Rencontre avec Fred Pallem & Le Sacre du Tympan autour de l’album François de Roubaix (archives)

Avant leur concert à la Source à Fontaine (38)

Le 7e Art comme un 7e continent

Quand l’humanité découvre le 7e Art, comme un 7e continent, la vie n’y a pas de voix, uniquement et simplement de la musique pour parler et dialoguer l’image. Les premiers mots sont des notes et les syllabes des accords. Musique est la voix de l’histoire, unique langage audible de ses émotions. Quand l’Homme se réinvente en images, au commencement n’est pas le verbe. Au commencement est la note. Des combinaisons de sa gamme, va naître tout un langage. Michel Magne, grand compositeur de musiques de films, ne dit rien de moins sur l’antenne de France Inter en 1973 : « la musique suivant les inspirations que vous avez, vous la préféré légère, vous la préféré lourde, tendre ou sentimentale ou vous la préférez dure. C’est exactement comme pour les femmes. »

Dans cette genèse là, si Dieu créa l’Homme à sa mélodie, de sa partition il créa la femme, les deux soufflés par les premières notes du grand big-band.

L’histoire peut commencer

Il était une fois deux enfants. Deux enfants tellement doués qu’ils apprirent à parler tous seuls, sans aller à l’école. En regardant les autres faires et en consultant les manuels et les méthodes. Deux enfants qui commencèrent à raconter leur histoire avec leurs propres notes.

François de Roubaix est né en 1939. Quand il meurt en 1975 dans un accident de plongée – son autre grande passion, il laisse une œuvre qui reste une contribution immense à la musique en France. Immense, inégalée, méconnue, un creuset visionnaire de ce que va devenir la musique durant le demi-siècle suivant.
Multiplication de l’électronique dans la musique ? Il y était avant tout le monde. Home studio ? Il est le premier à en avoir un en France. Expérimentations sonores, bruitages, son œuvre en est remplie, si bien alignés dans la musique qu’on ne les note plus comme des bruits mais comme de la musique du bruit.

De  Roubaix pour autant, aura toujours gardé les pieds sur terre malgré cette esprit d’avant-garde.  « Pour moi la musique contemporaine c’est celle qu’on entend, qui vit, qui dialogue avec le publique véritablement… » [1]

Une musique bien souvent à l’image des films qu’elle doit illustrer. Des films portés alors par tout un mouvement qui semble bien loin aujourd’hui, et dans lequel populaire pouvait aussi être synonyme de chef d’œuvre.
Il signe ainsi la musique du Samouraï, pour laquelle Melville lui demande d’être le son de la voix quasi-muette d’Alain Delon.
Pour Les Aventuriers [2], le thème de Laetitia (Joanna Shimkus) doit la faire revivre auprès de Ventura et Delon quand ils partent à la recherche de sa famille après sa mort.
Sur Dernier domicile connu [3], la musique au travers de rotations de réverbérations sur des sons de percussions, inscrit la froide mise en abîme de l’univers moderne dans l’ADN du film jusqu’à la magnifique mélodie du thème « la solitude ».

Parce que de Roubaix c’est aussi et avant tout un génie de la mélodie. Multi-instrumentiste, il passe de la batterie, aux claviers, du trombone à la guitare ou à l’ocarina. C’est en « homme orchestre » qu’il construit son œuvre et d’ailleurs il en signera la musique [4]. Mais c’est avec le génie de la mélodie et du thème qu’il peut tout illustrer. Avec  Mort d’un guide [5], chef-d’œuvre de la fusion entra musique et espace, de Roubaix réussit à restituer les gouttes du temps qui tombent dans le vide de l’espace des hauteurs. Là où d’autres auraient arpentés les chemins balisés de la musique du genre (du classique de préférence et des chœurs, religieux si possible….), de Roubaix ose synthétiseur, Mellotron, ligne de basse et batterie.

Les échos des notes des synthétiseurs deviennent des sonars volant entre les sommets de granites et de glaces. Méconnue, Mort d’un guide, demeure à ce jour une œuvre inégalée dans le témoignage qu’elle laisse sur l’univers de la haute montagne et sa musique, une des plus belles illustrations sonores de son espace.

