Doté d’un nom provoc’ et marrant, le groupe Mannequin Pussy pourrait avant tout être considéré comme une superbe madeleine de Proust. Tout ceux qui, dans les années 90, ont traîné leurs guêtres dans une certaine grande enseigne hexagonale au lieu d’être au lycée, au rayon « Alternatif » ou « Indépendant » – appellation permettant de classer tout ce qui était à la fois rock et autre chose – trouveront quelque-chose de familier dans la musique de Mannequin Pussy. Car c’est de ça dont il s’agit : un groupe à l’essence totalement rock, qui s’est formé dans la tradition, c’est-à-dire dans un bahut du côté de Philadelphie. Pour ce quatuor, le punk (dont le groupe tire son énergie première) ou la pop ne sont jamais très éloignés, sans que ce soit une quelconque fin en soit. Mannequin Pussy fait partie de ses groupes qui peuvent être définis par leur approche, leur démarche artistique, leur son, et non pas simplement tel ou tel genre.

Depuis plus de quatre ans et un album, Patience (au titre prophétisant celle des fans), il n’y a eu que quelques singles à se mettre sous la dent, annonçant la sortie de ce nouvel album I Got Heaven. Ce – toujours très court – précédent opus de 2019 marqua un changement important puisque ce fut le premier à sortir au sein de l’immense label Epitaph Records, absolument incontournable dans le milieu punk rock et affilié. Son fondateur n’est autre que Brett Gurewitz, guitariste de Bad Religion et compte dans ses rangs nombre des groupes mythiques dans une myriade de styles, allant du shoegaze léger au hardcore le plus lourd (et testostéroné) qu’il soit. Concrètement, en intégrant cette écurie, le groupe a gagné une qualité de production accrue, ainsi qu’une reconnaissance par ses pairs.

Pour les Mannequin Pussy, la filiation avec le punk rock des années 90 sonne comme une évidence, et devient chargé d’une grande signification tant elle s’inscrit, consciemment ou non, dans le mouvement des riot grrrls. Saturées par une industrie du rock très masculine, quelques femmes s’étaient alors emparées du micro pour affirmer à grands coups de riffs rageurs que la colère ou la désillusion n’était pas réservées aux mecs, quand bien même ils savaient bien faire du skate. Dans I Got Heaven, cette morgue pleine de panache est toujours là, même si côté colère, du chemin a été parcouru depuis Romantic par exemple (un EP qui date de 2016). De cette voix criarde et saturée des débuts, il subsiste toujours une énergie dévorante et leur son, frappant de manière bien plus précise, demeure toujours rageur, bien qu’un peu moins DIY. Quand bien même sa durée reste très courte (moins d’une demi-heure), comme dans le respect d’une tradition (certains morceaux font 1 minute 30), il demeure impossible de simplement classer cet album dans le punk rock, tant les cages à miel de l’auditeur se retrouvent charmées quand le groupe permet de revisiter le catalogue du rock indé de la dernière décennie du 20ème siècle. De Garbage aux Smashing Pumpkins, d’une pop légère à un grunge un brin hargneux, le bon vieux rock dégouline tellement de ces dix compositions alternatives qu’un instant, on pourrait croire que celui-ci n’est pas mort !

Cependant, la chanteuse Marisa Dabice et ses camarades démontrent sur I Got Heaven que le groupe a une dimension bien plus importante que celle d’un – bon – groupe punk rock de plus. D’emblée, l’artwork splendide de l’album renvoie assez clairement à Circé, la magicienne qui transforma les marins d’Ulysse en porc dans l’Odyssée. Le sous-texte parait évident : les allumettes sont fournies pour cramer le patriarcat, mais pas seulement puisqu’en utilisant la figure symbolique de l’enchanteresse, c’est bien une puissance incontrôlée du féminin qui est convoquée. Toutefois, que ceux qui tremblent devant les sécateurs se rassurent, les paroles offrent bien des nuances, et finalement ce sont davantage les doutes et les angoisses bien contemporaine d’une interprète qui fascinent et émeuvent. Entre rage et larmes, c’est finalement toute une vision assez romantique d’un genre musical qui est célébré.

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A propos de François ARMAND

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