Après une année 2024 faste, que nous avions pris le temps de disséquer en quatre temps, le rap français a repris dès 2025 ses droits et son rythme soutenu, avec de multiples sorties chaque semaine. Entre singles, projets courts et longs, voici une sélection de nos écoutes préférées de ces mois de janvier et février.

Rim’K – Run

Comme il le fait chaque début d’année ou presque, l’infatigable Rim’K a sorti un EP. Run lui permet, en quatre titres, de tester de nouvelles sonorités (Expolanètes), de nouvelles collaborations, à l’instar du poids lourd SDM sur Run et de l’excellent TH sur le sombre Game plan. Cette volonté d’aventure et d’exercice accouche d’un projet efficace qui enfonce une porte ouverte : Rim’K est l’un des plus grands rappeurs de l’histoire de l’Hexagone. Sans perdre en exigence de conception, ses projets répondent davantage à l’envie d’assouvir une passion intacte qu’à une ambition personnelle. C’est aussi au prix de cette modestie que le taulier du 113 a réussi à traverser les époques et à convaincre les générations successives.

Disponible depuis le 10 janvier

Kaaris – Z.E.R.O

 Avant Or Noir, Kaaris signait un premier projet avec Therapy enfin disponible sur les plateformes, près de treize ans après sa sortie. Si Z.E.R.O est certes un brouillon (ou un embryon) de son futur classique fondateur, il n’en demeure pas moins réussi et bourré d’adrénaline. Un vrai plaisir de redécouvrir son écriture mêlant images gores (« le commissaire court dans tous les sens comme un putain de d’poulet sans tête ») et punchlines acérées assenées avec un flow brutal par le rappeur sur des productions ténébreuses. Un pré-classique, qui s’inscrit du bon côté de la discographie de son auteur, porté par le trio de choc Houdini, L’Hôte funeste et Bon qu’à ça.

Disponible depuis 10 janvier

DA Uzi – ORIGINAL GANGSTA

Avouons que nous étions jusqu’ici quelque peu passés au travers de la carrière de DA Uzi, nous limitant aux singles et à quelques featurings en compagnie d’artistes avec lesquels nous avions davantage d’infinité. Michael Jordan, premier extrait d’ORIGINAL GANGSTA avait titillé notre attention, nous incitant à l’écoute du projet dès le jour de sa sortie. La bonne surprise est palpable dès l’ouverture, Sabbagh Cash, annonçant un album de mort de faim, où un rap pur et originel prime sur tout le reste. Cette énergie juvénile débordante est d’autant plus étonnante qu’il s’agit d’un quatrième album… L’une des explications est à chercher du côté de l’actualité récente du rappeur qui a notamment été empêché par des démêlés judiciaires. Plus de temps à perdre, ni d’envie de se disperser, en atteste son rap séminal où l’authenticité n’est jamais sujette à interrogation, tandis que l’instinctivité du flow n’entache jamais sa rigueur et sa netteté. Seul bémol qui contredit légèrement nos constats, un nombre de featurings excessif qui ne sert pas toujours l’album. En toute transparence, on retient principalement les collaborations avec Dinos (93 problèmes) et Zkr (Gwenette Martha). Pour le reste, c’est carré, cru, efficace et rentre dedans, dans ce registre, c’est très solide.

Disponible depuis le 24 janvier

Lacrim – RIPRO

 

