Pugwash n’est peut-être pas le groupe le plus avant-gardiste au monde. Et encore moins le plus connu. Il n’empêche que ces irlandais de Dublin sont, aujourd’hui, de très loin les meilleurs dans ce qu’ils font, à savoir une pop mélodieuse quasiment parfaite. Si les influences sont nombreuses (ELO et XTC en tête), le groupe, dès Almond Tea en 1999, a trouvé un son particulier qui n’a fait que se bonifier depuis. The Olympus Sound, en 2011, est une ahurissante collection de chefs-d’œuvre pop, dont on s’étonne qu’il n’ait pas donné naissance à une série de hits commerciaux. La première compilation de Pugwash est sortie il y a quelques jours, marquant le coup d’envoi d’une tournée US en octobre. Avant de prendre la route, Thomas Walsh, le « frontman » de Pugwash, a accepté de répondre à nos questions.

 

Voilà un petit moment que vous faites de la musique, mais il semblerait que ce ne soit que récemment que vous ayez décidé de conquérir l’Amérique. Une anthologie de Pugwash, A Rose in a Garden Of Weeds, vient de sortir sur un label américain, Omnivore Recordings, et vous vous lancez dans une tournée US. Pourquoi maintenant ? Et par quelle opportunité ?

Il est très difficile pour un groupe comme Pugwash d’aller en Amérique pour faire des concerts. En particulier quand il n’y a pas un « produit » à vendre, et qu’on n’a pas de label local à plus forte raison. A un moment, on avait un peu abandonné cette idée. Et puis, nous avons commencé à rencontrer beaucoup de succès critique, les choses bougeaient… De mon côté, j’ai commencé l’aventure Duckworth Lewis Method avec Neil Hannon, et c’était une merveilleuse manière de se faire plaisir avec la musique à nouveau. On ne courait pas après le succès, mais il y avait une bonne dynamique, qui a un peu revigoré la situation de Pugwash (et de Divine Comedy, par la même occasion). On a sorti Olympus Sound, l’album qui a le mieux marché pour nous.

Sur Facebook, je suis ami avec Lee Lodyga, qui dirige le label Omnivore aux USA. Lee est un ancien musicien lui-même, qui a réédité une foule d’albums rares et extraordinaires sur son label. Il aimait beaucoup notre musique, et m’a dit que si Omnivore décollait pour de bon, il serait heureux d’y accueillir Pugwash. Et les choses se sont un peu emballées récemment. Le moment est enfin venu ! La compilation vient de sortir sur ce label, et on peut donc partir en tournée avec « quelque chose ». Joey (Fitzgerald, le batteur de Pugwash, NdA) a été incroyable, il a tout organisé dans le moindre détail. Et nous y voilà presque. C’est très excitant.

A Rose In A Garden Of Weeds, première compilation de Pugwash, sur le label US Omnivore Recordings

A Rose In A Garden Of Weeds, première compilation de Pugwash, sur le label US Omnivore Recordings

 

Etait-ce plus simple d’utiliser cette compilation comme « cheval de Troie » que de sortir un nouvel album ?

En réalité, en février, cette année, j’ai écrit un nouvel album. 17 ou 18 morceaux, un par jour, plus ou moins. Mais il faut dire que ma manière de procéder est différente de celle de Neil, par exemple, qui écrit tous les jours. Moi, je peux passer des mois sans toucher une guitare ou écrire un morceau. En février, donc, tout est venu d’un coup. Tosh (Flood, guitariste, arrangeur et comparse de Thomas) a bossé sur les démos, etc, et on est plutôt content du résultat. Mais cet album, on va le sortir nous-mêmes, et du coup, il nous fallait un certain soutien financier. Nous avions quelques opportunités auprès de très bons labels comme Acid Jazz ou Lojinx, mais l’idée, c’était vraiment d’aller jusqu’au bout nous-mêmes, et aussi d’en avoir les bénéfices rien pour nous. Pour la première fois. Sortir cette anthologie chez Omnivore nous a donc semblé le meilleur moyen de mettre tout ceci en branle. Vous savez, on adorerait venir jouer en France, mais le fait est que nous n’avons pas les connexions nécessaires, le réseau, et la résonance, sans doute. Aux USA, là, les portes se sont ouvertes.

Quel est le statut de Pugwash en Irlande ? Vous n’êtes peut-être pas U2, mais on vous a vu à la TV, on vous entend à la radio, vous avez beaucoup de succès critiques…

Il est compliqué pour un groupe comme nous de survivre en Irlande. On a des fans formidables, et des musiciens célèbres comme Jeff Lynne nous apportent constamment leur support. Mais il n’empêche que ce qui se vend, en ce moment, en Irlande, c’est plutôt de la musique, mmm… « jetable ». On a tous dépassé la quarantaine, on a des familles… mais on est toujours prêt à dormir sur du plancher, à faire 10 heures de car pour aller jouer. Seulement, en Irlande, malgré tout le soutien qu’on peut avoir… c’est un peu une impasse.

