Il est peu de dire combien la disparition aujourd’hui de Ronnie James Dio touche pour beaucoup la communauté Metal et au-delà même celle des amateurs de rock au sens large, du moins ceux sensibles à son histoire. Il est vrai qu’il arrive tout doucement l’âge où les musiciens de hard rock (et de rock) parmi les plus anciens, comme dirait Daniel Darc « meurent d’un cancer et non d’une overdose ». C’est un cancer de l’estomac qui a foudroyé Ronnie James Dio, il allait avoir 68 ans en juillet prochain.
On se rappelle l’avoir vu l’an passé, il n’y a pas 10 mois sur l’une des scènes du Hellfest avec le groupe Heaven & Hell, le Black Sabbath mark II incluant outre Ronnie Tony Iommi, Geezer Butler et Vinnie Appice. Il était encore au sommet vocalement, rodant de sa petite taille aux quatre coins de la scène, tenant dans sa main pas loin des 15000 personnes debout devant lui (les 5000 autres s’éclataient les cervicales sous les tentes plus extrèmes pas trop loin), classieux et charismatique en diable. Il est troublant de le voir mourir aujourd’hui, même si on ne vous fera pas le coup du « legend never dies ».
Ronald James Padavona était né en 1942, il avait la taille d’Alain Giresse (mais des bottes en crocos du meilleur effet, des crampons de 42 si vous voulez) et est, fut, l’une des voix les plus mythiques et essentielles du heavy-metal. Après avoir écumé des salles et des salles au cours des années 60 (et même la toute fin des fifties) avec diverses formations où déjà ils étaient tous derrière et lui devant (Ronnie & the red caps, Ronnie Dio the prophets etc.) avant de former un groupe du nom de The Elves puis Elf à la toute fin des sixties. Ronnie tient le micro bien sur et au cours d’une date en première partie de Deep Purple sympathise avec leur guitariste Richie Blackmore. Lorsque celui-ci quitte le groupe britannique en 1974 c’est avec Dio qu’il fonde son nouveau projet, Rainbow, dont le premier album sort l’année d’après, lançant véritablement la carrière du lutin (qui entre temps s’était rendu célèbre par chez nous et un peu partout ailleurs en étant la voix de la fameuse grenouille, rappelez-vous la vidéo, de butterfly ball de Roger Glover, alors bassiste de Deep Purple).
4 albums avec Rainbow, tous couronnés de succès au Royaume-Uni dont on retiendra Long live rock’n’roll en 1978 et ses mythiques Kill the king ou le titre éponyme. Dio quitte le groupe en raison d’un désaccord profond avec Blackmore, à la fois sur l’évolution musicale que celui-ci entend suivre avec le groupe (une veine plus commerciale entamée avec le chanteur Graham Bonnet puis surtout Joe Lynn Turner, les successeurs de Dio derrière le micro jusqu’en 1984 et la reformation du Deep Purple mark II) mais aussi parce que son égo et sa créativité se font mal au leadership du guitariste à chapeau.
C’est pourtant au sein d’une autre formation mythique, sinon la plus mythique, de la scène hard rock/metal qu’il va poursuivre son chemin, autre nid à égos bien trempés, Black Sabbath où il remplace le démissionaire/démissioné Ozzy Osbourne en 1979. Le groupe est alors en déclin (il vient de se faire ridiculiser lors d’une tournée européene par leur groupe de première partie, les sautillants Van Halen) mais l’arrivée de Dio va insuffler suffisament d’idées et d’énergie pour que le groupe renoue avec le succès via le disque Mob Rules en 1981 mais surtout avec le premier disque sorti par la nouvelle formation, Heaven & Hell en 1980, disque platine aux USA et disque d’or en Angleterre, un disque épique et considéré encore aujourd’hui comme l’un des tout meilleurs de l’histoire du heavy-metal.
Dio y développe déjà les thématiques qu’il creusera tout au long de sa future carrière « solo », la lutte entre le bien et le mal, la description métaphorique d’un monde vu comme une succession de défis et d’expériences à caractère initiatiques, une thématique bien loin du quotidien des « kids » et piochant à loisir dans l’imaginaire propre au heavy-metal (la fantasy, le fantastique) mais toujours à travers un angle positif. L’ambiance se dégrade au cours de la tournée Mob Rules et le mixage du disque live témoignant du périple provoque le départ du chanteur (accusé par ses petits camarades d’avoir monté le volume du chant en douce lors des sessions de studio, rien que ça!), bien décidé cette fois à voler de ses propres ailes, nous sommes en 1981, Dio fait sa crise de la quarantaine.
