Juillet 2013. Il y a deux ans, presque jour pour jour, l’album de Michel Cloup en duo avec Patrice Cartier, sortait comme ça, sans tapage, avec une belle dignité. « Notre silence » était un disque intimiste, tantôt doux, tantôt rentré, une sorte de mise à plat, économe et épurée. On sentait là, un mouvement, certes modeste, mais assez crucial, autant un bilan qu’une étape. Juste un pas ; un pas juste, aurait-on dit. Aujourd’hui, Michel Cloup partage avec nous, jour après jour, le journal d’un nouvel album qu’il prépare en studio. Le blog s’appelle « ici pour quelques mois ».
Un mois plus tôt ou presque, c’était « Mendelson » qui inaugurait son nouveau triple album avec quelques concerts, à Brest, à Paris… Le parallèle, inévitable, est renforcé par quelques apparitions live communes et l’édition d’un
deux titres digital, dont Michel Cloup et Pascal Bouaziz de Mendelson se partagent les faces. Une sorte de même langue, forcément parlée, le français, et musicale, les rassemble depuis de longues années. Déjà 20 ans auparavant, sur le label Lithium, ils avaient formulé chacun avec leurs mots, une sorte de réponse à l’indie rock qu’ils appréciaient, de chronique en métaphore, de biais ou de front, sans ménager notre émotion. Durant ce long laps, ils sont restés dans les marges, et on les a suivis, au rythme de disques plus ou moins réguliers, comme des amis lointains dont on guetterait chaque bulletin de nouvelles.
Cette actualité, plus ou moins lâche, de deux précieuses figures d’un « indie-rock » français, nous amène à faire un arrêt sur leurs albums respectifs ainsi que sur leur souci commun d’une écriture, aussi parlée que parlante. On appréciera aussi, outre cette singularité de locution, l’espace et le rythme si particulier que nous imposent leurs albums. Sorte de bulles achroniques, parenthèse intime pour l’un, épopée mouvementée pour l’autre, ils appellent à faire un pas de côté avec eux, hors de l’instantanéité et de la consommation numérique, pour mieux apprendre à les connaître. Des deux parts, un narrateur, une indécise première personne, qui nous parle ou nous prend à partie, et deux élans, des gestes d’ensemble plus que des compilations de morceaux, qui mettent à mal les formatages « rock » ou « chanson ».
Mendelson (mai 2013), triple album de Mendelson (Ici d’ailleurs).
A l’exception de Il n’y a pas d’autre rêve, morceau faussement enlevé qui renoue avec la légèreté de certains titres de Seul au sommet (3ieme album du groupe), le dernier Mendelson est de loin l’opus le plus nihiliste du groupe. Chroniques de ratages échafaudés sur des échecs et d’un dégoût insatiable de soi, les morceaux n’épargnent ni l’auditeur ni le narrateur qui se fait le commentateur ironique de son perpétuel fiasco. Dans le jour où, le chanteur, Pascal Bouaziz, se fait le metteur en scène de mille manières d’en finir et assiste, spectateur, aux accidents tragi-comiques qu’ils s’infligent. La tête fracassée contre un rocher, il contemple, détaché, son sauveteur qui lui fait les poches et se roule une cigarette avec le tabac dont lui, de toute façon, n’aura plus l’usage. La longueur des morceaux est toujours plus poussée et ce jusqu’à atteindre les 55 minutes des heures, le morceau unique du deuxième disque. Le débit lancinant du chanteur est porté par la musique, sombre et percussive, qui progresse par ondes autant qu’elle gronde dans un sur-place sourdement irrité. Plus de couplets ou de refrains, juste une trame musicale assez linéaire avec ses inflexions, ses dynamiques, sa ponctuation. L’album enchaîne les grands gestes d’élocution, pleins de cynisme, de misanthropie, d’aversion. L’adresse est parfois frontale. La voix parlée, atone, exaspérée, détachée comme une conscience maligne, s’emballe parfois dans le flux de son débit. Ainsi, le risque avec cet album, plus encore qu’avec les précédents, est de diviser les auditeurs en deux camps. Les uns s’arrêteront contre le granit impénétrable, qu’est cette masse de désespérance, tandis que les autres complètement immergés, ne pourront que vanter l’héroïsme du geste, la façon de braver la longueur et de débiter les liasses d’écriture. Pourtant, l’on se dit que Mendelson est à la fois cela, mais aussi, un peu plus que ça. On ne peut pas les aimer que pour la noirceur des enlisements, la qualité des enjambées ou en vertu de la grande démonstration d’endurance que représente dans son ensemble ce triple album. Il y a autre chose qui se joue de plus fondamental encore et qui est comme l’expression d’un nécessité : chercher une forme musicale et narrée, l’éprouver, en faire vraiment l’épreuve… En ce sens, l’album est un tour de force « expérimental » ainsi que l’accomplissement logique des efforts entrepris par le groupe depuis ses débuts.