La première tournée US de Pugwash

En parlant de soutien, vous avez travaillé avec Jason Falkner sur l’un de vos premiers albums. Et lui-même joue sur Chaos and Creation in the Backyard de Paul McCartney. Est-ce que le grand Paul connaît un peu ce que vous faites ?

En fait, il y a plusieurs raisons pour lesquelles McCartney pourrait avoir entendu parler de nous. La première, ce serait bien évidemment The Duckworth Lewis Method, qui a eu un assez fort retentissement en Angleterre. Et pour le deuxième album, nous avons bossé avec Guy Massey, un ingénieur du son célèbre (à qui l’on doit notamment le remaster stéréo du coffret Beatles). Quand on enregistrait, il mixait à la même période le DVD Rockshow de Wings. Je suis à peu près sûr que McCartney a entendu notre musique par son biais. Mais en ce qui concerne Jason, je ne pense pas qu’à l’époque où ils ont travaillé ensemble, il aurait mentionné Pugwash à Macca.

Des services de musique en streaming comme Spotify sont-ils intéressants pour vous ? Olympus Sound figure à leur catalogue, par exemple.

Nous ne sommes absolument pas fans de Spotify. Posons ça en termes simples… Ni Shaun, ni Tosh, ni Joey ni moi n’avons jamais eu en tête l’idée de faire de l’argent avec la musique. On veut faire ça pour les bonnes raisons, et si l’argent rentre, ma foi, c’est bien, mais on ne va pas courir après. Mais avec Spotify, on tombe dans la caricature : ces gens prennent vos morceaux sans que vous soyez au courant, les mettent en libre écoute, et apparemment, c’est légal. Sauf que j’ai du mal à comprendre comment ça peut l’être. Les artistes puissants arrivent à trouver un arrangement, probablement, qui les avantage par rapport à des gens comme nous. Et on doit se contenter des miettes. Cependant, Spotify me semble moins nuisible que YouTube. Quand Olympus Sound est sorti, des gens ont mis tout l’album, piste par piste, sur YouTube !

Bon. Question incontournable : comment êtes-vous venu à la musique, ou plutôt, via quels artistes ?

Je suis un enfant des 70’s – bon, je suis né en 69 – et la musique avait un impact particulier à cette époque. Comme loisir, bien sûr, parce qu’il y avait moins de concurrence de la TV, pas de jeux vidéo ; mais aussi comme instrument d’épanouissement, tout simplement. Quand j’ai entendu ELO, Al Stewart, Queen, Wizard, Slade, The Carpenters… ça a vraiment été une révélation. Je suis devenu fan des Beatles plus tard, bien sûr, mais c’est un peu différent : les Beatles, c’est comme s’ils avaient toujours été là, ils sont comme l’air qu’on respire. Bref, j’ai commencé à être obsédé par l’achat de disques, par ELO en particulier, puis par les Beatles. Il y avait toute cette lignée d’artistes géniaux, avec de grandes qualités vocales. Je précise au passage que la voix, c’est très important pour moi. Il y a eu quelques grands groupes, dans le passé, mais dont les chanteurs étaient putain de mauvais.

Par exemple ?

C’était déjà vrai dans les 60’s. Tiens, les Troggs, par exemple. Même dans les Hollies, parfois, ce n’était pas toujours ça. Et puis Yes : ils ont fait quelques bons disques, mais la voix de Jon Anderson… punaise ! Alors qu’à côté, on avait des gens comme Ray Davies qui chantaient avec leurs tripes. En tous les cas, une chose est certaine : les membres de Pugwash sont tous des collectionneurs de musique. On adore ça, on y passe une bonne partie de notre temps. C’est d’ailleurs ça qui a été l’un des déclics avec Omnivore.

Et écrire, des chansons, ça vous a pris à quel âge ?

J’étais batteur, à l’origine. Je continue à jouer de la batterie sur un morceau ou deux par disque, d’ailleurs. Je me suis mis plus tard à la guitare. Je montais à l’étage, chez mes parents, je jouais pendant deux ou trois heures des accords que mon frère m’avait montrés. Je me rappelle un jour être passé d’un Do à un Sol mineur, et cette phrase m’est apparue « don’t let the grass grow under your feet ». C’était les premières paroles que j’ai jamais « écrites ». J’ai ensuite pondu une dizaine de chansons, qui étaient toutes à chier. Et puis j’ai fait la connaissance de Kenneth Slevin, devenu un peintre et illustrateur très talentueux à qui l’on doit, d’ailleurs, la pochette d’Almond Tea. Il jouait de la basse, à cette époque, et on a commencé à faire de la musique ensemble. Il y avait une cabane au fond du jardin, mon père y a installé l’électricité, et on jouait toute la journée. Sur la compilation qui vient de sortir, il y a un morceau qui date de 1988. Ca fait plaisir de constater, avec le recul, que je pouvais écrire des chansons décentes à 18 ans.

