James Delleck – Ceci n’est pas du rap…

« Moins qu’une feuille qui ride la surface de l’eau »[1].

Dès ses premiers morceaux, James Delleck semble coller aux métamorphoses comme un chewing-gum à une basket. Qu’il soit Gérard de Roubaix[2], Juju avec le Klub des 7[3], un réverbère[4],  ou tant d’autres avatars qui vont tracer le chemin de cet artiste hors norme, les enfants perdus que nous sommes restés le suivent comme le joueur de flûte de Hamelin, les yeux fermés et le oreilles grandes ouvertes.

Toutes ses métamorphoses racontent notre monde, tel qu’il est devenu, peuplé de créatures étranges, « mi-homme, mi-aboné pour vivre à leur norme »[5] où l’humanité se perd pour se retrouver dans un ultime sourire. Pour commencer place à la beauté :

Pas facile de commencer une chronique par un morceau sur la fin, celle avec un « F ». Une fin pour laquelle Il faut se perdre pour se trouver. Pour une biographie de James Delleck, c’est le morceau « Personne » bien mieux que tout autre c.v. qui nous en donne les clés. Tout à fait le genre de paroles qu’on écoute en voulant le hurler à la ronde.

« Le temps est immobile pourtant je sais que personne ne me croit. »[6] 

Quand finira-t-on par reconnaitre la force littéraire des chants oubliés du rap ? Je ne parle pas de ceux qui ont les honneurs médiatiques, soyons sérieux.

Ce sont pourtant bien ces textes et cette musique qui laissent plus que toutes autres, les seules tracent qui expriment l’essence d’une époque avec laquelle on pourrait bien la brûler. Le temps est immobile, je sais que personne ne me croit, mais je ne suis qu’une goutte de l’infinie réincarnation du rêve d’une autre vie.

James Delleck est né en 1974 à Vitry sur Seine. L’excellente revue, « l’abcdrduson », donne à lire un portrait très exhaustif de l’artiste.

Essayons de le chercher ailleurs.

Pour ça on peut commencer par se procurer son profil psychologique :

https://www.youtube.com/watch?v=nRbIprimt7E

L’homme est protéiforme et simplement complexe. La parfaite coïncidence des opposés quoi !

Avant de lire l’interview qu’il a généreusement bien voulue me donner pendant le Top to Bottom festival, avec son comparse Le Jouage, on prendra le temps de se familiariser avec cet humain plus qu’artiste.

« Entre le génie et la merde, il y a un espace assez conséquent qui permet d’avoir une certaine liberté de mouvement. »[7]

Un dernier titre avant de passer à l’interview. Un titre dont il n’est pas facile de parler, tellement il va chercher loin dans des émotions complexes.

Sachons simplement dire « je t’aime » avant qu’il ne soit trop tard…. :


Interview James Delleck et le Jouage au Top to Bottom le 16 septembre.

Vk : Tu as dit être optimiste concernant la modernité, alors même qu’aujourd’hui la connaissance et l’information sont concentrées entre quelques mains, toujours les mêmes. Comment on peut être optimiste ?

James Delleck : Je suis quelqu’un de profondément optimiste, même sur des sujets difficiles. Tout est outil, à partir du moment où les gens l’utilisent mal, l’outil semble prendre cette qualité, alors qu’il n’est qu’un outil, neutre, sans qualité primaire.

Vk : Un peu comme la différence entre l’énergie nucléaire et la bombe atomique en somme ?

JD : Après ce n’est pas que le nucléaire soit génial mais en soi, rien n’est mauvais. La peur de la modernité a toujours été là. On a eu peur de la télévision parce qu’on disait qu’il y avait des ondes qui allaient griller le cerveau des hommes. La télé en noir et blanc qui n’avait qu’une seule chaîne et donc ils avaient déjà ces craintes-là. En plus quand la télé est arrivée, ils se sont dit c’est la fin de la culture, il n’y aura plus de livres et plus de journaux. Alors je ne défends pas la télévision, mais il y a tout un pan culturel, dont je fais partie d’ailleurs, avec de bonnes émissions, qui a contribué à mon éducation. Tout est outil, c’est le fond de ma pensée. Alors bien sûr que tout soit contrôlé n’est pas très ragoutant. Au lieu que ce soit des services secrets, ce sont de sociétés privées, je ne suis pas sûr que ça ait changé la donne.

