Depuis 2017, Martin Luminet développe un univers musical intimiste et référencé, singulier et accessible. Omniprésent sur scène, il s’est illustré lors de la tournée 2017 du Mégaphone Tour, avant de faire partie de la sélection Auditions Inouïs du Printemps de Bourges 2019 ou plus récemment encore du Chantier des Francopholies de la Rochelle l’été dernier. Natif de la région lyonnaise, il a également effectué les premières parties d’Eddy de Pretto (Radiant-Bellevue) et Clara Luciani (Transbordeur). À travers ces différentes expériences, il n’a eu de cesse de faire évoluer son projet et ses titres, afin de les peaufiner, les affirmer, sans jamais perdre de vue leur sève originelle. Hier, vendredi 11 décembre, il nous a dévoilé Cœur, le premier extrait d’un EP à venir, sur les plates-formes mais également en vidéo à la faveur d’un clip ambitieux. On y découvre un type se réfugiant au pied d’un mur immense sur lequel sont projetés des images de films d’amour et de violence, réveillant le peu d’émotions fortes qu’il lui reste au fond des tripes….
Après cette découverte, il nous a semblé intéressant de prolonger les présentations, faire davantage connaissance avec l’artiste.
Pourquoi le choix de ce titre et de ce clip pour lancer ton futur EP ?
J’avais envie de commencer par un titre qui soit un peu à l’image du projet et de moi par extension, je voulais quelque chose de très intime et d’assez viscéral. Ce titre est ce qui représente le plus cela, dans ce qu’il raconte, dans la façon dont il a été fait, il a un coté un peu accidentel, qui m’a pris de court. Il n’était pas prévu du tout, il a été écrit en une journée : je ne l’avais pas anticipé. J’ai beaucoup cette façon de fonctionner, qui a aussi été celle qui m’a amené à la musique. Je n’ai jamais fantasmé sur l’idée d’être musicien, je n’avais jamais eu d’envie du genre, rien ne me destinait à faire ça. Cette chose m’a un peu rattrapé, pris par surprise, à la fin de l’adolescence et je n’ai pas pu résister. En étant très honnête, je ne peux même pas dire que j’ai fait le choix de la musique. Ça s’est imposé comme une évidence, un truc un peu vital. Au final, si je ne faisais pas ça, j’aurais vécu sans exister.
Quand as-tu commencé la musique et à quel moment t’es tu lancé dedans professionnellement ?
J’ai commencé en terminale. Je n’en avais jamais fait avant ni petit ni ado, je faisais du basket ! Sinon c’est en 2017 que je me suis dit « j’y vais pleinement, en étant pleinement acteur de ce mouvement ». J’ai présenté mes premières chansons officiellement pour le tremplin du Mégaphone Tour de 2017, le projet solo a alors vraiment commencé à exister. Avant, je pense que je ne me l’autorisais pas du tout. J’avais commencé à accepter des petites scènes en 2015, je m’étais essayé à faire deux, trois titres mais pour moi l’aventure solo n’était pas du tout conscientisée à l’époque. Je me le suis aussi autorisé aussi grâce à des rencontres fondatrices et je pèse mes mots, sans ces personnes je ne me serais sans doute pas autant accompli, Marion Richeux qui me manage aujourd’hui, Caroline Guaine (créatrice du Mégaphone Tour), le Studio des Variétés à Paris avec notamment Olivier Bas, Alice Vivier des Trois Baudets et sans oublier les acteurs de la scène lyonnaise, Lorette Vuillemard, les équipes d’ATBC, Sebastien Vallet, Axel Psaltopoulos de Resotech, et les Chants de Mars.
Jusqu’à présent depuis tes débuts en solo, tu as largement privilégié la scène aux sorties de titres, avant Cœur, seul Garçon se trouvait sur internet…
Oui et Garçon n’est même pas une sortie officielle.
Pourquoi cette préférence pour la scène afin de te développer artistiquement ?
