« La nuit est une panthère …. Une panthère dans la chambre
Devant la caméra, tu danses
Qu’est-ce que je ferais pas pour avoir la chance
De gagner mon passeport entre tes jambes… »[1]

Les louanges est le groupe de Vincent Roberge, québécois[2], qui dépoussière tout ce qu’on pouvait penser de la musique de ce pays, dont je n’avais rien entendu d’aussi enthousiasmant depuis Jean Leloup[3]. Sans être un spécialiste des musiques actuelles québécoise, ça commençait à dater !

© 2018 Jean-François Sauvé

Quand Vincent, dans l’interview qui va suivre, m’explique qu’un des chanteurs qui l’a influencé n’est autre que Franck Ocean, impossible d’écouter les morceaux des Louanges de la même manière. La filiation semble évidente, comme ici avec le morceau Guérilla. Filiation et non copie, tant le québécois a l’intelligence de sa propre destinée qui, si elle sait d’où elle vient, sait aussi que sa destination n’appartient qu’à elle.

Il aura fallu deux ans, après son EP, Mercure, en 2016, pour que sorte La nuit est une panthère. Deux ans dont il dira, « J’ai fermé la porte, tiré les volets, attendu la chute du quatrième mur… »[4], soit la chrysalide d’où s’envolera ce papillon francophone hors normes.

Roberge grandit avec la musique de son époque, même s’il connait son Richard Desjardins[5] sur le bout des doigts. C’est d’ailleurs l’album Boom Boom du chanteur qui l’aura marqué et dont il parle encore volontiers[6].

Un premier EP sort en 2016, Le Mercure, soit 4 chansons. Tout est déjà là, en germe. La voix lézarde sur les arpèges soutenus par une guitare aérienne.

Vincent Roberge planche alors sur un album qui, une fois abouti, fait comme une bulle d’air dans la musique francophone. Ce qu’il réussit était impossible chez nous : le mariage entre le français et la musique indépendante américaine. Dans ce qu’écoute, et de ce fait influence le jeune homme, on retrouve donc tout naturellement le collectif Odd Future et Franck Ocean. Un nom qui inspire le jeune homme. Est-ce pour cela qu’il va porter, en série, un bonnet orange dans le clip DMs ? Orange comme l’album du même nom de Franck Ocean ? Allons, trop d’interprétations tuent l’interprétation. Laissons parler un peu la musique !

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Entretien

De passage en France pour les Transmusicales de Rennes et pour un concert unique à Paris, au Pop-Up du label[7], Vincent a trouvé le temps de m’accorder une petite interview au téléphone. Celui qui a trouvé son nom de scène au Cégep[8] s’est forgé un syncrétisme culturel dans lequel peuvent se reconnaître beaucoup de monde, dont je vais faire partie sans ambiguïté.  Originaire de Lévis, juste en face de la ville de Québec et dont elle est séparée par le Saint Laurent, les études lui laissent entrevoir un avenir exsangue de toutes incertitudes. Quand on sait tout, on ne sait rien.

Vasken Koutoudjian : Dans quel contexte as-tu appris la musique ?

Vincent Roberge : J’ai été à l’école de musique où j’ai pris des cours de presque tout quand j’étais jeune. J’ai aussi beaucoup joué dans la rue, ce qui m’a appris à avoir un genre de carapace. Sinon j’ai fait des études supérieures en Jazz.

VK : Quel aspect dans tout ça, tu aimerais revendiquer de la culture québécoise ?

VR : Je pense de tout. On est le produit de son environnement, même si j’ai peut-être plus d’influence contemporaine américaine. Reste que la vision que je vais en avoir, les mots que je vais utiliser, je le dois à ceux qui sont passés avant moi. Même si mon but serait de devenir Franck Ocean, je remercie Richard Desjardins au dos de mon album. Maintenant tous ceux qui ont pu m’inspirer ont eu leur part, et je devrais me revendiquer de tous.

VK : On est du coup dans ma question suivante. Parmi tes musiciens il y a des Jazzmen, comme Jérôme Beaulieu, tu as fait du jazz, alors où tu te situes comme musicien ?

VR : Comme je te disais c’est au Cégep que j’ai fait du jazz, tandis que le reste de mon groupe en a fait à l’Université. Avant de faire mes devoirs musicaux, j’aimais bien faire un peu de rock, ou peu importe d’ailleurs, j’aimais bien jouer pour moi, tout simplement. Je me suis éloigné du Jazz pour plus travailler mon « tome », c’est-à-dire mon style personnel. Je suis un artiste de street pop avant d’être un jazzman. Je ne me considère pas comme un « compositeur » tel que la définition de ce mot nous pèse sur les épaules.

