« Lou Reed 1972… Du velours au glamour »
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Aujourd’hui, le Velvet Underground est une référence majeure pour tout musicien et auditeur de rock relativement averti… Le son du groupe, l’image de la banane créée par Andy Warhol pour la pochette du premier album, se retrouvent partout – y compris, pour ce qui concerne le fruit phallique, sur certains agendas pour lycéens de l’année 2012-2013 !!! Mais, en 1970, quand Lou Reed quitte ce groupe qu’il a co-fondé six ans auparavant, le Velvet ne vend pratiquement pas de disques et c’est une formation connue uniquement dans le milieu de l’avant-garde musicale et cinématographique.
Il est difficile pour Lou Reed d’entamer une carrière solo. Le chanteur obtient cependant un contrat avec la maison RCA en 1971 et enregistre son premier album cette année-là, à Londres. Des titres du Velvet, pour la plupart non édités, sont retravaillés. Il y a des choses intéressantes, comme I Can’t Stand It, Lisa Says, Ride Into The Sun… mais malgré la présence de pointures comme Steve Howe et Rick Wakeman, musiciens de Yes, le disque est artistiquement un échec. Il est mal produit. Le son est lourd, poussif, terne. Lou Reed n’y joue pas lui-même de la guitare, ce qui est un comble ! Le public ne suit pas, et on peut le comprendre.
Mais, comme l’a affirmé le chanteur, à l’époque on donnait une deuxième chance aux artistes ! Le « on », en l’occurrence, c’est Steve Katz qui travaille à RCA. Katz est d’autant plus rassuré que Lou Reed vient de faire une rencontre décisive, celle de David Bowie, et que celui-ci va s’occuper de la production du nouveau disque. « Ziggy Stardust » a alors le vent en poupe et il ne cache pas son admiration pour Lou Reed, le Velvet, Andy Warhol et toute la tribu de phénomènes qui gravitent autour de celui-ci. Il faut notamment se reporter au disque Hunky Dory pour s’en convaincre, si besoin en est, et rappeler que, en concert, le créateur de Queen Bitch reprend souvent deux morceaux du VU : I’m Waiting For The Man (Bowie titre : Waiting For My Man) et White Light/White Heat. Bowie et Warhol se sont rencontrés à la Factory en septembre 1971. Travailleront très vite pour la star britannique des personnalités faisant partie du spectacle du peintre-cinéaste, Pork, dont certaines représentations ont lieu à Londres (Cherry Vanilla, Leee Black Childers, Tony Zanetta…). Ziggy fait entrer Reed dans l’écurie Mainman, la société de son manager Tony Defries, qui travaille entre autres pour la maison RCA chez qui Bowie a également signé en 1971. L’enregistrement a lieu en août 1972 au fameux Trident Studio, et la sortie en novembre – Ziggy Stardust, conçu lui aussi au Trident Studio, est sorti en juin. Le 8 juillet, Bowie a invité Lou Reed sur scène pour son fameux concert au Royal Albert Hall en faveur de l’espèce menacée des baleines.
Le disque est en fait produit par Bowie ET Mick Ronson, le guitariste des Spiders From Mars, bras droit du chanteur anglais. Ronson joue de plusieurs instruments, écrit des arrangements. Ken Scott, qui produit alors les disques de Bowie (de 1971 à 1973), prend la simple place d’ingénieur du son. Le travail effectué sur les morceaux de Lou Reed est exceptionnel. De l’ouvrage d’orfèvre. Le son est d’une brillance rare. Il faut, pour s’en rendre compte, comparer le premier album solo de Reed et ce Transformer. On se rend compte alors de tout ce que des producteurs, des arrangeurs, des ingénieurs du son peuvent apporter de positif et de déterminant à un artiste qui vient en studio avec des démos relativement simples (parfois juste une voix et une guitare sèche) ou des versions anciennes plus rêches. Ils enrobent, magnifient et tirent de l’artiste le meilleur de ce qu’il a en lui. Beaucoup de compositions sont nouvelles, mais quelques morceaux du Velvet sont réutilisés : Satellite Of Love, Andy’s Chest…
Lou Reed offre ses mélodies, ses mots, son expérience, son imaginaire… notamment ce qu’il a produit et vécu à l’époque de la Factory, de son activité aux côtés de Andy Warhol. Mais le son, la manière de travailler changent. Finis les disques enregistrés en quelques heures, les improvisations comme mode de fonctionnement et de production. Ici, on est au pays de la pop bien léchée, et de l’argent est en jeu. Il faut vendre. Il s’agit donc de synthétiser les qualités de Reed et de Bowie et sa bande d’artistes et de business(wo)men… Et cela peut marcher : Bowie a produit entre mai et juillet un album pour Mott The Hoople, un groupe britannique qu’il apprécie mais qui ne connaît pas les faveurs du public : All The Young Dudes. Il a même écrit pour eux la chanson-titre, un hymne daté mais quasi intemporel du glam. Le disque, sorti en septembre, fait un carton. Il monte jusqu’à la 21e place des charts et le single en 3e place, pour ce qui est du Royaume Uni.