Nous n’avons pas toujours fait partie des inconditionnels de Lacrim, où plutôt, passé Corleone, nous avions décroché avant de reprendre le train à partir de Persona non grata. RIPRO, cinquième mouture de sa célèbre saga de mixtape, revêt un double enjeu. Conforter son aura désormais légendaire après avoir sensiblement redoré son blason artistique depuis deux projets, et s’affirmer davantage en solitaire (comprendre s’émanciper de ses mentors, Kore à la production en tête). Assez qualitatif dans son ensemble, RIPRO présente un rappeur affuté et revigoré, qui tend à se positionner autant dans l’histoire passée du rap français (Salazar en intro qui sample Tallac de Booba) que tracer sa voie pour les années à venir en choisissant ses alliés. Excellente collaboration avec Zkr sur Hôtel Crillon ou Ziak sur Habibi, mais aussi, plus étonnant, une formidable alchimie avec Oli (la moitié la plus talentueuse du duo) sur On s’est trompé de rêve. Jamais aussi fort que lorsqu’il investit le terrain d’un rap fr tendance 2000 (Major Security), l’auteur de Barbade s’essaie néanmoins à des styles plus actuels, plus « speed » (Wow) voire tente des paris à l’instar de Comme toi (sample improbable tendance Jersey du tube de K-Maro, Femme Like U). Rôdé et expérimenté, Lacrim se pose en chef de meute respecté qui avance avec la pression de sa seule exigence. Il semble plus que jamais conscient de sa place dans l’histoire récente (et pas seulement) du rap français dans ce qu’il entreprend et cela lui réussit plutôt bien. En ce sens, la redondance thématique (plus ou moins les mêmes que depuis ses débuts : code de l’honneur, loyauté, famille, temps qui passe…) est contrebalancée par la sobriété de son incarnation, sa maîtrise et son assurance.

Disponible depuis le 7 février

sheng – J’SUIS PAS CELLE

Celles et ceux qui ont écouté les précédents projets de sheng seront en territoire connu : son premier album contient notamment tous les titres de son dernier EP, TOUT VA MAL qui nous avait grandement enthousiasmés en 2024. Cette familiarité à la première écoute, peut paradoxalement brouiller les repères des auditeurs déjà conquis et freiner l’appréciation immédiate du projet. Le charme a beau être évident, le mélange d’inédits (la majorité des morceaux) et de pistes déjà existantes, crée initialement une étrange sensation d’interférence. Un bémol qui s’estompe au fil des réécoutes venant révéler l’amplitude et la réussite totale du projet. Ce premier opus long, à l’instar du récent Bad Boy Lovestory de Theodora, fait office de carte de visite et d’ensemble le plus abouti à ce jour pour son autrice. En français et en mandarin, dans des élans pop, hip-hop et hyperpop, sur des sonorités expressives et entrainantes, sheng nous immerge dans son monde. Bienvenue dans l’intimité d’une jeune femme partagée entre deux cultures, des préoccupations faussement futiles (amitiés, sentiments, bien-être, trouver sa place, s’émanciper…) qui s’expriment entre autodérision et fêlures véritables, esprit et naïveté feinte, cela à travers plusieurs aspirations musicales et en deux langues. L’énergie et l’ivresse qui caractérisent sa musique ne dissimulent jamais une profondeur et une tristesse latentes qui nous émeuvent crescendo. Derrière les couleurs tapageuses et les sonorités accrocheuses, derrière le maquillage et le vernis, se trouve un regard singulier et contemporain, celui d’une femme d’aujourd’hui qui façonne son monde et ses repères sans se défiler face aux réalités de son époque. Elle assume appartenir à une génération post-#MeToo affirmée et remontée. La pochette, très réussie, rend bien compte des différentes dualités, l’artiste apparaît en tenue noire sur fond rose orangé, équipée d’une tronçonneuse kitsch tandis que le nom du projet est écrit en deux langues. Treize pistes et un remix alimentent près d’une quarantaine de minutes de sonorités irrésistibles et addictives. En dehors de certains titres déjà plébiscités sur l’EP précédent (TOUT VA MAL, FCK SCHOOL, DIS-MOI PK ?!) ou du single CROCS ET CRITÈRES, concluons sur nos trois crushs personnels. TOI + MOI et sa manière d’évoquer sa relation avec sa mère et une sensation de déracinement douloureuse. J’SUIS PAS CELLE, qui donne son titre au projet, nous rappelant à certaines mélodies des premiers sons d’Angèle, interroge son rapport à son image sur un mode ludique et sans filtre, qui désarçonne par sa franchise et sa fausse légèreté emplie de regrets. MA BFF ! explore la porosité entre sentiments amicaux et amoureux, entre trouble, incertitude, fantasme et refoulement avec un mélange de grâce et d’efficacité. J’SUIS PAS CELLE est sans la moindre hésitation notre cocktail musical préféré de ce début d’année et on l’espère un point de départ qui engendrera des séquelles aussi réjouissantes.