Le fait de vouloir être sur scène, correspond à une volonté de ne pas se cacher. Beaucoup de projets musicaux aujourd’hui, naviguent un peu sous les radars le temps que sortent les premiers titres. Si j’avais suivi le parcours normal pour un artiste en développement, de 2017 à aujourd’hui, j’aurais fait aucune scène. J’aurais été en-dessous des radars et le jour où serait sorti mon premier titre, on aurait fait croire que j’avais commencé la musique avant-hier, comme un objet tout neuf… Sauf que je suis pas hyper familier de cette façon de faire, vu qu’il s’agit d’un projet intime j’avais envie qu’on puisse voir un peu les changements, je voulais naviguer à vue. Je souhaitais que le public puisse voir les évolutions, comment le projet avance, comment il mute, subit des métamorphoses. Ce projet n’est pas très éloigné de moi humainement, toutes les métamorphoses qu’il a subi, je les ai également subies dans la vie, intimement. Je trouvais intéressant et risqué, de ne pas le cacher au public, d’être tout de suite sur scène et de montrer les chansons, sans artifices. Bien sûr, j’adore également la scène, ce qui est un argument en soit mais je désirais quelque chose de direct, un contact de peau à peau avec les gens. Il n’y avait rien du tout qui venait vendre le projet, pas d’articles qui sortaient dessus. On venait voir le concert sans avoir rien prémédité, sans idée faîte au préalable. Ce vertige m’intéressait bien, comme un espèce de truc un peu à vif. Je pense que dans un projet aussi intime et assumé en tant que tel, il fallait que je joue le jeu à fond et que je montre vraiment au public comment les choses se passaient de l’intérieur. C’était une sorte de baromètre car il ne faut pas oublier que tu fais ça surtout pour le public.
J’ai eu l’occasion de te voir plusieurs fois sur scène et constater ces évolutions dont tu parles, des changements sur tes titres d’un concert à l’autre. Même si paradoxalement, l’EP que tu t’apprêtes à sortir n’est que le début de ton aventure, as-tu l’impression de t’être trouvé artistiquement ? Ou bien s’agit-il juste de la radiographie d’un moment donné dans ta carrière?
Quand tu sors un projet, tu figes quelque chose, les chansons ont désormais vocation à beaucoup moins bouger. J’ai trouvé grâce à des rencontres, notamment avec Benjamin Geffen qui m’accompagne scène et qui a réalisé l’EP. Je pense que les morceaux ont évolués parce qu’il fallait cette rencontre là, quelqu’un qui vienne poser un regard. Comme quand on fabrique un film, tu as un scénariste, un réalisateur et puis un chef opérateur, il faut alors que la combinaison opère. Je crois que j’étais un peu à la recherche, que j’avais besoin de cette tierce personne pour finir vraiment les chansons. Cela dit même s’il y a des choses que l’on peut arrêter, je crois que l’on ne fini jamais de se trouver. Je suis assez ennemi de la certitude ,surtout en musique ou en art de manière générale. Et de toute façon dans la vie, à moins d’abdiquer, on ne finit jamais de se trouver !
Comment le choix du visuel très cinématographique qui caractérise le clip de Cœur s’est imposé par rapport au morceau ?
Je n’envisage pas les clips comme l’illustration d’une chanson ou un sous-titre. Il s’agit pour moi d’un nouveau média qui constitue l’opportunité de prolonger une émotion. Nous ne voulions pas en faire un outil uniquement promotionnel, même s’il en est un bien sûr, nous souhaitions s’en saisir tel un prétexte afin de créer une œuvre artistique à part entière. Il était assez naturel de l’emmener sur une sorte de grain cinématographique et surtout d’évoquer le cinéma dedans. C’était la dernière chose dont je n’avais pas parlé dans mes chansons et il fait pourtant partie de mon projet. Ce rapport au cinéma, qui est vraiment intense, je voulais justement le garder pour les clips. Il me semblait que c’était sa place, à cet endroit, qu’il devait s’exprimer en premier lieu.
En dehors des extraits utilisés, la photo rappelle celle de Drive de Nicolas Winding Refn, est-ce une référence volontaire ?
Je voulais quelque chose d’un peu cru à l’image et en même temps d’assez chaud, une sorte de mélange entre la vie de tous les jours et le cinéma. Avec le chef opérateur, Robin Pogorzelski, en entrecoupant nos références, les photos de Drive et du Joker dans leurs bleus cyan, ressortaient beaucoup. Nous voulions quelque chose d’assez froid et pourtant esthétisé. Nous recherchions une lumière faussement naturelle, être toujours dans une forme d’ambiguïté entre le réel et le cinéma. Cela rejoint une question m’anime, est-ce que je préfère la vie ou le cinéma ? Est-ce que c’est la vie qui inspire le cinéma ou es-ce que c’est l’inverse ? Qu’est-ce qui est le plus beau ? Pour être hyper factuel, nous avons regardé des films qui visuellement nous apportaient ça, de plus Drive est une référence affective même si dans le cas présent, elle fut davantage technique.
Est-ce les films cité dans le clip résonnaient comme des évidences au moment de les inclure ?