Transformer est nickel chrome. Simple, relativement épuré, mais taillé avec une précision quasi scientifique. Une perle d’huître dans un écrin de velours mordoré, le tout précautionneusement assemblé par des ingénieurs et chirurgiens aux gants blancs. Et il offre son seul grand succès à Lou Reed. En Grande Bretagne, il atteint la 13e place, le single Walk On The Wild Side la 10e. Certains puristes grincheux reprocheront ses compromissions à l’auteur de Lady Godiva’s Operation. Plus tard, Lou Reed semblera renier lui-même ce disque. Mais le chanteur aurait-il pu réaliser le sublime Berlin, son chef d’oeuvre absolu, s’il n’y avait pas eu Transformer ? Assurément non. Et ce même si Berlin est comme un croche-pied au disque précédent.
A été critiquée la tournure ironique, kitsch, bien lissée que prennent les récits pervers et réalistes de Lou Reed. Le fait que des tubas puissent faire l’affaire des musiciens. La façon dont l’univers souterrain et salement new-yorkais devient maintenant présentable et présenté sous les reflets multicolores des boules à paillettes des discothèques de la City. Ainsi Vicious et son « Tu me frappes avec une fleur / Tu le fais toutes les heures » paraît artificiel, ruisseler d’une perversité à l’eau de rose. Rien à voir avec le Venus In Furs du Velvet inspiré par le célèbre ouvrage littéraire de Sacher-Masoch. Les pourfendeurs de Bowie crient au scandale… Lou Reed a subi les outrages d’un dandy de pacotille. Sauf que l’Américain a révélé que l’idée était venue de Warhol lui-même, quelques années auparavant. Et, de toute façon, la chanson est extrêmement efficace et précise, avec son riff velvetien façonné rock glam, et elle fait du bien là où ça fait mal quand Ronson lance des aigus sciants avec sa Gibson saturée, à intervalles parfaitement réguliers.
Pas un morceau n’est à jeter, mais nous retiendrons le très « glitter » Make Up qui chante le maquillage comme son titre l’indique, sur une musique à connotation « fanfare » ou « music-hall ». Une pièce paradisiaque : « Ton visage, quand il dort, est sublime / Et puis tu ouvres les yeux / Alors arrivent Pancake (fond de teint) et (Max) Factor numéro 1 / eye-liner, Rose Hips (cynorrhodon) et brillant à lèvres / C’est si plaisant ». Comme l’est le célèbre slow Perfect Day. Une ballade sur un quotidien (si l’on peut dire) tout sauf glauque : dégustation de sangria, promenade au zoo, séance de cinéma… la dolce vita in fine settimana… Solaire, lumineux, lunaire, idyllique. Et puis il y a cette extraordinaire phrase finale, répétée à plusieurs reprises, qui approfondit la chanson de façon inattendue, lui donne un côté quasi métaphysique : « Tu vas récolter ce que tu as semé ». Tout est transcendé. C’est Ronson qui a écrit les arrangements de violons. L’auditeur peut les entendre, mis en avant par Lou Reed qui écoute les bandes sur la table de mixage d’un studio, dans le documentaire de Bob Smeaton Transformer (USA, 2000 – visible sur Youtube). Le Transformer de Lou Reed, c’est un peu aussi, mutatis mutandis, du Federico Fellini et du Woody Allen… Avançons-nous un peu ! Satellite Of Love, précieux et léger à souhait. Bowie, comme le soulignera Lou Reed, élabore pour la fin du morceau un ensemble de choeurs d’une grande beauté et complexité. Nous pensons aux autres réussites de l’Anglais dans ce registre, comme les finaux de Friday On My Mind (1973) ou Somebody Up There Likes Me (1975). On peut entendre ces choeurs, mis en avant également à travers un re-mixage, dans le film de Bob Smeaton.
Andy’s Chest où, très poétiquement, très lyriquement, Lou Reed évoque la tentative d’assassinat de Warhol par Valerie Solanas en juin 1968. Et Walk On The Wild Side, bien sûr. LE hit. Une fresque composée d’historiettes sur la faune new-yorkaise et warholienne. C’est la sarabande à la fois réaliste et imaginaire des drogués, des prostituées et prostitués, des transsexuels et autres travestis… Lou Reed met en scène des personnalités qu’il n’a pas forcément connues : Candy Darling, Sugar Plum Fairy (alias Joe Campbell), Joe Dallessandro… Il s’agit d’un jazz langoureux et flegmatique, nocturne et coloré, avec deux basses d’anthologie et un solo de saxophone phénoménal. Très longtemps a couru la fausse rumeur selon laquelle Bowie interprétait cette partie. Impossible, celui-ci n’a jamais été capable de jouer aussi bien du saxophone. Et, de fait, on a un jour su que c’était son professeur, Ronnie Ross, qui avait été derrière le micro. Ross a longtemps enragé car il n’a pas été payé au pourcentage mais comme un vulgaire musicien de studio : à la session !!!
Walk On the Wild Side est inspiré du roman éponyme de Nelson Algren où il est entre autres question de prostitution. Dans son enregistrement Live : Take No Prisoner (1978), on entend Reed raconter qu’au début des années soixantes-dix, il avait été impliqué dans un projet de comédie musicale basé sur ce texte littéraire. Le projet n’a pas abouti. Mais la chanson a vu le jour. Il faut savoir que le cinéaste Edward Dmytryk a adapté le roman pour l’écran en 1962 (Titre français : La Rue chaude).
Une question reste encore… toujours… Bowie est-il bien l’auteur de Wagon Wheels ?… au train où ça va, on pourra toujours se lever tôt pour le savoir. So, goodnight ladies, ladies goodnight.
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