VK : Dans le premier morceau de ton album, Pâle, on trouve la marque d’une errance très nord-américaine, dont l’écrivain québécois Christian Mistral[9] avait très bien su rendre l’univers dans son livre Vamp. C’est quoi cette errance ? Errance des mots et de l’écriture…

La face collée contre la vitre du corbillard
Mes yeux phares, deux jets jaunes
Éclairent un monde qui s’étonne encore de s’voir
Pédaler sans avancer, s’indigner avant d’penser

Va savoir
Stuck su’l’ top du dépotoir
Le king d’la butte bûche toujours plus
Va savoir

Pédale accotée, last call du réservoir
Les pouceux font la queue
Attendent tous quelque chose de mieux
Pendant c’temps-là, cap sur nowhere
Quatre chevaux seulement dans mon moteur
Le look pâle du conducteur

Va savoir
Stuck su’l top du dépotoir
Le king d’la butte bûche toujours plus
Va savoir
Oh, va savoir

Ton newsfeed te dit qu’il est déjà trop tard
Pour la gang de corbeaux sans renards
Jean l’avait prédit, Nostradamus lui aussi
Labrèche à ‘télé d’in nineties
Encore aujourd’hui, on s’obstine tous autour du même guidon
Qui vise le fond, ouais bon

VR : Si je peux me permettre de trafiquer un peu la question, dans cette chanson je parle de l’apocalypse. Je fais intervenir toute la partie de l’apocalypse, les quatre cavaliers….donc oui, oui. L’errance…..c’est plus un constat sur l’état du monde…bon c’est très psyché comme j’explique, d’autant que je ne suis pas plus calé que ça ! Mais l’errance….oui….C’est sûr, il est ailleurs….le protagoniste n’est pas au travers des gens. Je pense disons que pour créer, oui, on doit sortir d’un pur quant-à-soi, pour trouver autre chose. C’est tout l’enjeu, trouver l’autre. Les autres…

VK : Mais qui sont-ils ? Où sont-ils ? Ce sont eux, haaaaa !….(rires)… Justement les paroles de tes chansons sont-elles très autobiographiques ?

VR : Je m’en suis rendu compte après, mais l’album est divisé en deux parties.  50% de l’album c’est moi qui parle avec des expressions de tous les jours, tandis que le reste va être des essais poétiques, parfois peu sérieux comme la chanson Pitou.

Ca commence comme une chanson d’amour puis ça devient un peu bizarre, un peu subversif. Tandis que pour des chansons comme Westcott ou Tercel c’est mon quotidien à différentes périodes de ma très jeune vie !

VK : Justement est-ce que tu te sens à ta place ?

VR : Dans le contexte de Westcott je déménageais de ma petite ville de province pour venir à Montréal. Je suis arrivé plein d’ambitions suite à ce que j’avais commencé à Québec. Finalement, j’ai passé trois ans à galérer. J’étais un garçon qui n’étais pas le plus à l’aise parmi les gens, j’ai fini par avoir une copine, ça allait bien. Sauf que j’arrive à Montréal je n’ai pas d’argent, je ne fais pas de la musique. Pour gagner ma vie je travaille dans le domaine de la construction des scènes. Assez éloigné de ce que je voulais faire. Ça n’allait pas très bien dans ma tête. Il n’y avait personne à accuser d’une faute. Non, ça n’allait pas, c’est tout.

VK : Tu as pu changer ? Tu es satisfait des changements ?

VR : Ben maintenant je paye le loyer avec la musique. Malheureusement je ne suis plus en couple.

VK : Pourquoi d’après toi la musique québécoise est si mal connue chez nous, alors que nous partageons la même langue ?

VR : …(soupirs)…. Ce serait une longue réponse…. Ecoute, peut-être j’ai tort, mais il y aussi la vision des français sur comment on utilise notre langue, au Québec. Les belges y arrivent tout juste, ça fait deux ans que pour les belges ça pogne[10] en France. Déjà, à votre téléjournal, il n’y a personne qui vient avec un accent d’une de vos régions….Il y a la barrière mentale mais en même temps nous sommes séparés par un océan. On est Nord-Américains avant tout je crois. Les cousins français, c’est loin ! Aussi on est peu nombreux, tout juste huit millions. Alors tout ça mis bout-à-bout, ça doit faire peur. Et puis une dernière chose, je viens jouer en France, alors que je ne suis pas connu du tout.

VK : Alors aujourd’hui quel serait le morceau qui te ferait immédiatement danser ?

VR : Mac Miller et Thundercat ! à 5m40 sur la vidéo. Thundercat étant un des bassistes le plus en vue de la Funky West Coast américaine !

VK : Impossible de résister à sa basse !

VK : une musique qui pourrait te faire pleurer si tu ne retenais pas tes larmes ?

VR : Philippe Brach – Tu voulais des enfants….

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Pour en savoir plus

https://leslouanges.bandcamp.com/

https://www.leslouanges.com/

https://www.facebook.com/leslouanges/

https://www.facebook.com/LeLabelParis/posts/1108489802667306

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[1] In La nuit est une panthère

[2] Plus exactement natif de Lévis, en face de la ville de Québec, de l’autre côté du fleuve.

[3] Certainement par méconnaissance de ma part…

[4] In La nuit est une panthère de l’album du même nom.

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Desjardins

[6] https://www.youtube.com/watch?v=lHkNMUj_3Sg

[7] https://www.songkick.com/concerts/36088174-les-louanges-at-le-popup-du-label

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_d%27enseignement_g%C3%A9n%C3%A9ral_et_professionnel

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Mistral

[10] Ça prend, ça marche….

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A propos de Vasken Koutoudjian

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