Poil – La musique est un pays sans frontières dont on repousse sans cesse le terme

Le trio d’explorateurs qui forme le groupe Poil, fait partie de ces aventuriers qui coupent les amarres des océans quadrillés pour des horizons incertains. Accepter de se perdre est une belle formule tant qu’on ne franchit pas le seuil de ses repères. Mais une fois fait, ce pas dans l’inconnu peut devenir le premier d’une déviance qui construit son propre monde. Une planète-monde où tout est à redécouvrir, à réinventer depuis les ruines fumantes d’une civilisation à bout de souffle.

Poil est un groupe qui vient de Lyon et qui joue depuis 10 ans une musique qui échappe à tout préconçu. Il faut accepter de se perdre pour les trouver. Il n’est pas courant d’écouter de la musique qui désoriente et bouscule les sens. Une musique organique qui se prend à bras le corps avant d’investir le cerveau des émotions . J’avais entendu parler du groupe par Antonin Chaplain d’High Tone, devenu en solo Natural High. Ma curiosité fit le reste.

2006 est l’année de naissance de Poil. Antoine, claviériste, Boris, basse et guitare, Guilhem à la batterie. Ce dernier étudie la batterie jazz et la composition au conservatoire de Lyon quand il rencontre d’abord Antoine en jouant dans une de ses pièces pour batterie et aubois. La grande aventure pouvait commencer !
Après une répète avec un saxophoniste, le trio leur apparait comme la formule magique. La première mouture est acoustique et m’a positivement évoqué des compositeurs comme le Hongrois Béla Bartók. C’était dire du niveau de créativité du trio.

http://poil.bandcamp.com/album/lire-des-papes

Mais l’envie de la fée électricité viendra apporter au groupe ce qu’il désire alors : envoyer du gros son !

« Il faut que ça y envoie, que ça défouraille, que cela casse la baraque… »

Fatigué mais heureux comme après un bon coït amoureux, voilà où le groupe veut emmener son auditoire.
Si vous dites aux membres du groupe que leur musique est difficile à écouter, ils vous demandent à juste titre ce qui, à contrario, est facile à écouter. Musique d’apparence seulement, complexe il demeure qu’en comparaison à d’autres, elle peut paraitre easy listening, comme ils le soulignent.

Quand bien même, le plus beau compliment qu’on puisse leur faire est celui d’une oreille ignorante (par opposition à savante) qui déclarerait être touché par cette musique.

Poil : Dès que l’on veut classer une musique, qu’on se met des clés d’écoute on risque de passer à côté de la découverte de ce qu’est une musique. Plus on écoute et on aime ce qui passe à la radio, moins on aimera Poil. Notre public n’est pas celui d’NRJ mais des gens qui ont été nourris par d’autres musiques et pour qui c’est facile de passer à cela. Tout est toujours relatif !

Vasken Koutoudjian : Comment composez-vous votre musique ?

P : On a commencé par des reprises à notre sauce de Chopin, de Ravel, de Nirvana….Voici quelques pistes sur ce qui nous a nourri au départ. Le tout premier morceau qu’on a monté c’est une étude de Chopin qu’on a monté en trio, piano, contrebasse et batterie. Je crois que l’idée au départ était de jouer une musique « savante », en tout cas de tradition classique, et de lui botter le cul avec une énergie plus punk-rock derrière. Comme on nous demandait de mettre des mots sur notre musique, on a donc emprunté aux trois genres, rock, jazz et classique. On avait un instrumentarium de jazz , on joue de la musique classique avec en même temps une énergie rock. En concert le public avait plutôt tendance à hurler et sauter de partout. Donc au départ c’est une confluence entre ces trois choses-là qui nous intéresse. Petit à petit, depuis onze ans qu’on existe, nous nous sommes créés notre propre voie.

VK : Que dites-vous à ceux qui peuvent trouver votre musique trop difficile à écouter ?