Prendre des varices pour des viscères [6]

C’est une révolution technologique et financière qui a changé le monde depuis un demi-siècle. Il suffit de regarder la qualité des propositions artistiques pour observer un appauvrissement consubstantiel à la concentration des richesses à tous les niveaux de la création artistique, de sa fabrication à sa distribution. L’actualité des arts nous le rappelle tous les jours en ce printemps pas vraiment révolutionnaire pour le moment. La musique en France s’appauvrit un peu plus chaque jour pour le grand public qui n’a plus droit qu’à des messes de masses préfabriquées.

C’est une histoire d’éducation et de diffusion de la culture. Quand un des musiciens du Sacre du Tympan [7] participe au groupe Supersonic pour un hommage à Sun Ra, on est dans une démarche – et une des marches – de l’histoire de la musique. Quand d’autres ne sont même pas dans ce ruban et restent au niveau du bac à marchands de sable.

Entretien avec le chef d’orchestre Fred Pallem

pour sa tournée François de Roubaix à la Source (Fontaine, Isère)

VK : Alors rapidement et pour resituer, le Sacre du printemps ça a commencé…
Fred Pallem : Tympan, le Sacre du Tympan.

VK : Heu….ça commence bien, pardon
FP : Pas grave.

VK : En même temps on doit vous la faire souvent… Donc vous vous êtes rencontrés comment ?
FP : Il y a des mecs que je connais depuis mes années 90, et pour le Sacre du Tympan, je suis rentré en 96 au CNSM [8] de Paris, je l’ai monté avec de mecs que j’avais rencontré la bas et certains que je connaissais d’avant, comme Vincent Taeger [9] qui joue dans le programme de ce soir. Avant de rentrer au Conservatoire j’étais en Faculté de musicologie à Paris 8, et j’ai rencontré un musicien là bas, Rémi Sciuto [10], avec qui je joue toujours aujourd’hui (nous sommes les deux plus vieux du Sacre). Rémi avait un groupe avec Vincent et ils cherchaient un bassiste pour leur duo, et voilà, on s’est mis à jouer ensemble tous les trois. C’était un peu le début du Sacre.

VK : Toi tu avais appris la musique en autodidacte. Comment on fait ça ?
FP : Avec de livre et en écoutant beaucoup beaucoup. Et en jouant avec tous les groupes possibles et imaginables. Que ce soit de la valse musette, du jazz, de la chanson réaliste…

VK : C’est un point commun avec de Roubaix dont on peut lire qu’il apprit la musique en autodidacte aussi.
FP : Ha d’accord. J’ai appris le solfège seul avec des livres et des cassettes. J’adorais aussi écouter des cassettes d’audition.

VK : Cet album est dans la continuité de Soundtrax. Quel est pour un musicien comme toi l’intérêt pour les musiques de films ? On peut voir aussi sur le net la vidéo du Sacre reprenant L’Aventure c’est la Aventure, une des plus fantastique du genre de Francis Lai.
FP : Arrangée par Christian Gaubert qui a fait 50% du travail, il faut le dire. L’intérêt des musiques de films c’est qu’on peut rencontrer tous les styles de musiques. Tu peux avoir des B.O. très jazzy, d’autres très funky, contemporaines, très baroques. Tous les styles de musiques ont été utilisés pour le cinéma. C’est une bibliothèque instrumentale infinie dans laquelle tu peux trouver une autre façon de concevoir la musique instrumentale. Différente du jazz ou de la musique classique. Il y a une narration dans ce qui est écrit qui est différente. J’ai toujours aimé ça et il y a depuis le début une dimension très imagée dans le Sacre du Tympan, dès le premier disque, un album avec une pochette rouge pas très belle (ce n’est pas moi qui l’avait choisi et voilà le résultat !).

