Joel Henry Little – « Great Kills Friendship » (2017)

Un nouveau venu new-yorkais s’impose comme compositeur et chanteur de haute volée. Son troisième album convoque Harry Nilsson et Jimmy Webb dans un tissage musical des plus gracieux et personnels.

Des découvertes comme celle-là, qui arrivent sans crier gare et s’installent d’emblée dans votre oreille mélomane, ne sont pas courantes. Joel Henry Little, la vingtaine à peine, voix de chérubin haut perchée, des ambitions baroques plein les manches, peut apparaître à bien des égards comme un objet pop non-identifié, à mille coudées et brassées de son époque. A courte vue, on pourrait facilement inscrire le jeune songwriter dans le revival folk-psyché de la décennie précédente, mélangeant instruments acoustiques, voix réverbérées, et compositions de folk-rock progressif à tiroirs, comme un cousin benjamin des Fleet Floxes. Restent une douce préciosité, un sens des « trouées » musicales, entre l’enluminure, la tapisserie, le chant de troubadour, qui tissent une personnalité musicale très forte, familière et insaisissable à la fois.

Musique ancienne et pop baroque s’invitent subrepticement dans les compositions, même des semblants d’orgue et clavecin. On y trouve autant une charge de cow-boys morriconnienne, alternée avec des arabesques vocales dignes de Morrissey (dans Isha), des airs de musicals nilssoniens (By the bye), de fantasques turpitudes instrumentales (Gilgamesh avec son carrousel diabolique échappé d’un album de Todd Rundgren). Le timbre de voix évoque le parangon des troubadours folk-progressif, l’inégalable et tout aussi délicat Tim Buckley. Ailleurs, les inflexions archaïsantes rapprochent Henry Little d’un autre héraut folk, Tom Rapp et ses Pearls Before Swine ; la rondeur pop en plus.

Mais les comparaisons réduisent comme toujours l’originalité du talent. Elles peuvent même donner dans ce cas une image défavorable car « anachronique ». Pourtant, c’est bien ce charme de l’incantation (mais pas du réchauffé habile et vendeur) qui joue sur nombre des compositions, sans conservatisme ni nostalgie (et même, pas mal de fantaisie). Moins un appel à trouver d’éventuelles citations et modèles, qu’à s’abandonner entre toutes et aucune, en suivant l’invitation de la voix, confidente pointilliste ou récitante enjouée de cabaret.


Les premières chansons de l’album, Great Kills Friendship et Abraham, sont des trésors d’équilibre et de subtilité, d’abord indépassables pour l’auditeur. La suite ouvre sur des horizons plus éclectiques, davantage rythmés, un rien électrisés. Passé la surprise inaugurale, le disque paraît plus uniforme dans sa seconde partie. Une écoute plus attentionnée révèle pourtant la grande diversité des compositions (dont le très beau Backyard Volcanoes, conclusion apaisante de l’album), qui n’ont rien à envier ni à la finesse ni à la flamboyance des précédentes. Elle dément cette impression superficielle d’homogénéité.
Comme tout ornemaniste (et compositeur) de sensibilité « baroque », Henry Little court parfois le risque de l’affectation et des chantournages outranciers. Le monumental Isha, épopée maîtresse longue de 9 minutes placée à la charnière de l’album, est un polyptyque musical, une sorte d’acmé maniériste. Le morceau se savoure comme une pièce feuilletée et marque un point limite. Tour de force aussi admirable que déroutant dans son art du medley et des mélodies gigognes. Heureusement, le musicien cultive une finesse, du chant et du « toucher » multi-instrumental, qui rend limpide les compositions les plus retorses.

Ouvrage pop très travaillé, bien moins folk qu’il ne paraît à première vue, Great Kills Friendship demande un temps (savoureux) d’exploration. Quelques instantanés s’imposent d’emblée, d’autres s’affirment au fil des passages. La complexité et l’exigence musicale restent de mise, même dans les morceaux aux abords les plus simples et mélodiques. La grande roue de la pochette, avec ses couleurs pimpantes, son ciel lumineux, ses faux airs d’album soul (le pseudo composé de l’auteur y contribue), ne nous mentait pas sur la bonne marchandise. Ce troisième album est riche en miniatures et envols mélodiques. Un petit monument d’élégance en somme.

Great Kills Friendship de Joel Henry Little est sorti sur Microcultures depuis le 13 octobre 2017
https://microcultures.bandcamp.com/album/great-kills-friendship-club

pour continuer à musarder, d’autres enregistrements de Joel Henry Little, démos et inédits sont à découvrir ici :
https://joelhenrylittle.bandcamp.com/releases
https://soundcloud.com/joel-henry-little

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A propos de Robert Loiseux

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