Notre silence (fin 2011), album de Michel Cloup, en duo avec Patrice Cartier (sur propre label « MichelCloup ») et J’ai peur de Nous (2013), single 45T (Ici d’ailleurs).
Notre Silence est une toute autre affaire que le triple de Mendelson et ce, malgré l’analogie du chanté parlé en français et d’un univers musical « rock » en commun. Ici, c’est davantage une chronique intime qui se déploie. Elle prend la forme d’une confidence plus sereine. C’est ici, le bilan d’une relation ou d’un pas dans la vie, et ailleurs, peut-être la crainte de se séparer. Michel Cloup, s’il campe indéniablement sur des assises rock, celle d’un rock lent et innervé, toujours capable de quelques éclats, est, on le sent particulièrement cet album, d’un naturel un peu plus « pop » et optimiste que Bouaziz, son pair chez les Mendelson. Sa voix, notamment dans les morceaux les plus posés, s’adoucit et irradie d’une sorte de fraîcheur juvénile. Rien d’explicable dans cela si ce n’est la particularité d’un timbre et d’une intonation qui appelle autant l’éclaircie que la part positive contenue dans la colère. Les morceaux alternent entre concision et durée, de quelques incises brèves, dictées quasiment à capella en introduction, jusqu’aux longs développements de l’enfant et de notre silence. Entre temps, Cloup réalise une série de petits classiques aux formats plus ramassés : le rock plus direct decette colère, et deux balades pop au charme subtil, le cercle parfait et un film américain. L’ensemble prend un caractère presque cinématographique, entre chronique narrée et moment de vie. On le traverse en y rencontrant des attentes, de brusques remous ou des accalmies. L’album repose toujours sur quelques crêtes « dramatiques » mais imprime en même temps l’image d’un pas tranquille, entre flegme et sérénité. Ainsi les amateurs, de Diabologum #3 ou d’Expérience, retrouveront avec plaisir certains chavirements électriques et montées de colère, mais ils y sentiront également autre chose, de plus mélodieux, plus tempéré. C’est donc un album qu’il faut apprendre à écouter, patiemment, pour le découvrir pleinement, tant il est dessiné plus en pointillés qu’en poussées épiques. En cela,Notre silence est un peu le symétrique opposé de l’album des Mendelson, concentré, lumineux et rasséréné là où le second n’est conçu qu’en longs et sombres débordements. C’est en tout cas un très bel achèvement dont on attend les développements futurs.
Le nouveau 45T, J’ai peur de Nous, renoue pour sa part avec une énergie rock plus instantanée. Le morceau est porté par une rythmique lancinante. Il s’anime de multiples montées et breaks, qui donnent à son récit intime une allure de petite épopée. C’est un morceau somme, récapitulé du savoir-faire du Cloup « rocker » mêlé à la finesse de ton acquise depuis Notre Silence.
Avec Cloup et Mendelson, on a là des musiques peu consensuelles mais moins difficiles et « cérébrales » qu’elles ne pourraient paraître. Un ancrage non démenti dans les musiques « populaires » et un goût profond de la narration les animent communément. Chanson française, littérature ou cinéma, il s’agit avant tout de faire naître des images et de parler directement à l’auditeur, en lui rappelant aussi une forme de « tradition » musicale indépendante. Cette manière et l’univers ordinaire dont elle s’inspire, peuvent ne pas être du goût de tous et susciter des controverses. Les détracteurs pourront dégoiser à loisir et se camper sur leur première impression. Les uns diront : premier degré, misérabiliste, étroit, dépressif, complaisant … et d’autres encore : rock « indé » « clichetonneux », existentialiste, littéraire, prétentieux… Pourtant, on voit mal pourquoi un morceau, dès lors qu’il est chanté en français et hors les sentiers d’une musique plus directement divertissante, devrait subir, ce dernier procès. Les mots y sont assumés, sans plus de pédanterie que dans une autre langue. Quant au risque de complaisance, il est certes réel, car les deux marchent sur un fil, mais en même temps, on découvrira ça et là, autant d’humour, d’ironie et de style, que d’émotion ou d’états d’âmes. Finalement, ces albums sont autant des confidences, et parfois des confrontations, que des évocations inventées dans le travail de l’écriture. Ils appellent tout deux un lâcher prise pas toujours commode mais gratifiant, pour peu que l’on accepte de se laisser porter ou emporter. Ces opus ne seront donc, jamais, des disques de vacances ou de soirées, ou de ceux que l’on écoute distraitement au quotidien. Ce sont des disques qui mobilisent notre attention et notre écoute intime. Impossible non plus de les avaler d’un trait ou de les répéter en boucle. On les goûte avec parcimonie au gré de moments choisis ou de notre disponibilité à nous immerger en eux. Pour autant, sans être une gourmandise de chaque instant (ce à quoi l’album de Cloup peut davantage prétendre en se révélant avec le temps), leur présence nous conforte et nous accompagne. Leurs histoires font partie de notre histoire. Simplement, et presque bêtement, on aime les savoir près de nous.
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