VK : Pour François de Roubaix, on parle beaucoup de lui dans la musique d’aujourd’hui et aussi ce qu’on a appelé la French Touch ou sur la prod de label comme Ninja Tune, mais est-ce-que c’est une musique qui a influencé ou qui était en avance sur son temps ?
FP : De Roubaix était en avance sur son temps c’est certain. Il fabriquait de la musique à l’époque, un peu comme on la fabrique aujourd’hui, l’ordinateur en moins. Il était seul dans son studio et faisait tout en re-recording. Personne ne faisait de la musique comme ça à l’époque, c’est arrivé dix ans plus tard. Il était très mal vu de ses contemporains, pour eux il n’était pas un musicien. C’était un mec qui bidouillait. Ce qui était vrai mais n’empêchait pas que c’était un musicien de génie. La façon dont il concevait la musique, c’est arrivé dix ans plus tard. Avec des mecs comme Vangélis, ou Jan Hammer, qui faisaient beaucoup de synthé en studio. Lui il faisait ça dans les années soixante. C’est un précurseur c’est sûr. Le fait qu’il ait influencé c’est certain aussi. La musique synthétique est revenue à la mode dans les années 80, puis est passé de mode dans les années 90 où il fallait des guitares, des trucs à fond. A l’époque de Roubaix c’était totalement inconnu. A l’époque ça ne branchait pas les musiciens. Alors que c’est un truc de mon  enfance.

(Je vous fais grâce de l’évocation Proustienne des doubles Vinyles de chez Barclay que nous avions respectivement à la maison, lui par son père et moi par ma mère….)

Je crois que Tellier c’est aussi un truc de son enfance. Les mecs de Air c’est pas leur truc, eux c’est Gainsbourg.

VK : C’est drôle que tu dise ça parce que sur scène parfois les morceaux sonnent très Melody Nelson.
FP : Non mais le problème c’est que c’était un son global de cette époque, pas seulement dans Melody Nelson.  Énormément de disques de cette période ont ce son, et bien sûr les disques anglais. Ce genre de lignes de basse, on l’a dans énormément de productions, notamment en Angleterre. Et oui en France on retrouve ça chez Francis Lai.

VK : Pour toi qu’est ce qui identifie la musique à de Roubaix. D’est une écriture, une grammaire, un timbre, une tonalité, c’est quoi ?
FP : C’est avant tout un sens de la mélodie. Que ce soit sur une ligne, genre une mélodie sifflé, toute bête. Ou une mélodie d’accord. Il a un sens inné de la mélodie.  Ce qui m’impressionne c’est qui si tu enlèves toute la bidouille (géniale, attention !), tu gardes juste les accords et la mélodie, la chanson quoi, le truc il est énorme. Ce sont des idées de fou. Alors après tu peux rajouter des synthés, ce que tu veux, c’est de l’habillage. Le squelette,  il est déjà monstrueux. C’est très rare. Aujourd’hui c’est plutôt le contraire. Le fond est très solide, la forme l’est aussi. Quand tu as les deux comme ça, c’est parfait.

VK : Du coup comment on fait pour travailler un œuvre comme celle là ?
FP : Alors j’ai réfléchis à ce qu’on pouvait faire des trucs intéressant en live avec. Déjà. Ce n’était pas eu départ mes morceaux préférés, mais j’essayais de projeter comment on pouvait les faire en live. J’ai proposé des choses, les membres du Sacre m’en ont proposé d’autres. Ça fait 25 ans que je parle de de Roubaix aux membres du groupe, ça ne date pas d’hier.

VK : C’est difficile à monter un projet comme celui là ?
FP : Oui c’est assez difficile. Il faut expérimenter les morceaux en conditions de concert et les concerts il n’y en a pas beaucoup. Le programme il a été commandé par la Spéciale de la Villette en 2008, c’est une commande du festival. Du coup on a fait des concerts avant.

