Les amateurs de rock 90’s indé (RIP) se souviennent avec émoi du label nantais « Lithium », devenu en l’espace d’une décennie le catalyseur d’une sorte d’underground français bourgeonnant, et de quelques talents solitaires, groupes ou individus, à la croisée du rock et de la chanson en français. Pas vraiment de dénominateur commun chez les signatures du label (Diabologum, Mendelson, Dominique A, Jérôme Minière, Bertrand Betsch, Holden… jusqu’à l’américain Dogbowl, exilé discographique notoire), si ce n’est quelques ressemblances superficielles, et cette polarité un peu aveugle autour de la chanson. Les arrangements dépouillés, un artisanat quelquefois intimiste, lo-fi, et ce chanté-parlé assez récurrent, valurent rapidement aux artistes labellisés l’étiquette assez hasardeuse de chanson « minimale ».
Da Capo…
De ce vivier musical très composite, émergèrent les mélodies gracieuses des frères Paugam, Alexandre et Nicolas (respectivement claviers et guitares), chantées en anglais sous l’alias « Da Capo ». C’était « Minor Swing » (1997), un album presqu’atypique pour le label, qui se situait à l’extrémité la plus mélodieuse et chantournée de son spectre musical, avec un tropisme anglo-saxon plus avoué et des rémanences de pop baroque sixties dans le lointain. Ensuite, il y eût trois autres albums de Da Capo (en dehors de Lithium qui largue ses amarres en 2004 – « The Fruit » en 2001, « Third » en 2006, « Out of Spain » en 2012, aux tonalités un peu plus ombrageuses), tous sortis de façon plus ou moins confidentielle, avec un peu de crowdfunding pour le dernier. S’intercalèrent d’autres aventures musicales en mode swing sur les scènes de la région parisienne : « Les frères Paugam à Meustaches ».
Sous la bannière Da Capo, l’auto-didactisme éclairé des frères Paugam, et la singularité de leurs deux voix (celle d’Alexandre épaulé par Nicolas pour les chœurs ; un peu fragiles, haut perchées, à bascule sur le fil de la justesse), leur valut autant de louanges que de critiques : « consécration » immédiate de l’écriture et des arrangements (un article très élogieux dans les Inrocks), et quasi aussitôt, un retour de bâton épidermique avec un contrepied critique tout aussi excessif. On reprochait à Da Capo son maniérisme un peu précieux, et l’arrogance (supposée) de sa musique (voir la chronique vacharde (et imméritée) dans Magic du second album ; un disque qui prenait la pente d’un post-rock atmosphérique, pouvant évoquer par moments les anglais de Hood). Pourtant c’est bien cette idiosyncrasie, autant musicale que vocale, charmante ou déroutante à première « voix », qui donne dès « Minor Swing » son grain de sel à leur musique : un zeste acidulé qui s’arrondit au fil des écoutes, dans un complexe d’influences entremêlées et librement reformulées… Pour qui aurait été intrigué par « Minor Swing » sans avoir pu entendre le reste de cette discographie fureteuse (mais restée bien trop secrète), il est toujours possible de se rattraper en ligne. Chacun album regorge de petites ou grandes évidences mélodiques, « Somebody will dance » sur « The Fruit », « The moon and the sun » sur « Third », « Close to death » sur « Out of Spain » ; des titres assez immédiats qui distillent en douceur leurs inventions…
…Nicolas Paugam
Aujourd’hui, avec deux poils un quart de retard, on découvre les excentricités jazz (à sa sauce) et pop (épicée) de Nicolas Paugam affranchi de Da Capo, avec un retour à la « chanson » sur deux albums autoproduits, « Douces barbaries » (2011) et « Le col du Galibier » (2013), disponibles sur Bandcamp. La nouveauté de ses disques en « solo » (mais richement arrangés), c’est un chant en français totalement assumé, voix poussée en avant, et des influences musicales plus éclectiques qu’auparavant, avec des saveurs brésiliennes fondues dans le jeu. Les disques solo se démarquent par leurs extravagances, leurs rythmes croisés, la musicalité sinueuse des textes, et ce chaloupé rieur qui anime toutes les chansons, même les plus posées. Mais d’une certaine façon, ces albums continuent l’écriture mélodique très singulière qui était déjà à l’œuvre dans Da Capo, et particulièrement, dans les titres les plus pop du répertoire.
« Le col du Galibier » et « Douces barbaries »
Almost Musique avait compilé quelques-unes des perles des deux albums de chansons sur « Aqua Mostlae » en 2014, édité depuis en CD par la Souterraine. Nicolas Paugam a aussi fait deux autres disques, contrepoints (intégralement) instrumentaux des albums pop, « Le Tamanoir de mes rêves » (2009) et « Les musiques intranquilles » (2011), dont on goûte tout autant les arrangements, biais et fourmillants. L’auteur le(s) qualifie d’album(s) jazz (surtout le Tamanoir) au sens instrumental du terme (lui-même étant guitariste, versé dans l’harmonie, l’improvisation, le scat vocal, et adepte des grands alambics bleus monkiens), mais avec une grande licence d’invention. Ces deux disques s’apparentent donc, davantage qu’à un genre codifié, à des albums de musiques imaginaires, pleins de circonvolutions fantaisistes.
« Le Tamanoir de mes rêves » et « Les musiques intranquilles »
Pour ne rien gâter, un nouvel album « Mon agitation » est prévu pour l’automne 2015, via la plateforme et le label « Microcultures ». On peux d’ailleurs écouter trois titres inédits très alléchants sur le site de « Microcultures » (page du projet participatif) ; des morceaux qui ravivent les belles heures de la pop arrangée des 60s et 70s, des Legrand, Vannier et autres chanteurs-compositeurs-voyageurs, Vassiliu, Barouh – ces comparaisons à vol d’oiseau étant bien sûr toutes relatives.
En guise de coda, on se quitte en musique et en vidéo, avec un hit « swing » pas si « Facile » que ça, et un(e) religieu(se) « J’ai connu une colombe », deux belles ritournelles de Nicolas Paugam – ces titres sont présents sur la compilation très réussie « Aqua Mostlae », et sur leurs albums respectifs d’origine, « Douces barbaries » et « Le col du Galibier »… En prime, le titre live « Sous la Houlette » extrait du prochain album « Mon Agitation ». Une captation de Nicolas Paugam dans ses œuvres, lors du concert de la fête de la musique le 21 juin dernier à Cachan, qui montre (si certains en doutaient encore) que sa musique n’a rien perdu de l’énergie, voire de l’angulosité, qui animait Da Capo.
La compilation « Aqua Mostlae », et ci-dessus, un haut-de-forme d’un modèle tropical
les discographies de Nicolas Paugam et Da Capo sur Bandcamp
la compilation « Aquae Mostlae » sortie par la Souterraine
la chaîne vidéo de Nicolas Paugam : une série de petites vidéos autoproduites très appréciables
et la production de « Nicolas le jardinier » sur son tumblr, dans la plus pure tradition du dadaïsme brésilien
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