S’il est communément admis que le rock est mort, qu’en serait-il du reggae, au crépuscule de ce premier quart de Siècle ? Dans la folie ambiante, l’ingénuité de cette musique, qui en fait sans conteste sa force, pourrait tout aussi bien être sa grande faiblesse. En forçant un peu le trait, ne constituerait-elle pas un dernier refuge pour quelques doux illuminés, amateurs de cuisine aux herbes de Provence, post baba-cools un peu nostalgiques, ou pire avec le fameux comble gênant : les rastas Blancs. Le reggae est devenu légendaire avec d’immenses moments de bravoure, comme celui qui vit Bob Marley inviter sur scène deux opposants politiques dont la rivalité mettait Kingston à feu et à sang. A l’instant de contraindre les deux adversaires à se serrer la main, le chanteur déjà iconique se muait en un Prophète halluciné, se hissant au statut de quasi divinité. Cependant, après le choc provoqué par cette image et la puissance du symbole, la star qui incarne encore le reggae aujourd’hui demeura impuissante à empêcher la réalité de reprendre très vite ses droits.

Avec ses textes empreints d’idéalisme et de religion, voire d’une humanité fantasmée, Mo’Kalamity se situe pleinement dans cette lignée. Cependant, renvoyer l’artiste Cap-Verdienne à une supposée naïveté serait terriblement injuste. D’abord, il peut être utile de rappeler que la dimension mystico-religieuse autour de Jah est une pierre angulaire du genre, quasiment à l’instar du gospel. Or, la démarche de l’artiste s’inscrit dans un retour aux sources du style. Si pour certains, la survie du genre passe par une compromission avec la pop ou d’autres styles plus urbains, Mo’Kalamity affirme au contraire une fidélité indéfectible à un son, à une technique, voire à certaines méthodes d’enregistrement et donc, à une philosophie.

En plein dans cette quête aux racines du genre, Mo’Kalamity effectuait en 2018 un pèlerinage en Jamaïque pour y produire un album, toujours superbe, en compagnie de deux gardiens du temple : Sly et Robbie. A Kingston, toutes les pistes sont enregistrées en une prise, comme une contrainte à laquelle il faudrait se plier pour être adoubé. Cet album, One Love Vibration, détonnait déjà par la singularité du son qui s’en dégageait, doté d’une fraîcheur étonnante. Le carcan traditionnel, assumé, utilisé pour concevoir l’album se révéla donc être un formidable piédestal pour permettre à la créativité de Mo’Kalamity de s’exprimer pleinement.

Avec ce nouveau Shine, la chanteuse reprend sensiblement la même recette, à quelques nuances près, puisque si une partie de l’album a bien été enregistrée à Kingston, une autre fait l’objet d’un voyage (devrait-on dire pèlerinage ?) à New-York, où la chanteuse a posé ses valises quelques temps. Ainsi, Shine demeure dans la tradition, tout en étant empreint d’une énergie différente, étant confronté à d’autres influences et à une autre géographie. Dans la fourmillante Big Apple, l’artiste Parisienne a travaillé avec d’immenses artistes. Citons entre-autres Sidney Mills, membres des mythiques Steel Pulse, Dennis Thompson, immense ingé son qui a travaillé notamment avec Bob Marley, ou encore Andy Bassford, qui au-delà de son CV long comme le bras, a œuvré par exemple avec le regretté Toots.

Le titre Shine, enregistré à Kingston, donne son nom à l’album et s’impose comme une évidence tant il traduit la luminosité empreinte de sérénité qui émane de la musique de Mo’Kalamity. Le reggae est toujours là pour permettre à l’artiste d’évoquer les thèmes qui lui sont chers, comme l’héritage Africain (African Descendants, enregistrée pour le coup à New-York, renvoie aux Kingdoms of Africa de l’album One Love Vibration) ou – et peut-être est-ce un abus de langage de parler d’afro-féminisme – en s’appropriant avec Sister Carol comme invitée un bon vieux refrain appelant à se battre pour ses droits, bien connu dans le reggae, avec le titre Stand Up. Le Cap-Vert est évoqué aussi à travers le Portugais, chanté sur le morceau Mundo. En résulte un album profondément honnête dans le reflet qu’il donne d’une artiste qui, de disques en disques, devient une incontournable de la scène. Nul doute que son reggae, si « roots » et intransigeant soit-il, ait pourtant la capacité de franchir allègrement les frontières du genre.

Si cette musique a quelque-chose à dire de notre époque, c’est peut-être en puisant à son origine, dans sa forme fondamentale et ce qu’elle apporte. Nul besoin d’invoquer Sélassié continuellement ou de manger des bonbons au CBD pour saisir l’essence d’une musique qui a détrôné le rock des Blancs durant un temps. Mo’Kalamity rend accessible un son plus exigeant qu’il n’y paraît, sans compromission et avec une grande clarté.

Lien pour écouter le disque : https://baco.lnk.to/shine

 

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A propos de François ARMAND

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