Pour ce faire il emmène avec lui le batteur de Sabbath, qu’il avait fait venir, Vinnie Appice, et recrute Jimmy Bain, un vieux briscard de son âge à la basse. Celui-ci amène, ou du moins propose, un jeune guitariste anglais du nom de Vivian Campbell, bien plus jeune que ses comparses mais férocement doué. Le groupe se forme et enregistre très vite son premier album, Holy Diver, qui sort en 1983 et connait de suite un grand succès (platine aux USA), il comporte sans doute quelques-uns parmi les plus grands succès du Dio band : Holy diver et son ambiance sophistiquée (Pat Boone en fera quelques années plus tard une superbe version), Rainbow in the dark et ses synthés cinglants, Don’t talk to strangers et son intro mielleuse, Stand up & shout et sa furie maitrisée, il ne manque rien, un monument du heavy rock dans une veine mélodique et musicale.
Suivra un autre album tout aussi réussi en 1984, the last in line, qui rencontre lui-aussi un immense succès (top 24 US et UK) avec des titres aussi remarquables que We rock, The last in line, One night in the city, ou encore Mystery. Le groupe tourne alors dans les stade et participe à la popularité du hard rock/heavy metal dans ses années 83/85 où MTV prend définitivement son envol et se nourrit à foison de vidéos de metal. Sacred Heart sort en 1985 avec toujours la nouvelle formation mais déjà quelques lézardes apparaissent du coté de Vivian Campbell, étouffant à l’entendre au sein d’un groupe qui a trouvé son style, celui de Dio lui-même, et qui creuse ainsi le même sillon. Le disque est cependant tout aussi bon que les deux premiers, ou presque, avec des pépites comme The king of rock’n’roll (inspiré par Ozzy Osbourne), le magique Rock’n’roll children, le morceau de bravoure éponyme ou encore les agités Hungry for heaven et Just anoter the day. Le disque se classe n°4 en Angleterre et 29è aux USA.
C’est également l’époque où Dio lance, à l’initiative de ses deux musiciens Jimmy Bain et Vivian Campbell, l’opération Hear n’Aid, projet caritatif 100% metal qui fait suite au projet Band Aid et USA for Africa et qui se veut lever énormément d’argent pour venir en aide aux affamés éthiopiens. Un single est enregistré à l’été 85 avec les plus grandes stars du moment (ou presque) incluant les chanteurs de Quiet Riot, Dokken, Judas Priest, WASP et autres (Vince Neil de Motley Crue vient faire les choeurs, même s’il confondait déjà à l’époque Addis-Abeba et Adidas) ainsi que les plus fines gachettes guitaristiques du moment (Iron Maiden, Quiet Riot, Yngwie Malmsteen, Blue Oyster Cult, Judas Priest, Vivan Campbell et Craig Goldy son remplacant au sein du Dio band etc.).
Dream Evil sort en 1987 avec donc ce nouveau et talentueux guitariste. Rien ne change et surtout pas la qualité (la classe des 8 minutes de All the fools sailed away, l’habité Sunset superman, le swingant I could have been your dreamer, le si typique night people), le succès est toujours là en Angleterre, top 3, mais s’érode un tantinet du coté des USA (top 43), c’est qu’une nouvelle génération de groupes débarque à l’époque (Bon Jovi et Poison en tête) et met à mal le heavy rock racé mais peut-être daté (sans que ce terme ne soit ici péjoratif) de notre gourgandin.
Durant toutes ces années, Dio s’est également attaché à proposer un show grandiloquent et énorme à ses fans, n’hésitant pas à taper fort côté décor (un pont-levis sur une tournée, un combat guitare/araignée géante se terminant au laser sur une autre etc.), veillant à proposer aux kids un spectacle cohérent et total, un dépaysement tant du côté du visuel que des thèmes abordés dans les chansons
Nous retrouvons Dio à la fin des années 80, le hard rock est à son zénith aux USA et un peu partout dans le monde, la révolution indie rock gronde cependant dans le fond et s’apprête à tout recouvrir, Dio n’a en tous les cas plus de groupe , Goldy ayant quitté le groupe après un album seulement et le reste de la formation ayant à son tour pris la poudre d’escampette. Dio recrute un jeune guitariste de 19 ans ! Rowan Robertson est son nom et lui-aussi va connaitre son disque et son quart d’heure de célébrité simultanément. Le disque Lock up the wolves sort en 1990 et s’avère une déception (malgré la présence de l’ex ACDC Simon Wright aux fûts), l’album n’ira pas plus loin que la 61è place aux USA et la 28è au Royaume-Uni, la recette semble lasser le public, le chanteur lui-même peut-être puisqu’il accepte ensuite de rejoindre à nouveau Black Sabbath en lieu et place de Tony Martin, le chanteur du groupe depuis une poignée d’albums. Geezer Butler se joint à la fête et le groupe ainsi « reformé » (avec Vinnie Appice qui rejoindra bien vite le projet à son tour) sort en 1992, après une interminable gestation, Deshumanizer, l’album qui réconciliera Black Sabbath avec le succès (relativement, il faut dire que c’est la frénésie grunge doublée d’une Metallicamania alors en pleine promo de son black album), puisque le disque restera aux portes du top 30 US (mais vu que le précédent n’était pas même entré dans le top 200…).
