Novembre 1972. Le groupe anglais Mott the Hoople surfe sur le succès de leur titre « All the young dudes » et de l’album du même nom. Le groupe revient pourtant de loin puisqu’au bord du split avant qu’un fan de longue date nommé David Bowie n’entre dans l’affaire et leur offre sur un plateau le titre en question qui va devenir leur plus gros tube, passé, présent et à venir. Cet inattendu succès vient bien tard pour un groupe de la génération sixties de ces jeunes anglais élevés au blues et au rock’n’roll originel (une pièce côté Mott pour Dylan en sus) et décomplexés par leurs jeunes aînés des Stones (au hasard). Des débuts discographiques en 1969 puis deux autres albums avant l’amorce de split avorté par Ziggy Bowie alors au firmament de sa gloire glam, ce genre théâtral et coloré étant alors à son apogée.
Novembre 1972. Le groupe ne le sait pas encore mais il vit là son sommet, « All the young dudes » fait son bout de chemin en Amérique tout comme il a ravagé l’Angleterre et Mott The Hoople entame une tournée américaine de deux mois alternant grosses dates et concerts plus modestes ici ou là. C’est ce périple qui est ici narré, dans l’instant ou presque, Hunter remplissant de noir les pages blanches de son carnet à la faveur d’un vol en avion ou d’une matinée à l’hôtel.
L’impact au sein de la confrérie rock de ce livre (jamais édité jusque maintenant en langue française) est paradoxal. Loin de trouver matière à alimenter l’imagier du rock’n’roll dans ce qu’il a de mythique (strass, gloire, paillettes, sexe, qualud, drogues et rock’n’roll), c’est au contraire un récit au ras des pâquerettes qui est donné à lire, ce bon vieil Ian Hunter ne se départissant jamais de sa lucidité maladive et de son sens aigu de l’analyse (de son ironie so british également).
On trouve certes au fil des pages du sexe, des paillettes, du strass, de la gloire, des drogues et du rock’n’roll mais on trouve aussi et surtout un guitariste qui prend cachet sur cachet pour vaincre sa phobie de l’avion, un manager qui a fort à faire pour que son groupe puisse jouer dans de bonnes conditions dans ce qui ressemble plus à un traquenard qu’à un concert de rock. On trouve aussi quelques seconds rôles de choix incluant une virée chez Zappa avec Keith Moon, les Roxy Music qui ont fort à faire au Madison Square Garden, un Bowie qui descend toutes les cinquante pages de son Olympe, on trouve surtout un chanteur qui va manger chez ses beaux–parents après avoir mis le feu à une salle de la ville, un chanteur qui cherche un cadeau de noël à sa femme au fin fond de Memphis Tennessee, un chanteur qui se joue des agents de sécurité de Graceland pour aller toquer à la porte de derrière du manoir d’Elvis comme un enfant devant un magasin de jouet. Car un autre aspect attachant du livre est l’amour sincère et profond du groupe (de Ian Hunter en premier lieu) pour ce rock qui a changé leur vie. Les villes visitées n’ont d’intérêt en-dehors des concerts que pour la visite chez les prêteurs sur gages afin d’y dénicher instruments de collection (nous sommes en 1972 et déjà la nostalgie pointe), les groupes écoutés sont bien plus des confrères que des rivaux, les morceaux écoutés sont disséqués avec passion, le rock coule de tous les pores de Ian Hunter, une vraie matrice de vie.
Les concerts rythment l’ouvrage, certains inoubliables et d’autres ratés ou décevants, le cycle immuable d’un groupe de rock bien entendu mais bien éloignés tout de même du supposé brouillard traversé par des rock stars ivres de whisky et de drogues. Autant d’atouts qui font de ce livre une lecture passionnante et hautement recommandable pour qui aime passionnément ce rock éternel, sans cesse donné pour mort et sans cesse régénéré.
Ian Hunter « USA 1972 – A travers l’Amérique avec Mott the Hoople »
Editions Rue Fromentin – 16E
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