P : (Antoine Arnera) Dans ce domaine tout est relatif. Par rapport à d’autres compositeurs, nous ne sommes pas brutaux du tout. Les lecteurs du webzine peuvent aller écouter la musique de Brian Fernheyhough. J’aime beaucoup ce compositeur malgré l’extrême complexité de sa musique. Je dis ça juste pour relativiser la complexité de la musique de Poil… Interpréter une œuvre de Fernheyhough c’est faire une approximation la plus proche possible de la musique écrite sur la partition. L’interprète doit rendre audible la sensibilité complexe du compositeur en créant son propre parcours dans une partition quasi injouable… ça me fait un peu penser dans un autre registre à l’art de la fugue de JS Bach. C’est une œuvre écrite pour aucun instrument en particulier. Simplement quatre portées avec des notes dessus. On peut la jouer à l’orgue, au piano, en quatuor à corde, ou quatuor de pipeaux… C’est l’idée d’une musique « pure », « désincarnée », où il ne reste que des lignes, des courbes, des points, des contrepoints

Poil : Il est plus facile d’accéder à notre musique en live que sur CD. Un CD c’est de la musique d’ameublement. On met un CD pour mettre l’ambiance. Poil soit tu l’écoutes en concert, soit tu l’écoutes chez toi, mais à ce moment-là tu l’écoutes vraiment, tu ne fais pas autre chose. Cela se voit peut être moins maintenant, mais on avait un côté « dingo » à l’époque qui se transmettait bien et qui a sans doute joué pour qu’on tourne assez bien. C’est pourtant une musique compliquée, que les gens, reçoivent brute, sans besoin d’autres mises en formes. Cette énergie est très facile d’accès. Nous sommes ouverts au public et nous voulons les titiller.

VK : Justement quelle est la prochaine étape pour vous ?

P : On a une réédition des deux premiers albums et nous préparons la sortie d’un quatrième opus. Ce qui est intéressant dans cette ressortie c’est que nous avons le premier album acoustique et les deuxième et troisième qui sont électriques. A présent nous préparons le quatrième album.

VK : Vous tournez pas mal en Europe, comment est accueillie votre musique ?

P : C’est en Allemagne que nous avons le plus de « succès ». Le public y est un véritable public de passionnés qui aime découvrir plein de choses avec en plus une solide culture musicale. Il n’est pas rare en Allemagne de tomber sur une personne du public qui nous a vu une dizaine de fois.

VK : Il y a une plus grande culture musicale dans les pays anglo-saxons ?

P : Les Allemands hallucinent, eux, sur le nombre de groupes qu’il y a à Lyon dans ce qu’on appelle le rock progressif. Des groupes qui font beaucoup référence à des musiques plus écrites comme le jazz. Alors non au final, il y a aussi une très forte culture chez nous. Peut-être qu’elle se voit moins, ou qu’elle s’exprime moins. Nous la voyons par contre très bien à travers notre association « Dur et Doux » . Une quinzaine de groupes en tout….

VK : Comment concevez-vous la musicalité d’un morceau ?

P : (Antoine) Au risque de faire de la philo de comptoir je dirais qu’on ne la définit pas mais on la ressent. Si on ne ressent rien c’est qu’il n’y a pas de musique dans le morceau, ou qu’on est insensible. En gros on pourrait mesurer le taux de musicalité d’un morceau à son impact émotif sur x. Ce n’est pas compliqué !! Enfin presque pas… Le problème est que la sensibilité varie énormément d’une personne à l’autre. Pour ma part c’est souvent le contraste, la surprise, l’évolution progressive d’un motif qui se déforme et se transforme, la prolifération de matière…. qui va déclencher potentiellement des émotions fortes. J’aime bien aussi quand la musique est dans une forme d’abus ! Qu’elle me mette en tension et qu’elle me porte plus loin que prévu jusqu’au moment où elle replonge dans le silence.

VK : Pour finir, la question qu’on ne vous a jamais posée et que vous aimeriez entendre ?

P : ……peut être quel souvenir vous voulez laisser ? Quel impact on voudrait avoir….ou alors est-ce que vous voudriez faire la première partie de Britney Spears. (Rires) Il y a un morceau, Mao, dans lequel on chante en portugais, qui, à l’origine, avait été écris pour le mondial de foot, qui lui est en fait directement inspiré de Britney Spears.

VK : On le met dans l’interview et on envoie une copie à l’agent de Britney Spears.

http://poil.bandcamp.com/track/mao-2

Liens :
https://poil.bandcamp.com/
https://duretdoux.com/

Britney Spears ? Ecrire au groupe qui transmettra….

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A propos de Vasken Koutoudjian

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