Manon Labry raconte avec humour la déferlante punk et féministe qui secoua la belle Amérique de Bush père au début des années 90. Un petit ouvrage vivifiant sur un phénomène relativement méconnu de ce côté de l’Atlantique qui se dévore aussi rapidement qu’un titre punk. En avant les filles!
L’ouvrage est rouge comme la colère qui l’habite avec une pointe de rose pour la touche girly. En presque 140 pages bien tassées, Manon Labry livre le récit trépidant d’une révolution méconnue pour une France qui n’en aura savouré qu’un épiphénomène masculin et mainstream : Nirvana, groupe emblématique du futur mouvement grunge et parfait écho, comme il se doit, d’une détresse adolescente et d’une jeunesse sortie un peu groggy d’une fin de décennie so eighties qui consacrait le business comme fer de lance de la production culturelle.
Si on ne saurait enlever au groupe mythique de Kurt Cobain le rôle important qu’il a joué, Manon Labry retourne à la source de cette contestation pour remettre en avant l’un de ses principes fondateurs: cette colère, toute légitime, se nourrissait aussi d’un combat féministe sur lequel l’industrie mainstream n’aura eu, sur le moment, aucune emprise. Il lui faudra même un certain temps pour accepter dans ses écuries les girls bands déchaînés et vindicatifs que sont L7 ou Hole.
Demeuré, par sa propre volonté, radical et souterrain, ce microcosme punk s’illustre par un féminisme rageur et salutaire qui se dresse dans une sphère majoritairement masculine. Bikini kill, Bratmobile, Huggy bear sont les fers de lance de cet esprit DIY (Do It Yourself) qui prône la révolte permanente sur fond de messages politiques parfois naïfs mais à l’énergie vivifiante.
Bikini Kill en concert (Quelque part à Washington DC au début des années 90)
Le livre de Manon Labry jouit d’une construction intelligente faite de cercles concentriques puis excentriques. Deux mouvements contraires pour mieux saisir la dynamique d’une réunion d’individus isolés dont le message contaminera ensuite la jeunesse américaine.
Tout commence par un sentiment de détresse face au monde partagé par quelques figures essentielles du mouvement – Tobi Vail, Kathleen Hanna – que le destin semble vouloir absolument réunir : rien ne semble relever du hasard et la révolte selon Manon Labry semble soudainement agir comme une force des attractions qui en appellera fatalement à la révolution. Le lecteur se réjouit de cette convergence des luttes qui prend forme sous le sceau de l’évidence et l’acte révolutionnaire s’en retrouve vivifié, l’ouvrage lui promettant de nombreux lendemains qui chantent.
Dans un deuxième mouvement, le livre prend de la distance avec les figures et plonge au cœur d’un mouvement tentaculaire devenu un système pandémique animé de multiples ramifications.
On découvre alors le foisonnement esthétique d’un mouvement organisé qui développe ses propres formes à travers une autre pratique : le fanzinat. Si la sauvagerie des compositions et des enregistrements renoue avec ce qui il y a de meilleur et de plus séminal dans le punk, les multiples fanzines du mouvement Riot Grrrl ravivent le joyeux souvenir des brochures situationnistes. A la fois comme objet esthétique – cet art singulier du collage photocopié – mais aussi comme appel à être dupliqué, détourné et réapproprié. La production Riot Grrrl est une revendication qui se livre avec rage et sans copyright à la production pléthorique qui la rend d’autant plus insaisissable.
On devine déjà la fin de ce mouvement forcément mort-né, les majors aux dents longues et les médias reniflant le bon coup : transformée en scandale, la révolution a toujours été une affaire juteuse.
Le mouvement se sabordera avec dignité avant de se retrouver vidé de son essence subversive par un empire médiatique qui commercialise sans vergogne le danger mais n’en prend pas.
Mais quelque chose reste et qui transpire dans ce livre salutaire : un esprit définitivement insoumis qui s’exprime là dans un style irrévérencieux qui ferait hurler un académicien des belles lettres, un instit d’un autre temps ou un vieux con qui brandirait La Pléiade comme d’autres La Bible. Rempli d’onomatopées, de néologismes farfelus et de barbarismes parfois hilarants, le style de Manon Labry perpétue avec éclat la pensée provocatrice de ces riot grrrls très fréquentables. Une forme foncièrement jouissive comme un morceau de punk qui offre de quoi prolonger un peu notre jeunesse ou vieillir un peu moins vite, au choix.
Jouissif mais avec néanmoins un tout petit défaut : les orgasmes, s’ils sont très bons, sont toujours trop courts.
Riot grrrls, chronique d’une révolution punk féministe. Manon Labry. Editions de la découverte, label « Zones« , 148 pages. 15 €
http://www.editions-zones.fr/
Pour approfondir cette lecture :
Le cas de la sous-culture punk féministe américaine : vers une redéfinition de la relation dialectique « mainstream-underground » ?, la passionnante thèse de Manon Labry. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00639269
« The Riot Grrrl Collection » est un ouvrage qui présente un très beau panorama des meilleurs fanzines riot grrrl. Il est disponible aux éditions AK Press
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