Vk : (Au Jouage) Je ne savais pas que tu serais là, aussi je vais me permettre quelques questions. Le Jouage, tu es né en quelle année ?

Le jouage : Je suis un vieux, je suis né en 1976. J’ai grandi dans le 94, Vitry. J’étais un peu sur Paris Tolbiac, mais la grande partie de ma jeunesse c’est Vitry.

Vk : Comment tu as mis le pied dans le Hip Hop ?

LJ : Par hasard. Un jour un pote m’a demandé si ça m’intéressait de faire un groupe avec lui, j’ai répondu pourquoi pas….Si il ne m’avait pas demandé, peut être que je n’aurai jamais fait de musique.

Vk : C’est la question, si tu n’avais pas fait ça, tu aurais fait quoi ?

LJ : ….j’aurais sûrement trainé sur un banc…

JD : Dealer comme tous les noirs.

Vk : Non, non, il aurait fait de l’athlétisme enfin…(rires)….(à James Delleck) comme tu es raciste, alors qu’il aurait pu gagner les jeux olympiques….[8]

JD : Tu aurais fait du sport ! Voilà t’es un mec qui court vite.

Vk : Devant les flics…

LJ : Voilà….

JD : Ou alors le rythme dans ma peau.

LJ : Voilà danser…ou….un truc qu’on ne saura jamais.

Vk : Ou tu aurais pu devenir président des Etas-Unis.

LJ : Oui c’est vrai aussi !

Vk : Bon mais du coup tu fais de la musique ?

LJ : Un petit peu. J’ai commencé avec un vieux logiciel en écrivant comme tout le monde des textes de cité et toutes ces conneries, et puis j’ai bifurqué quand j’ai trouvé que ça me correspondait plus.

Vk : Comment tu as rencontré toute la bande ? (Grem’s, Detect, Sept…)

LJ : Grem’s je l’ai rencontré par des potes en commun.

JD : On s’est engrainé mutuellement avec nos connaissances. C’est par le biais du Jouage que je rencontre Grem’s, il enregistre ses premières maquettes dans ma chambre. Grem’s c’est un migrant sans bateau. Quand je l’ai connu il habitait sur Bordeaux.

Vk : (A James Delleck) Les collectifs, les expériences, on dirait que c’est terminé pour toi ?

JD : Non, Gravité Zéro c’est un groupe ! Alors c’est un peu prématuré de dire ça, mais on a vraiment envie de faire un boys band avec Gérard (Baste), [9]Cyanure[10], Le Jouage et moi.

Vk : Deteckt ?

JD : Deteckt ce serait très cool de le rechopper aussi, clairement.

Vk : Deteckt si tu nous entends….

JD : Alors déjà on t’aime. Il a une musicalité dans le scratch qui est phénoménale. Mais pour 2018 on va se concentrer sur Gravité Zéro et une partie de ce qu’on a présenté ici. Là, on bêta teste tous les morceaux, s’il y a quelque chose qui ne nous plait pas, on le vire, et on sortira un album dans quelques temps.

Vk : Tu vis de ta musique ?

LJ : Ben je m’achète des chaussures….

Vk : Pour courir ?

LJ : Exactement (rires).

Vk : Plus vite plus loin, plus fort ?

JD : (chantant) Toujours plus haut….

LJ : (rires) Non non non, la musique reste une passion. Je travaille à coté et mon boulot me permet de me dégager suffisamment de temps.

« Une carrière c’est un mouvement vivant. Tant que ce n’est pas dicté par des considérations marketing c’est clairement un organisme vivant. »

Vk : Tu fais quoi ?

LJ : Je suis thanatopracteur…..non je déconne. Je travaille dans les cimetières, je suis fonctionnaire.

