour et dans la pénombre d’une salle de concert minuscule de Reykjavík. Un mince et très fragile filet de voix mais en fait c’est Gullfoss, une cascade tumultueuse et puissante, vous n’imaginez même pas. Entre deux chansons, elle sourira, s’excusera d’être là. Généreuse. Il ne faudra pas lui en tenir rigueur ni la pardonner pour autant. Ça ne servira d’ailleurs à rien d’y penser : elle est déjà partie.

Kristín Anna Valtýsdóttir (c) Alban Orsini

On l’avait découverte dans la somptueuse première mouture du très sensible projet Mùm (période 2000-2004) Kristín Anna Valtýsdóttir en étant en effet, avec sa sœur jumelle Gyða, l’une des voix iconiques. Après plusieurs sobres collaborations avec notamment Sigur Rós, Animal Collective, ou bien encore Belle and Sebastian’s, elle se fit plus discrète, enregistrant dans le désert Mojave un très épuré et expérimental album Howl qu’elle décrivait alors comme un « album féminin et sataniste d’ambiant music ». A noter également un projet « renversant » en collaboration avec Avey Tare dans lequel elle apparaît sous le nom de Kría Brekkan.

Écumant les salles de concerts intimistes, Kristín Anna peaufina avec méticulosité les neuf chansons qui composent aujourd’hui son album « I Must be a Devil ». Et c’est peu dire qu’il s’agit d’une claque. Empli de contradictions, de pleurs et de cris, fragile autant que percutant, la musique de Kristín Anna convoque Kate Bush, Joanna Newsom sans jamais souffrir vraiment de la comparaison tant elle est en fait ailleurs.

Et lorsque se finit Girl, dernier titre de l’album et que la musique cède la place à autre chose, l’Islande reste encore un peu, accrochée qu’elle est entre deux lattes du parquet, des livres de la bibliothèque… On tombera dessus en faisant le ménage et on se souviendra alors de revenir à Kristín Anna, cette amie fidèle que nous ne sommes pas prêts d’oublier jusqu’à en réclamer encore et vite, plus. Nous sommes très proches désormais.

Foncez !

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