VK : Justement, la musique en France, ça se passe comment pour un groupe comme le Sacre ?
FP : On a envie de faire une grande formation avec le Sacre, du coup on est subventionné. Ça nous permet d’avoir un permanent pour trouver les concerts, les résidences et de trouver l’argent aussi. C’est très bien ça nous aide beaucoup. Mais le problème c’est que la France ce n’est pas vraiment un pays de musique. Ça ne l’est plus je trouve. La déliquescence pour moi a commencé à partir des yéyés. En France, le public est difficile, très coincé, très différent d’un publique italien, allemand ou anglais. Il y a des exceptions comme le Havre par exemple mais sinon c’est compliqué. J’adore la France, je ne changerais jamais, mais c’est difficile, surtout avec les temps actuels qui sont très moroses. J’ai souvent l’impression que ce que je fais, les gens s’en foutent. La musique n’a plus aucune valeur, ça ne vaut rien. On a accès illimité à tout, via Spotify etcetera, ça revient à ce que si tu payais cinq euros par moi pour aller à Carrefour, quand tu veux pendant en mois, autant que tu veux. Imagine l’impact que ça ferait sur les fabricants. La musique n’a plus aucune valeur. On est à un tournant, il va falloir changer. Les gens n’achètent plus de musique, et les français très souvent ils n’y connaissent rien. Je trouve qu’il y a un gros manque de culture pour pas mal de gens.

VK : Du coup tu as d’autres activités que le Sacre ?
FP : Oui. Je fais des arrangements pour des chanteurs, des réalisations, j’écris des chansons,  des la musique pour le cinéma,  la télé.

VK : Le futur du Sacre ?
FP : Un album original, que j’aurai écris. Il y a trois albums de musiques originales sur les cinq que nous avons faits. Le prochain sera un album original, ça fonctionne comme mes groupes de jazz. Des compos et des reprises. On apprend beaucoup à jouer la musique des autres, et en même temps un orchestre comme le Sacre dans lequel il y a beaucoup de monde, ce qui n’existe quasiment plus (six sur ce programme qui est le plus petit, onze sur Soundtrax) et une notre rôle c’est de transmettre des choses, les musiques qu’on aime bien.

VK : Ma dernière question : quelle est celle que l’on ne t’a jamais posé et à laquelle tu voudrais répondre ?
FP : …(rires)… Si vous aviez pas fait de musique qu’auriez vous fait ?

VK : Et donc ?
FP : … Je pense que j’aurais travaillé dans le vin ou dans la restauration. Si j’avais une grande notoriété je pourrais demander des grands crus pour les caterings comme le faisait Aznavour, mais là je sais que les mecs vont galérer, emmener un truc entre deux qui sera pas bon, donc eau gazeuse et jus de fruits ! Jamais de vin !

« Les musiciens au Tibet ont une position social bien meilleure que la notre. Ce sont des sages, ce sont des gens respectés, parce que ils ont acquis une connaissance, parce que on considère que leur art est une forme de recherche de la vérité, de la sagesse, de la philosophie, c’est une chose importante pour ces civilisations. Nous autre nous sommes des surdéveloppés (….) mais je crois que nous somme un peu sous développés philosophiquement. » [11]


Références

François De Roubaix ‎– Le Monde Électronique De François De Roubaix

Train Fantôme, label phonographique

Pour les dates de concerts, le site du Sacre du Tympan


Texte et interview par Vasken Koutoudjian
Photographies par Audrey Prud’Homme


[1] Dans Les musiciens de la pellicule, Josée Dayan 1975

[2] Robert Enrico 1967

[3] José Giovanni 1969

[4] Serge Korber 1970

[5] Jacques Ertaud 1975

[6] « …devant une situation dramatique qui incite à la réflexion la musique elle, prend directement aux tripes et je crois que c’est sa fonction essentielle. » F. de Roubaix dans Les musiciens de la pellicule, Josée Dayan 1975

[7] Arnaud Roulin

[8] Conservatoire National Supérieur de Paris, dans la section Jazz et Musiques Improvisée. En 2000 Il en reçoit le premier prix en classe de Jazz.

[9] Batterie, boite à rythmes.

[10] Musicien prolixe, on l’entend avec  Louis Sclavis, Yvette Horner, , Bernard Lubat, Arthur H, Michel Portal, Marc Ducret, Boyan Z, Bruno Chevillon, Francis Cabrel, Jane Birkin, Oxmo Puccino, Nougaro, Dave, La Grande Sophie, Armand Amar, Karpatt ou encore Calogero.

[11] Dans Les musiciens de la pellicule, Josée Dayan 1975

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