Disponible depuis le 7 février

Winnterzuko – Salieri

« Ils disent que je rap toujours pareil, c’est dur de faire différemment ». On aime la proposition mi-futuriste et mi-terre-à-terre de Winnterzuko que l’on suit avec un plaisir constant dans ses différentes itérations. Son anti-egotrip nonchalant, sa manière de se raconter avec espièglerie et résignation, à contre-courant des codes dominants, nous touche. Son bagage technique avéré et son habilité, confrontés à des sonorités électroniques le placent dans une position hybride entre hip-hop sombre limite boom-bap et hyperpop expérimentale (ouvertement disharmonieuse par instants), inclassable et excitante. Salieri, son vrai premier album, s’il n’est certainement pas un reboot, se donne les moyens de permettre à de nouveaux auditeurs de prendre le train en route à travers notamment les deux pistes d’ouvertures (Nécrose et Langmore) qui refont les présentations sans verser dans la redite, avant d’emmener son audience (néophyte et confirmée) vers des sonorités moins familières. Winnterzuko cultive une musique impure et imparfaite qui s’épanouit précisément dans cette zone d’indécision et d’inconfort, quitte à irriter par la brutalité de certaines propositions. Une dimension extrême, précisément précieuse par son caractère intrépide et sa disposition aux accrocs. Aussi, au-delà d’une relative sophistication et d’un goût prononcé pour gymnastiques sonores, Zuko tend à marteler une origine populaire et revendiquer un hip-hop prolétaire, comme s’il se battait à la fois contre la gentrification de la discipline mais aussi son possible embourgeoisement en cas d’hypothétique succès. Un ovni qualitatif et puissamment authentique.

Disponible depuis le 21 février 2025.

Nos singles pour ces deux mois :

En dehors de quelques singles et collaborations, OBOY s’est mis en retrait depuis son album No crari (2021 déjà). Avec deux nouveaux morceaux pour ce début d’année, son retour semble plus que jamais imminent. À sa collaboration efficace avec 1PLIKÉ140 (Maybach), on préfère Spécial, dans lequel son flow stylisé et nonchalant vient réaffirmer son goût pour le luxe et les grosses voitures tout en ajoutant un soupçon de romantisme et une douceur entêtante.

Très haut dans notre palmarès de 2023 avec Stratos, Kekra a d’ores et déjà annoncé VREEL 4 pour le 16 mai prochain. En attendant, il sait se montrer omniprésent et nous a déjà convaincu avec Bossman, dont la production minimaliste est transcendée par un flow créatif, entre rap pur et mélodie chirurgicale, thématiques éculées et existentielles.

Avec En Attendant Paphos, Vacra a livré un projet court annonçant un opus long (dès cette année ?). En tout cas, on aime particulièrement le premier single Buggy, dans une veine très proche d’un Hamza des grands jours où la différence se joue au niveau de la tessiture vocale et d’une écriture plus chiadée.

Tête d’affiche déchue et ralentie par une vilaine polémique, Timal a fait son retour avec l’album ULTIMATUM. Un disque qui s’ouvre par l’ultra efficace Pétard neuf, précis dans ses placements, agressif micro en main mais foncièrement fédérateur, le rappeur nous rappelle d’entrée le niveau qu’il peut avoir lorsqu’il se donne les moyens.

Auteur de l’un des gros succès de l’été dernier sur une veine festive (Monaco), Guy2Bezbar a proposé un excellent featuring avec Rick Ross au sein de son EP, Black House. Belly lancé à coups de « Ricky Rozay / Le Coco Jojo » surprend l’alchimie entre les deux rappeurs, réunis sur une prod sombre, plus proche de l’univers de l’Américain que de l’ex-joueur du Red Star.

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A propos de Vincent Nicolet

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