Il s’agit de mes choix les plus intimes et sans concession aucune, même s’il en manque. Parfois je voulais juste la présence d’un acteur, d’une scène, d’une atmosphère qui m’avait marqué… Frances Ha, Les Chansons d’amour, 2 Automnes 3 hivers, ce sont vraiment des films qui ont construit ma sensibilité artistique, auxquels je dois beaucoup. Ils m’ont aidé à mettre des mots, à avoir une conversation intérieur, ils m’ont fait me sentir moins seuls face aux questions de l’amour, de la colère…
Quelle place occupe le cinéma dans ta démarche artistique ?
Je me dis qu’il faut qu’en très peu de mots, que j’arrive à poser un maximum de décors. C’est-à-dire, par exemple, qu’un personnage que l’on va croiser dans une chanson ne soit pas le même à la fin de la chanson, il faut qu’il évolue en trois minutes. L’impact du cinéma sur mon écriture, va de pair avec une envie de ne pas être dans quelque chose de contemplatif mais presque dans la mise en scène. Quand j’écris, je pense vraiment à des travellings, comme si la caméra passait sur mes mots, en très peu de mouvements, en très peu d’images, il faut que l’on capte où l’on se trouve, l’ambiance du lieu et ce qui va se jouer, émotionnellement ou dramatiquement. Je n’imagine pas mes chansons comme des couplets/refrains mais plutôt des séquences.
Quels sont les artistes qui t’inspire dans le paysage actuel ?
C’est une vraie question parce que je ne me sens pas qu’influencé par des musiciens. Je me sens influencé des acteurs, des personnages publics, des sportifs… Je suis très sensibles aux gens qui se dépassent, qui vivent un peu plus fort que prévu, qui vont plus loin que leur fonction : Adèle Haenel, Ayrton Senna pour te donner des exemples. Ce genre de profils m’inspire énormément.
Comment définirais-tu ta musique si tu devais la ranger dans un genre ?
Quand je regarde le paysage musical actuel, la famille dans laquelle je pense pouvoir être rangé et dans laquelle je me sens une filiation, c’est ce qu’on appelle le Spoken Word. Cette mouvance avec Odezenne, Cabadzi, Vendredi sur mer, quelque chose teinté de pas mal d’influence entre le rap et la chanson, mais qui n’est à proprement parler ni l’un ni l’autre. Je me sens très mal à l’aise à l’idée de me dire que je fais de la chanson, je pense que je ne coche pas tous les codes et je ne peux pas non plus dire que je fais du rap, ce n’est pas ainsi que je restitue ce que j’ai besoin de dire, bien que cela m’influence. J’aime que les choses ressortent à la manière dont j’aurais pu le dire dans la vie, d’où le côté plutôt parlé, empruntant des moments de flow et des moments un peu chantés. J’aime cette liberté entre les deux.
L’évolution de la façon de consommer de la musique, les nouveaux modes de diffusions impactent-ils ta manière de concevoir tes projets ?
Je les prends en considération. Je consomme aussi de la musique ainsi, à picorer des choses sur les albums, plutôt que les écouter d’une traite. En conséquence, pour dévoiler mes chansons, je conçois mon disque comme une succession de petits épisodes, que je peux sortir au compte-goutte, les uns après les autres. Ils peuvent ensuite s’écouter comme un projet entier évidement mais la première lecture, se fait un peu à la manière d’une série. Je trouve que c’est un challenge assez excitant.
Quelle est ton actualité après la sortie de Cœur ?
L’EP devrait sortir au printemps 2021, il contiendra cinq titres. D’ici là, l’idée est d’avoir dévoilé trois titres au total. À côté, je vais également continuer les portraits Hardcœur puis les dates reprennent dès le mois de Mars jusqu’aux festivals d’été et les Francos de la Rochelle.
Justement peux-tu revenir en conclusion sur ce projet Hardcœur que l’on peut retrouver sur ta page Instagram ?
Ces portraits ont été une conséquence du premier confinement, qui m’a fait pas mal cogiter et écrire. À la sortie, j’avais davantage envie de parler des gens que j’aimais, que de parler de moi. J’ai ressenti un désir exacerbé d’aller vers les autres, une espèce d’urgence à me décentrer un peu. Avec Hardcœur, j’interroge quelqu’un dont j’aime le travail et la personnalité, issue de la musique mais pas seulement. L’idée est de l’amener à parler de sujets qui me tiennent à cœur, les mêmes que soulèvent l’EP mais sans mes mots, j’avais très envie que les gens que j’aime en parlent afin d’avoir leur vision et aussi une espèce de contrechamp à ce que je peux apporter à ces questions-là. Qu’il s’agisse du couple, du désir, la sexualité, l’amour, la génération etc.
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