Parmi les disques parus à fin de ce printemps, un de ceux qui m’accompagne avec le plus de constance est le premier album d’un musicien dont j’ignorais tout il y a encore quelques semaines. Pourtant, Nick Mulvey n’est pas vraiment un nouveau venu puisqu’il s’est fait remarquer au sein d’un ensemble de jazz, le Portico Quartet, en lice, en 2008, pour le prestigieux Mercury Music Prize, groupe qu’il a quitté en 2011 pour suivre son chemin en soliste. Grand bien lui en a pris, car après deux EP (The Trellis en 2012 et Fever to the form en 2013) dont l’essentiel de la substance est repris ici, gagnant une toute autre ampleur grâce à la production efficace mais raffinée de Dan Carey, le bien nommé First mind se révèle une réussite extrêmement prometteuse.
Il n’est pas inutile de mentionner que le parcours de ce jeune auteur-compositeur-interprète né à Cambridge il y a 26 ans lui a permis de se colleter à des influences extrêmement diversifiées, du répertoire classique trouvé au berceau – une mère chanteuse d’opéra et une grand-mère pianiste – aux musiques d’Amérique latine et d’Afrique dont son cursus universitaire au sein de l’École des études orientales et africaines de Londres et ses voyages lui ont donné un goût prononcé qui innerve profondément ses compositions. Il a su faire son miel du lyrisme et des capacités de construction de l’un – une chanson comme Ailsa Craig avec ses boucles et ses textures sonores superposées au service d’une sensibilité tangible en apporte une brillante démonstration – et du sens de la pulsation et de la couleur des autres avec une finesse et une intelligence également remarquables. C’est sans doute la filiation métissée qui s’impose à l’esprit avec le plus de force lors de la première écoute d’un disque où les cordes pincées et, en tout premier lieu la guitare de son protagoniste, tracent des lignes nettes (« strings as a pencil » chante -t-il au début de The Trellis — on ne saurait mieux dire) mais souvent rêveuses que viennent soutenir des percussions toujours subtilement dosées qui apportent un ferme soutien rythmique, les autres instruments – acoustiques ou synthétiques – et les arrangements venant ensuite ajouter à cette base leurs touches de couleur.
Dès First mind, le titre qui ouvre l’album, ce qui éclate également avec une évidence qui ne se démentira plus ensuite est que Nick Mulvey s’y entend pour camper une atmosphère en quelques secondes : il insuffle une superbe sensation d’espace dans ces formes closes que sont, par nature, les chansons, atteignant parfois une sorte de féerie comme dans les teintes translucides, impalpables, d’April qui semblent se recomposer sans cesse. Mais notre musicien sait également jouer avec les codes de la folk, catégorie dans laquelle on a rangé son travail pour plus de commodité, option Paul Simon – pour lequel il professe une réelle admiration – pour le caractère métissé, voire de la pop, et livrer des titres d’une redoutable efficacité tels Juramidam qui multiplie de surprenants clins d’œil à Personal Jesus de DepecheMode, ou la nonchalance au chaloupement irrésistible de Cucurucu, deux titres qui réussissent le pari de pouvoir prétendre toucher un large public sans virer pour autant à la comptine bêtifiante. Sous son apparente simplicité, voire son dépouillement (I don’t want to go home, The world to me), l’art de Nick Mulvey se fait, en effet, souvent plus complexe pour embrasser des humeurs à fleur de peau, comme en attestent la tension romantique qui sinue dans Fever to the form ou le brusque flamboiement de Meet me there. Notons enfin que nombre de ses chansons dégagent une incroyable sensualité (Venus en offre un bel exemple) qui, même si elle demeure soumise à la rigueur d’une pensée musicale qui ne se perd jamais en chemin, ne distille pas moins un charme durable, quand d’autres explorent, avec le même succès, des contrées ombrées d’une tendre nostalgie, comme la saudade de The Trellis.
First mind se révèle donc un premier album d’une grande richesse qui souligne aussi bien le savoir-faire de son auteur que sa capacité à savoir s’entourer pour donner corps à ses projets. On sait gré à Nick Mulvey d’avoir, comme tout bon peintre, résisté à la tentation de l’effet pittoresque pour lui-même et d’avoir préféré le mettre entièrement au service d’un disque qui parle de voyages et d’amour avec pudeur et fièvre. Comme il chante lui-même, la première impression est souvent la bonne, et quelque chose me dit que l’on n’a pas fini d’entendre parler de ce talentueux musicien dont les prochaines réalisations sont d’ores et déjà attendues avec impatience.
Nick Mulvey, First mind.1 CD Fiction records.
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