En pleine tournée promo le groupe est invité par Ozzy Osbourne à ouvrir pour lui pour quelques dates de ce qui est alors annoncée comme la tournée d’adieu du madman. Dio, évidemment, n’a aucune envie d’ouvrir le rideau de son ennemi préféré et prend ses cliques et ses claques la veille du premier concert, Oakland Californie juillet 93, c’est Rob Halford qui prend le micro au débotté pour une date mémorable (le groupe rejoint Ozzy sur scène à la fin de son show, étant réuni pour la première fois depuis 15 ans si on oublie le quart d’heure passé sur scène lors du Live Aid) à plus d’un titre.
Dio reforme alors son propre groupe, toujours avec Vinnie Appice ( un dénommé Tracy G à la guitare et Jeff Pilson de feu Dokken à la basse) pour un disque appelé Strange Highways puis Angry Machines respectivement en 1994 et 1996. Peu de succès aux USA mais toujours au top coté angleterre pour l’un (top 142 US et 5 UK) comme pour l’autre (top 49 US et 4 UK). Il faudra attendre 2000 pour voir un nouvel album de Dio, avec Craig Goldy de retour à la guitare, un concept-album nommé Magica qui renoue avec des thèmes plus intemporeles, le chanteur ayant tenté sur les disques précédents de matiner sa musique de thématiques lexicales plus actuelles. L’intérêt commercial pour le groupe déclinant alors sévèrement (Killing the dragon sort en 2002, Doug Alrich tient la gratte puis Master of the moon avec encore une fois Goldy au manche) . ll faut dire que l »heure est au nu-metal.
Heureusement il reste la scène où le groupe excelle et où Dio pioche à loisir dans son glorieux répertoire (celui de son groupe comme celui de Sabbath) pour ravir jeunes et anciens fans. Deux albums live sortent ces dernières années, s’ajoutant à un court album sorti dans les années 80, un dans les années 90 et différentes compilations, phénomène classique.
En 2006 la nouvelle d’une reformation (encore !) de la mouture de Black Sabbath avec Dio sous le nom de Heaven & Hell (le nom du groupe étant bloqué par le fait que Iommi joue alors avec Ozzy sousl e nom de Black Sabbath au gré de dates ciblées). Heaven & Hell commence donc une longue tournée qui connait un tel succès, populaire et au niveau de l’entente entre les musiciens qu’ils décident de travailler sur un nouvel album (après qu’un album live ne soit sorti en guise de témoignage de cette tournée). The devil you know sort en avril 2009 et est promotionné au long des grands festivals métalliques européens (le Hellfest par exemple) et nord-américains.
Dio avait prévu de tourner cet été avec son propre groupe histoire de rejouer des classiques au gré des mêmes festivals ou presque mais la maladie le rattrape à la fin de l’année 2009, un cancer de l’estomac est diagnostiqué. Après un premier sursaut qui voit Dio booké des dates pour cet été, la maladie se réveille à nouveau et emporte cette fois le chanteur, mort ce dimanche 16 mai 2010.
Avec une carrière étonnement en parallèle de celle de son vieil ennemi/ami Ozzy (Black Sabbath puis une carrière solo sous leur propre nom, carrière couronné de succès avec nombre de jeunes musiciens découverts et promus vedettes, une épouse manager incisive et teigneuse etc.), Dio était l’une des figures les plus importantes du Heavy Metal, ayant d’ailleurs inventé le signe distinctif des fans de metal, ce point tendu avec l’index et l’auriculaire uniquement brandis. Il aura surtout marqué son histoire de ses bottes de petite taille, de véritables bottes musicales de 7 lieux.
Ronnie James « Watch out! » Dio n’est plus. Une phrase bizarre à écrire et émouvante à lire.
Quelques vidéos en guise de léger hommage à ce grand bonhomme :
Butterfly ball sur l’air du « Ah tiens c’est lui chantait ça ? tu parles si je connais ! »
Dio époque Black Sabbath, tout riff et voix cinglante devant
Dio époque la mob de MTV rules, le heavy rock mélodique c’est quoi ? Et bien c’est ça !
Dio pour toujours (même si le clip laisse à penser une version Fort Boyard du seigneur des anneaux avec passe-partout dans le role de l’elfe)