Vos chansons ont une certaine évidence. Rien de péjoratif à cela, bien sûr ; mais dès la première écoute, on a l’impression que ce sont de vieilles amies, que l’on a toujours connues. On les accepte immédiatement. Est-ce que l’écriture se passe aussi simplement pour vous ?

J’aime bien que les choses arrivent spontanément, et avec l’écriture, c’est pareil. Quand la chanson est là, elle est là, mais je ne vais pas aller la chercher de force. En février, je me suis dit « ah, merde, je crois que j’ai une chanson qui vient… ». Comme le dit Andy Partridge, une fois que c’est là, on ne peut pas dire « stop » ! En général, c’est la musique qui me vient en premier, mais des bouts de paroles ne tardent pas à suivre. Par exemple, pour la chanson qui s’appelle au final So You Know, j’avais cette petite phrase qui me tournait en boucle dans la tête : « you can always cry ». Ca peut être interprété de plusieurs manières, comme une question, comme le point final d’une dispute. Une fois que vous avez un pivot comme ça, vous pouvez construire votre chanson autour.

Est-ce que les deux albums du projet Duckworth Lewis Method, enregistrés avec Neil Hannon, ont permis à Pugwash de sortir un peu de l’ombre ? En tous les cas, en dehors de l’Irlande ?

Bonne question, et la réponse est très simple : DLM a été d’une aide énorme pour Pugwash. Le premier album s’est bien vendu en Angleterre, entre 40 et 50.000 exemplaires, il a été nominé pour un Ivor Novello Award… Et en conséquence, l’exposition pour Pugwash a été énorme. Il faut cependant dire que pendant la phase de promo, les journalistes voulaient principalement interviewer Neil.  Ils pensaient que c’était son projet à lui. Pas de souci, pour moi, hein. Il y a eu des situations assez drôles, où on finissait par s’adresser à moi en disant « Et au fait, qu’as-tu fait sur l’album, Thomas ? ». Je répondais « ben, j’ai écrit la moitié des chansons, je les ai chantées, j’ai joué dessus… ». Mais petit à petit, le nom de Pugwash s’est mis à circuler, et la BBC2 a commencé à diffuser pas mal de nos titres.

L’un dans l’autre, c’était un vrai honneur de travailler avec Neil. Mais aussi un plaisir, parce qu’il était totalement ouvert à ma manière de travailler. Quand on y pense, c’est extraordinaire que quelqu’un d’aussi connu que Neil soit encore disposé à apprendre de gens comme moi.

Comment se passe le travail de groupe ? Une fois que vous avez écrit les chansons de votre côté, quelle est l’étape suivante avec le reste du groupe ?

Il faut que je souligne le plus important : nous sommes, avant tout, de très bons amis. Et cela ne gâche rien que Tosh, Shaun et Joey soient en plus des musiciens talentueux.  Un petit exemple… Pour The Olympus Sound, j’avais cette chanson, There You Are, dont la mélodie tournait sur deux accords. Elle dure 3 minutes, avec des changements de mélodie, mais il ne s’y passait pas grand-chose. J’ai envoyé la démo à Tosh, et en moins d’une heure, il a trouvé la partie de Mellotron si caractéristique. C’était exactement ce que je voulais. Je lui ai dit tout de suite « ok, tu la tiens, ne change rien ! ». On ne cherche pas à trop en faire, une fois qu’on a l’impression de tenir le truc. Des gens dépensent des fortunes en studio pour retrouver le son qu’ils avaient quand ils ont fait leurs démos. Si vous écoutez les démos d’Apple Venus d’XTC, vous verrez que ces versions sont non seulement aussi bonnes que les définitives, mais parfois encore meilleures. Dans Pugwash, on n’a pas beaucoup d’argent. Du coup, on fait des choix qui sont, je pense, dans l’intérêt de la musique et d’elle seule. Et tout le monde contribue à ces choix. Joe, c’est un batteur à la Ringo. Il peut avoir un jeu puissant, un jeu très mélodique… Shaun n’est pas le plus facile à vivre en studio, parce qu’il est perfectionniste, mais c’est un apport exceptionnel. C’est un grand bassiste, pour commencer, mais il est également très impressionnant vocalement. Sa voix s’accorde à merveille avec celle de Tosh. Vraiment, je n’aurais jamais pu mieux tomber qu’avec Tosh, Shaun et Joe.

Un conseil à donner aux musiciens débutants ?

Si tu fais de la musique pour les bonnes raisons, tu as une longueur d’avance sur les autres.

 

Merci à Thomas pour sa disponibilité, sa gentillesse, et aussi pour nous avoir conseillé la découverte de We All Together !

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A propos de Eric SENABRE

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