JD : Non mais à partir du moment où tu as un taf à coté, tu es complètement libre dans ta création. Tu sais que pour bouffer t’as pas besoin de ta musique. J’ai vécu pendant douze ans de la musique. Puis j’ai eu deux jumeaux, cela m’a apporté une urgence vitale. Je suis rentré dans la « vie active » très tard. J’ai beaucoup de chance. Je travaille aujourd’hui pour une start-up dans laquelle je suis directeur créatif, et je m’éclate vraiment. On fait beaucoup de technologie, c’est très enrichissant et même si ce n’est pas de la musique,  ça me permet d’être créatif.

Vk : Avec « Gravité 0 » tu continues cependant d’inventer la musique. Quelle sera la musique du futur d’après toi ?

JD : L’évolution technologique influence la musique c’est évident, depuis toujours. Dans la culture musicale Hip Hop, les machines sont primordiales. Alors à l’avenir, est-ce que les synthèses vocales te permettront de faire des pré-sets et dire, « tiens voilà le nouveau morceau de ODB[11] », pourquoi pas ? Il pourrait y avoir le premier chanteur, ou la première chanteuse, virtuel(le) qui emprunterait à une base de données de voix et qui proposerait une synthèse qu’on dirait parfaite….pour le marché. L’intelligence artificielle va être très prenante dans les années qui viennent.

« L’évolution ne me fait pas peur. »

Vk : Du coup la musique comme celle que tu fais, a-t-elle encore un avenir ?

JD : A partir du moment où nous même nous nous réinventons dans notre création, pourquoi pas ? Je prends souvent cet exemple un peu facile, mais les peintres ont leurs périodes, ça ne les a pas empêchés de peindre jusqu’à la fin de leur vie. La même chose avec les cinéastes. Une carrière c’est un mouvement vivant. Tant que ce n’est pas dicté par des considérations marketing c’est clairement un organisme vivant. L’évolution, ça ne me fait pas peur. On a toujours été dans l’invention. Même si on a des choses qui nous nourrissent, on invente.

Vk : Dans Les métamorphoses d’Ovide, c’est toujours soi-même qu’on poursuit. A force de se réinventer, qui cherches-tu à découvrir ?

JD : Quand je parlais des périodes des artistes, ce sont aussi des cycles qu’on a nous. Les cercles d’amis, les gens qui restent, qui sont immuables, dont tu sais qu’ils sont les bons. L’artiste n’est pas à dissocier de ça. Les métamorphoses elles se font au gré des rencontres. J’allais dire des voyages mais je ne voyage pas. Ce sont les humains qui sont importants. Artistiquement c’est exactement la même chose. Ce n’est pas dissociable.

Vk : Quels sont les projets pour vous deux, ensemble et indissociables ? (rires)

JD : Gravité zéro 2018 : rétro laser.

LJ : Pour cette fin d’année j’ai un projet avec un ami, Jypto, et le projet : Charybde et Scylla. C’est clairement influencé par Olympe Mountain. Un projet avec Grem’s et Hustla.

Vk : Alors la question qu’on ne vous a jamais posée et que vous rêveriez qu’on vous pose ?

JD : Peut-être que j’aimerais qu’on me pose cette question !

Vk : Non mais c’est sans fin après…

JD : Comme le ruban de Moebius….

Vk : En quelques mots, c’est quoi un artiste ?

LJ : C’est se faire plaisir !

JD : C’est un artisan, quelqu’un qui construit.


La page Facebook de James Delleck

La page Facebook du Jouage

La Page Facebook Gravité Zéro

 


[1]« Aère » album Acouphène

[2] https://www.youtube.com/watch?v=YigZK66Lf18

[3] https://www.youtube.com/watch?v=EQeaFEC-zh0

[4] https://www.youtube.com/watch?v=COqQUlZekSk

[5] In Aère

[6]Paroles extraites du morceau « personne ».

[7]Dans le numéro de j’irais loler sur vos tombes qui lui est consacré.

[8] On pourra aller jeter une oreille sur le mythique Olympe Moutains avec Grem’s, Sept…

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Baste

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyanure_(rappeur)

[11] Old Dirty Bastard, décédé en 2004

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A propos de Vasken Koutoudjian

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