Lower Dens – "Nootropics"

Pour ceux qui suivent d’un peu plus près la sphère initiée depuis près de dix ans par les artistes et amis Cocorosie, Devendra Banhart ou encore Antony Hegarty, le nom de Jana Hunter devrait vous être familier. Après une carrière solo en tant que chanteuse folk sur le label de Banhart, Gnomonsong, une incursion au sein de la formation Metallic Falcons, quelques albums en duo avec Devendra Banhart, Deer Ticks et bien d’autres, elle revient avec son groupe Lower Dens pour un deuxième album des plus réussis, Nootropics, et y livre une exploration pertinente sur ce que peut être l’atmosphère en musique et cela en la confrontant à la notion de transhumanisme. Tout un programme…

Musicalement, Lower Dens fonctionne comme autrefois le duo Eno / Fripp _ des envolées planantes, des explorations sonores, un riff de guitare, et une batterie omniprésents _ sur lesquels viennent se poser juste ce qu’il faut d’électro, de shoegaze et de krautrock. La voix de Jana Hunter, androgyne, y excelle et finit d’offrir une partition riche et psychédélique (les nootropiques évoquant cette famille de drogues permettant de modeler sa pensée et d’accroître sa mémoire), ainsi qu’un opus complet et mature dans le sens même.
Si Alphabet Song ouvre le disque de manière forte en utilisant le poème dada « Suicide » du poète Louis Aragon, c’est véritablement Brains qui remporte tous les suffrages : un mouvement de batterie entêtant impeccable, une scansion de Jana Hunter : nous sommes emportés, exhortés…
« Starting the day
Staying awake
Everything will change
While you’re asleep
While you’re breathing
Do you believe
No one is waiting
Brains without names »_ Lower Dens, Brains.

…jusqu’au changement superbe qui impulse au morceau une noirceur qui prend la forme d’une intrusion dans la réflexion et le doute. Jana Hunter, qui aime intellectualiser ses morceaux, explique que celui-ci a trait à notre relation avec la technologie. Pourquoi pas. Nous reviendrons un peu plus tard sur cette dimension omniprésente dans l’album. N’en demeure pas moins qu’au-delà de tout sens, ce morceau est déjà rudement efficace tel quel.
L’album se pose ensuite avec le morceau Propagation durant lequel la chanteuse se dévoile un peu plus vocalement. Quelques voix fantomatiques, derrière. Lamb, qui suit, révèle quant à lui un univers sombre, oppressant, fait de réverbérations et d’envolés magnifiques de la chanteuse. C’est très étrange, on pense un peu à Balavoine ou à la Lettre à France de Polnareff, mais peut-être que non… mais un peu quand même.
Cette dernière explique d’ailleurs dans de nombreuses interviews, son envie d’enregistrer et de générer des sons dont elle connaissait l’existence mais qu’elle n’était jusque-là pas parvenue à retranscrire. Ainsi donc cet album est l’aboutissement de cette recherche : musique inversée, synthétiseurs analogiques, créations de pédales de distorsion inédites, percussions étranges : tout concourt à faire de cet opus du groupe un album riche et sensé. C’est sans doute sur le titre Lion in Winter que cette recherche est la plus flagrante tant le morceau, qui s’étire sur deux pistes, vient gratter l’oreille de l’auditeur par des sonorités surprenantes et entêtantes.
Le titre Nova Antheme quant à lui, magnifique, est une véritable ballade qui emporte l’auditeur à mesure que la voix de Hunter prend corps en égrenant une liste de mots qui, associés ainsi, sont riches de sens. L’hommage à William Burroughs (et à son Nova Express) est ici évident puisque le morceau est une invitation à réfléchir sur le langage et l’aliénation qu’il suscite. À ce titre, Burroughs ne disait-il pas que le langage est un virus ?
  « Immortal
Electric
Infinite
Universe
Animal
Souless
Place
Controlled
By Emotion »_ Lower Dens, Nova Theme.
On l’aura compris, Nootropics est un album qui s’écoute autant qu’il ne se lit. Jana Hunter et ses comparses y développent l’idée selon laquelle l’existence, vaine, est comparable à une roue de hamster qui entrainerait chaque humain à s’exténuer pour rien. Sans but véritable, l’humain n’a qu’un seul but alors, celui futile de survivre, devenir éternel, et cela pour se sortir de ce cycle infernal. Sauver l’humanité, lui donner un sens. L’emporter, le mettre à l’abri. Ne pas regarder en arrière et fuir cette condition de « créatures de la jungle ». Lower Dens semble proposer la technologie comme échappatoire, rejoignant ainsi le mouvement transhumaniste qui considère que les capacités intellectuelles, mentales et morales de l’humain peuvent être transcendées par la technique et la science. La modernité crée ses monstres, pourquoi ne créerait-elle pas aussi ces solutions ?  Et si la langue est un virus, n’est-elle pas, aidée de la musique, son antidote ?
« At the end of the world
There’s no one waiting for you.
In the beginning,
There was light
But now it’s dark » _ Lower Dens, In the End is the Beginning.

(c) Shawn Brackbill
Tout le disque fait ainsi sens avec cette idée : qu’il s’agisse de son titre, de la recherche de sonorités inédites qu’il propose, de ses textes, Nootropics est un véritable concept philosophico-musical futuriste cohérent qui invite à la réflexion sur notre propre fin, jusqu’au dénouement véritable qui prend une forme de fin du monde mais aussi de renaissance (In the End is the Beginning).
Pour information, ce n’est que le début de la réflexion quelque peu foutraque de Lower Dens initié par leur précédent album Twin-Hand Movement puisque Nootropics n’est que le deuxième album d’un cycle qui en comportera normalement cinq.A suivre donc…

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A propos de Alban Orsini

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